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Le harcèlement, un tabou à rompre dans le BTP

Publié le 19 mai 2023

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À en croire un premier baromètre d’Ipsos pour le cabinet Qualisocial, 76 % des salariés du BTP considèrent que les situations de harcèlement sont fréquentes dans leur cadre professionnel. Mais sous quelles formes ? Quelles sont les racines et solutions face à ce facteur aggravant pour la santé mentale des professionnels ? Réponses avec Camy Puech, président de Qualisocial.
Le harcèlement, un tabou à rompre dans le BTP - Batiweb

Si les risques physiques sont un grand sujet dans le BTP, les risques psychosociaux sont à surveiller de près. En témoigne la vague de suicides observée au sein du constructeur Eiffage, en 2017

Et la situation préoccupe Qualisocial, spécialiste dans la prévention des risques psychosociaux et l’amélioration de la qualité de vie au travail. « C’est un secteur où les sujets de la santé physique sont très présents, et les questions de santé mentale passent souvent au second plan », commente son président-fondateur, Camy Puech, à partir d’un premier baromètre, consacré plus spécifiquement au harcèlement dans les entreprises, tous secteurs confondus. 

Une méthode de sondage et de sensibilisation, pour des chiffres plus justes

 

Mené en septembre dernier sur 2 000 actifs travaillant dans une structure d’au moins 5 personnes, l’enquête « Les salariés Français et le harcèlement au travail » d’Ipsos pour Qualisocial applique une méthodologie particulière. 

Avant de sonder le panel, Qualisocial a d’abord présenté 14 situations-types de harcèlement, afin de mesurer le degré de connaissance du harcèlement. Car « c’est un sujet sur lequel il y a soit des tabous, soit beaucoup de fantasmes », nous explique Camy Puech, entre les professionnels qui minimisent ou exagèrent la situation de harcèlement. Pour preuve, 1 sur 2 des interrogés ont des connaissances quasi-nulles en la matière, tandis que 4 % ont des connaissances suffisantes. 

Qualisocial a donc sensibilisé les sondés, afin d’affiner l’analyse et définir ceux qui sont véritablement exposés au harcèlement, « à la fois en tant que victime, en tant que témoin mais aussi en tant qu’auteur », nous explique son président. 

 

À l’échelle du BTP, 41 % des salariés déclarent avoir été témoins de harcèlement au travail, tandis que 28% des salariés considèrent avoir déjà été victimes de harcèlement. 76 % estiment que les situations de harcèlement sont fréquentes dans le cadre professionnel.

Les femmes plus exposées au sexisme

 

Malgré une féminisation progressive du secteur, les femmes dans le BTP sont 54 % à se déclarer victimes de harcèlement, contre 48 % parmi tous les secteurs confondus. « Il y a une surexposition au sexisme pour la population féminine », confirme Camy Puech.

Et le sexisme va prendre plusieurs formes, dont les discriminations liées au genre, c’est-à-dire « tous les comportements et agissements à connotations sexuelles (blagues graveleuses…) », nous précise le président de Qualisocial. L’intéressé relève également le fait d’assigner les employées aux tâches ménagères et à l’éducation des enfants, « donc on va aménager le travail pour que les femmes puissent s’occuper des enfants en dehors du travail. Même si c’est bienveillant, c’est sexiste ». Mais là où le sexisme est réel, c’est sur les postes à responsabilité, « où les femmes sont discriminées par rapport aux capacités des hommes ».

Des situations qu’on peut retrouver dans moult milieux professionnels. Mais la spécificité du BTP, c’est que « le sexisme se fait devant témoin » et « que le sexisme est légitime dans le BTP par rapport aux autres », nous souligne Camy Puech. « Les managers tombent des nus. Ils ne comprennent pas qu’une blague sexiste soit proscrite », poursuit-il.

Pourtant, depuis la loi du 2 août 2021 consacrée à la santé au travail et appliquée le 31 mars 2022, « deux comportements à connotation sexiste, qui créent un environnement hostile, délétère, dégradant pour un tiers, en l’occurence une femme pour notre cas de figure, ça s’appelle du harcèlement sexuel », rappelle le président de Qualisocial. 

Et le harcèlement sexuel est condamnable, compte tenu du Code du Travail et de la jurisprudence. La loi tient l’employeur comme responsable de la santé et de la sécurité de ses employés. Ce dernier a donc obligation d’évaluer, de sensibiliser et de traiter toute situation de harcèlement, quitte à licencier le collaborateur qui a commis un harcèlement avéré. D’autant que la part des salariés se considérant victimes de harcèlement sexuel au travail est trois fois plus forte au sein des grands groupes du BTP (20 %), par rapport à l’ensemble des secteurs (7 %). 

Les fonctions supports particulièrement dénigrées dans le BTP

 

Le harcèlement moral est aussi prégnant dans le BTP. Dans la plupart des comportements recensés par Qualisocial, « on va trouver le dénigrement », notamment par « rapport à la charge de travail, la capacité d’éxécuter le travail », nous décrypte Camy Puech. 

Le président du cabinet de prévention note également un rapport entre deux clans : les professionnels du BTP du terrain (maître d’ouvrage, conducteurs de chantier, ouvriers,) et les fonctions supports (communication, marketing, comptabilité, RH, tech, gestion du parc de machines). « Il y a ceux qui créent de la valeur, ou ceux qui coûtent de la valeur. Tous ceux qui représentent des fonctions supports ont une place moins importante dans le paysage, la décision, la stratégie, etc. », nous projète le président de Qualisocial.

Si le statu-quo se retrouve dans toute taille d’entreprise, il est « encore plus vrai dans les structures de moins de 50 salariés », où les rapports sont plus directs que dans les majors du BTP.

La faible numérisation dans le BTP favorise le cyberharcèlement  

 

Autre phénomène à analyser : le cyberharcèlement, qui, selon Qualisocial, est six fois plus signalé dans le BTP (25 %) que sur l’ensemble des secteurs (4 %).

Curieux constat quand on sait que la digitalisation du bâtiment et des travaux publics est à la traine. Mais comme le relève Camy Puech : « Tout le monde a un smartphone et tout le monde a besoin de communiquer ». Les canaux digitaux sont d’ailleurs nombreux : SMS, visioconférences, emails, mais surtout WhatsApp. « WhatsApp a enormément explosé dans le BTP. Et là il n’y a plus de limite, tant dans la forme des messages, que dans les horaires d’envois de messages », abonde le président de Qualisocial. 

Bien que « toutes les entreprises ont appris à utiliser des mails, et sont passées à des canaux de messagerie instantanés », ce n'est pas forcément le cas dans le BTP, « où les gens utilisent WhatsApp avec leurs collègues, comme ils utilisent avec leurs familles », poursuit l’intéressé. Compte tenu de leur plus faible maîtrise du digital au travail, les professionnels du BTP auront tendance à « créent leur propres outils, sans aucune réflexion sur l’outil, son impact, etc. ».

Les hauts supérieurs hiérarchiques, principaux auteurs de harcèlement dans le BTP

 

Les victimes de harcèlement sont deux fois plus à être isolées dans le BTP (40 %), qu’en général (21 %). Le ratio est le même dans les situations où l’auteur de harcèlement plus soutenu (35 %) que sur l’ensemble des milieux professionnels (16 %). Peut-être parce que les hauts responsables hiérarchiques sont les premiers auteurs de harcèlement dans le secteur du BTP, particulièrement dans les grands groupes (31 %). Et ce alors qu’ils sont en troisième position dans tous les secteurs confondus, où l’auteur est souvent le supérieur direct. 

Mais même dans une entreprise de moins de 50 salariés, « la place du leader est important. C’est pour ça que le responsable du harcèlement est beaucoup plus le N+2. Et le N+2, c’est le grand patron », analyse Camy Puech. De quoi renforcer l’omerta au sein des salariés du BTP, tant par les témoins que les victimes, sûrement par peur d’exclusion ou de représailles. 

D’autant que les dirigeants d’entreprises « ont une puissance d’expertise, d’éxécution, de vente. Ce sont souvent des super personnes, des Superman. Et s’ils arrêtent d’être en tension, leur entreprise s’effondre », nous dépeint toutefois le président de Qualisocial.  

La pression de la rentabilité, un terreau au harcèlement ?

 

Car le BTP « reste un secteur qui n’est pas facile, où la marge peut changer du tout au tout. Cela peut être un secteur qui gagne pas beaucoup, ça peut être un secteur qui gagne énormément d’argent. Ça se joue énormément dans le management et la gestion des chantiers. Un chantier mal géré va coûter très très cher, un chantier bien géré va être extrêmement rentable », nous rappelle Camy Puech. 

À cela s’ajoutent les démarches administratives, mais plus actuellement les évolutions réglementaires, les hausses des prix de des énergies et des matériaux, le report des chantiers reportés, et ainsi des problèmes de trésorerie. Des problèmes conjoncturels, qui accentuent la pression du chef d’entreprise

Si les salariés ne voient pas cette violence quotidienne, elle existe bien et « provoque des tendances anxieuses, des troubles du sommeil et une suractivité cérébrale permanente, qui se manifestent par une fatigue, occasionnant une exposition aux émotions plus forte », suppose Camy Puech. Des émotions fortes pouvant se traduire par du dénigrement et des insultes du dirigeant envers ses salariés. Sans compter les enjeux de recrutement et de rétention de talents, qui peuvent contraindre le licenciement d’un collaborateur auteur de harcèlement

C’est ainsi que le harcèlement peut devenir tabou dans le BTP « car il peut casser le modèle » sous lequel fonctionnent les entreprises. Mais selon le président de Qualisocial, le cercle vicieux doit être rompu, avec une sensibilisation allant des dirigeants vers les salariés, en passant par les managers intermédiaires. Les formats employés par le cabinet de prévention sont nombreux : conférences, affichage, wébinaires, théâtre… Un service d’intermédiation est aussi proposé, afin de trouver une résolution (fin du harcèlement, accompagnement de l’auteur ou de la victime vers la sortie) et d’éviter une escalade de conflits 

« Ce qu’il faut éviter, c’est la douleur », défend Camy Puech, aussi bien chez la victime, que l’auteur du harcèlement dénoncé, qui peut mal vivre le rejet au sein de l’entreprise ou bien son licenciement. De plus en plus de chefs d’entreprises sont « hyper réceptifs » à la démarche. Toutefois, le président de Qualisocial estime qu’il faut plus d’investissement humain mais aussi du temps. « La culture ne se décrète pas, elle se crée. Un changement culturel comme celui-ci ça prend des mois, voire des années. Il faut y aller progressivement. Il ne faut pas chercher à tout changer du jour au lendemain », conclut-il. 

Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de Une : Adobe Stock 

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