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Rénover un phare, entre préservation et modernisation

Publié le 27 janvier 2025

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Quand on parle de rénovation du patrimoine, on pense souvent en premier lieu aux châteaux ou aux cathédrales, mais évoquons également les phares. Entre préservation et modernisation, ces édifices sont à la croisée de multiples enjeux. Éclairage.
Rénover un phare, entre préservation et modernisation - Batiweb

C’est une silhouette de pierre, qui s’élève parmi les eaux bleutées de la mer et sur les bords du littoral. Empreint d’histoire et de mystère, le phare fait partie du patrimoine français. Prenons l’exemple du phare de Cordouan, dans l’estuaire de la Gironde, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco en 2021.  

Si cette distinction ne finance pas sa rénovation, les démarches ont incité l’administration propriétaire à « se lancer dans des travaux de restauration de grande ampleur, de façon à ce que le phare, au moment de son inscription, soit dans le meilleur état possible », nous confie Jean-Marie Calbet, ancien ingénieur des travaux publics de l’État et président de l'association des phares de Cordouan et de Grave. 

Aujourd’hui, 42 phares ont été classés au titre des monuments historiques et 47 phares inscrits, sur les 150 phares existants en France, lit-on sur le site du Centre des monuments nationaux

« De ce fait, les Directions Régionales des Affaires Culturelles et les architectes des bâtiments de France sont associés aux réflexions avant d'engager des travaux qui pourraient entraîner une modification patrimoniale de ces ouvrages », poursuit Michel Cousquer, directeur adjoint du département ports et navigation du Cerema.


Protéger les fondations du phare 

 

La structure du phare est un des points d’intervention du Cerema. « En priorité, nous ciblons le soubassement, c'est-à-dire la partie en contact avec l'eau, avec la mer, sur laquelle est édifié le fût du phare, pour ceux qui sont en mer. Et pour les phares qui sont à terre, on va se concentrer sur les fondations et l’ouvrage », explique M. Cousquer.

Les Ateliers DLB, entreprise œuvrant depuis 40 ans dans la restauration du patrimoine, compte à son actif 10 chantiers de phare. Leur conclusion : comme pour tout chantier patrimonial, les besoins changent selon la structure.

« Il y a des phares uniquement avec le fût, des maisons à feu, ou des phares dont les logements de gardiens sont au pied, et qui, du coup, ont beaucoup plus de pathologies. Mais c'est sûr que la partie qui souffre le plus, c'est la coupole et les structures métalliques, exposées à la corrosion», nous détaille son directeur travaux, Jean-Charles Caraës.

Ainsi, par sa forte exposition aux vagues, le phare de Cordouan risque des désordres au niveau de la maçonnerie. Autrefois, un rejointement annuel sur la couronne périphérique du phare était nécessaire. 

Essais de joint sur le phare de Cordouan - Crédit photo : Association des phares de Cordouan et de Grave
Essais de joint sur le phare de Cordouan - Crédit photo : Association des phares de Cordouan et de Grave

«La force de la mer sur le bouclier du phare par tempête représente 80 tonnes au mètre carré. À titre de comparaison, il faut imaginer une locomotive qui fonce sur le phare », nous décrit Jean-Marie Calbet. Depuis 2005, un bouclier en béton armé protège la moitié ouest de cette partie et le rejointement est à faire tous les cinq-six ans.

Travaux sur le bouclier du phare de Cordouan - Crédit photo : Association des phares de Cordouan et de Grave
Travaux sur le bouclier du phare de Cordouan - Crédit photo : Association des phares de Cordouan et de Grave

Le béton fibré ultra-performant, fabriqué en impression 3D, est une autre piste étudiée par le Cerema, pour préserver les phares des marées et des tempêtes. La structure travaille aussi sur l’application du béton à armature composite, pour les petites tourelles en mer.

Phare de la Jument, à Ouessant - Crédit photo : Cerema
Phare de la Jument, à Ouessant - Crédit photo : Cerema

L’établissement public se concentre également sur les grands phares, dont celui de la Jument, à Ouessant, dans le Finistère. Les équipes essaient « d'identifier, de caractériser les efforts auxquels il est soumis par la houle, par le vent, en mettant des capteurs. On travaille avec différents laboratoires sur ce sujet », nous explique son directeur adjoint du département ports et navigation. 

L’idée étant « d’essayer de modéliser et anticiper les défaillances et donc adapter les solutions de réparation du soubassement ou des parties de l'ouvrage soumises aux efforts », abonde-t-il.

Essais de capteurs sur le phare de la Jument - Crédit photo : Cerema
Essais de capteurs sur le phare de la Jument - Crédit photo : Cerema

L’érosion côtière, un problème complexe à appréhender 

 

Autre danger auquel est exposé le phare : le recul du trait de côte – ou érosion côtière. L’administration française, avec l’appui éventuel du Cerema, projette de recenser dans le futur les phares concernés. « Deux sont déjà dans le viseur : les phares de la Coubre en Charente-Maritime et la maison-feu de Socoa en face de Saint-Jean-De-Luz, les deux premiers les plus menacés », nous indique Michel Cousquer. 

Il ajoute : « L’idée est de faire une cartographie de l'ensemble des aides à la navigation concernées, de manière à prioriser ceux qu'il faudra laisser être avalés par la mer et ceux qui sont à tout prix à protéger, à reconstruire ou à déplacer ». 

Jean-Marie Calbet, de l'association des phares de Cordouan et de Grave, craint aussi pour celui de la Coubre et ceux alentours. En 1980, les logements du phare Saint-Nicolas ont dû être rasés, face au danger des vagues. D'autant que la démolition dudit phare a été tout récemment annoncée.

« En ce moment, cela attaque la côte de la Palmyre. Il y a d'autres endroits, au contraire, où ça se recharge. Les phénomènes de déplacements sédimentaires le long de la côte sont malheureusement très difficiles à anticiper », remarque l’expert. 

 

Assurer sa modernisation pour une meilleure pérennité…

 

Toutefois, « le patrimoine, ce n'est pas que l'ouvrage. C'est aussi le signal lumineux, le faisceau, la rotation et la présence de ces lentilles qui ont aussi toute une valeur patrimoniale», relève Michel Cousquer.

Le Cerema œuvre en effet à la modernisation de ces dispositifs lumineux. C’est-à-dire « tout ce qui concourt à son bon fonctionnement : la production, le stockage, la distribution d’énergie, l'automatisation, et l'optique». Certes, les systèmes radio-électriques servent maintenant à positionner les navires, à la place des faisceaux. Mais le signal lumineux joue toujours un rôle dans la signalisation d’obstacles, par exemple. 

La lentille de Fresnel, conçue au 19ème siècle, équipe encore entre 90 et 95 % des phares opérationnels, selon M. Cousquer, et assure une portée de 40 kilomètres. Problème : la technologie baigne dans un bain de mercure, qui permet à l'optique des phares d'atteindre des portées inégalées et de limiter les frottements mécaniques. Toutefois, ce bain constitue un risque majeur en matière d'hygiène et sécurité.

« Aujourd'hui, il y a un programme qui vise à supprimer le mercure dans les phares d'ici 2030. On va par exemple remplacer les bains de mercure par des bains d'huile, développés au Cerema. On a déjà déployé une dizaine d'unités un peu partout sur les phares français, et particulièrement en Outre-Mer », nous évoque le directeur adjoint du département ports et navigation du Cerema. Ainsi, le phare réunionnais de Sainte-Suzanne a été traité il y a trois ans.

L’autre axe de modernisation consiste donc à remplacer l’optique traditionnelle. « On commence à envisager l'installation de fanaux industriels. On enlève la lentille de Fresnel, pour la remplacer par un fanal plus compact en réduisant le plus souvent les portées nominales des phares», illustre M. Cousquer. Sans compter la participation du Cerema à un programme pour mettre au point et déployer des sources lumineuses à DEL, spécifiques aux grands phares, encore équipés pour la plupart de lampes aux halogénures métalliques. 

L’établissement public étudie également des systèmes intégrés de supervision des phares, via des capteurs, pour télésurveiller les systèmes actifs

Depuis plus de quarante ans, le phare s’est converti aux énergies renouvelables, d’abord le petit éolien, et désormais principalement le solaire, qui équipe la moitié des phares, selon le directeur adjoint du département ports et navigation du Cerema. Mais pour éclairer la nuit et assurer l’autonomie, l’énergie solaire doit être stockée dans une batterie qui alimente la source lumineuse et les automatismes du phare. 

« Ces progrès techniques permettent de mettre du matériel qui est beaucoup moins gourmand en énergie », comme les groupes électrogènes, renchérit Jean-Charles Caraës des Ateliers DLB.

… sans endommager sa mémoire patrimoniale

 

N’oublions pas qu’au-delà de ces progrès techniques, le phare est une image de carte postale, une ambiance. « Étant marin moi-même, quand on traverse la Manche et quand on arrive à la pointe de la Bretagne, on est quand même content de voir scintiller ses phares, et on se dit « Ça y est, on arrive à la maison » ! », nous livre Jean-Charles Caraës. 

Le directeur de travaux des Ateliers DLB et ses équipes accordent un véritable attachement au patrimoine. « Ce qui nous a toujours intéressé, c'est ce petit détail de quincaillerie, ces bronzes, cette petite moulure, ces portes à panneaux, et la façon dont étaient pensées les choses à l'époque, et que ce bâtiment, qui avait un but purement technique, était malgré tout richement construit », s’enthousiasme-t-il, avant d’ajouter : « Aux Ateliers DLB, on restaure les ouvrages pour les mettre dans leur état d'origine »

Mais comme pour d’autres monuments, le dilemme entre modernisation et authenticité se pose quant à la rénovation des phares. Jean-Marie Calbet en sait quelque chose, par son expérience au phare de Cordouan. 

Concernant la salle du contrepoids, le président de l'association des phares de Cordouan et de Grave a milité pour remplacer la structure d'origine du plancher, faite de poutres en chêne, par de la résine conçue pour les planchers des avions, car « beaucoup plus résistant et léger », défend-il. Or, « il y a eu un veto absolu que ce soit de l'architecte ou la direction régionale, parce que leur logique est de toujours utiliser les matériaux d’origine », déplore M. Calbet.

Les menuiseries ont également fait l’objet de blocages. « On n'arrive pas à obtenir l’autorisation de remplacer du simple vitrage par du double, alors que les conditions de vie à l'intérieur du phare sont quand même beaucoup plus faciles à maintenir avec des systèmes modernes », plaide l’expert. Par exemple, au phare de Biarritz, l’installation de menuiseries en PVC double vitrage a empêché les infiltrations d’eau

D’autant que « les phares ont toujours été normalement, dans leur conception et dans leur construction, à la pointe du progrès », soutient Jean-Marie Calbet. C’est d’ailleurs sur cette structure qu’Augustin Fresnel a installé sa lentille, en juillet 1823.

De leur côté, les Ateliers DLB ne sont toutefois pas totalement fermés aux technologies, recourant au scan 3D, afin de faciliter les prises de cotes de menuiseries. «Les machines à positionnement numérique sont évidemment entrées dans les ateliers des menuisiers, même en patrimoine», renchérit son directeur de travaux.

Sécuriser la logistique et l’intervention des ouvriers 

 

M. Caraës est toutefois intransigeant sur un point : les conditions de travail de ses ouvriers. « On essaie toujours d'optimiser et de gagner du temps et du confort pour nos salariés». 

Chantier sur le phare de Tévennec par les Ateliers DLB - Crédit photo : Christophe Beyssier
Chantier sur le phare de Tévennec par les Ateliers DLB - Crédit photo : Christophe Beyssier

Le directeur de travaux des Ateliers DLB se remémore le chantier au phare de Tévennec, isolé sur un rocher. « La logistique était un vrai challenge pour l'entreprise pour réussir à boucler cette rénovation sur une saison », commente-t-il. D’où le choix de procéder par héliportage.

Chantier sur le phare de Tévennec par les Ateliers DLB - Crédit photo : Christophe Beyssier
Chantier sur le phare de Tévennec par les Ateliers DLB - Crédit photo : Christophe Beyssier

« On a presque créé un mini-héliport directement sur le flanc du rocher, de manière à ce que l'hélicoptère puisse se poser et réembarquer le personnel, ou au moins avoir une plateforme où déposer les approvisionnements », raconte-t-il. « C'était la première fois qu'on travaillait justement en mer avec des équipes sur site, logées à la semaine et sur le rocher, en autarcie complète ».

Vue sur l'héliport installé pour le chantier du phare de Tévennec - Crédit photo : Christophe Beyssier
Vue sur l'héliport installé pour le chantier du phare de Tévennec - Crédit photo : Christophe Beyssier

Un procédé déjà éprouvé lors des campagnes de rénovation du phare de Cordouan. « Avec l'hélicoptère, en une heure, on a transporté plusieurs tonnes de matériel au phare. Ce qui permet d'anticiper les ruptures de stock et d'avoir un chantier beaucoup plus linéaire », acquiesce Jean-Marie Calbet. 

Approvisionnement via héliportage sur le phare de Tévennec - Crédit photo : Christophe Teyssier
Approvisionnement via héliportage sur le phare de Tévennec - Crédit photo : Christophe Teyssier

« Ce choix a permis une économie de l'ordre de 200 000, voire 250 000 euros, sur un chantier d'un million. Elle a permis de faire des travaux qui n'étaient pas prévus, comme la rénovation de l’appartement de l’ingénieur », estime l’expert.

Chantier sur l'appartement de l'ingénieur du phare de Cordouan - Crédit photo : Association des phares de Cordouan et de Grave
Chantier sur l'appartement de l'ingénieur du phare de Cordouan - Crédit photo : Association des phares de Cordouan et de Grave

Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de une : Association des phares de Cordouan et de Grave

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