ConnexionS'abonner
Fermer

Notre-Dame de Paris : dans les coulisses d’un atelier de vitrailliste

Publié le 13 décembre 2024

Partager : 

Alors que la cathédrale emblématique de la capitale vient de rouvrir ses portes, focus sur le métier de vitrailliste. Vu comme essentiellement artistique, ce métier a pourtant une dimension technique et s’exerce en collaboration avec les artisans du bâtiment. L’Atelier de Vitrail Baudoin-Monique nous ouvre ses coulisses.
Notre-Dame de Paris : dans les coulisses d’un atelier de vitrailliste - Batiweb

Après cinq ans de reconstruction, la cathédrale Notre-Dame a rouvert ses portes le dimanche 8 décembre. Le monument a accueilli une première messe en présence des chefs d’État et autres personnalités, tous venus des quatre coins du monde. Une seconde a été ouverte au grand public, sur réservation. 

Dans les premires retours : de l’admiration. Admiration face à la pierre claire, aux lumières des cierges et leurs reflets sur les vitraux restaurés. Une impression qui gratifie les reconstructeurs de la cathédrale, qu’ils soient charpentiers, couvreurs-ornemanistes, sculpteurs sur pierre, ébénistes, facteurs d’orgue mais aussi vitraillistes.

Parmi les professionnels du vitrail, nous retrouvons Isabelle Baudoin et ses trois restauratrices de l’Atelier Vitrail Baudoin-Monique, basé dans le Val-de-Marne et spécialisé principalement dans la restauration. « C’est une équipe 100 % féminine », affiche fièrement l’intéressée.

Soigner les vitraux malades et « grands brûlés », une vocation


Au départ, Isabelle Baudoin voulait être vétérinaire. Mais elle a fini par troquer sa blouse et son stéthoscope contre un tablier et un fer à souder. Car si soigner les animaux lui semblait déjà une grande vocation, soigner le vitrail l’était davantage.

« Dans ma promotion à l'époque, il y avait beaucoup qui venaient de médecine. On avait déjà une base un peu scientifique », nous confie Isabelle Baudoin.

« J’ai suivi une formation de conservation-restauration, au départ générale, ce qui permettait de découvrir tous les matériaux. Ensuite je me suis vraiment prise de passion pour le vitrail, qui permettait de mêler beaucoup de choses : le verre, la peinture, le métal, et surtout, on avait cette lumière.Le vitrail est vraiment un art très atypique, avec cette diffusion de la lumière dans les bâtiments, qui sublime à la fois l'architecture, mais aussi tous les autres éléments du décor», développe la vitrailliste.

Un savoir-faire qu’elle exerce depuis 30 ans, avec une expérience des « grands brûlés », comme la cathédrale de Limoges, victime en 2005 d’un acte de vandalisme. Un individu a mis le feu à des bonbonnes de gaz et tout le haut de l’édifice a été soufflé.

Une intervention sur quatre ans…

 

Deux-trois semaines après l’incendie de Notre-Dame de Paris en avril 2019, Isabelle Baudoin et son équipe ont fait partie des sept ateliers vitraillistes appelés.

« Nous avons participé à la dépose de plusieurs verrières du haut-cœur et de la nef. Cela permettait aux architectes de pouvoir installer les platelages et d'intervenir très rapidement sur les voûtes, qui menaçaient de tomber », nous restitue la vitrailliste. « Ça a été un moment assez incroyable, parce qu'il fallait aller très vite et faire les choses très bien », ajoute-t-elle.

Des évaluations d'état de conservation ont été ensuite menées en atelier, afin de repérer les dépôts en surface comme la suie, les plombs altérés, ou les verres lacunaires. Le tout suivi d’une campagne photographique.

Les panneaux stockés à l’atelier ont ensuite été transférés à un dépôt national, jusqu’à ce que l’Atelier Vitrail Baudoin-Monique remporte un appel d’offre public, pour déposer et restaurer, dès 2022, un lot de quatre verrières, réalisées par Laurent-Charles Maréchal (dit Maréchal de Metz), peintre-verrier du XIXème siècle.

Dans le respect d’un cahier des charges co-écrit par le laboratoire de recherche des monuments historiques, la maîtrise d'œuvre, la maîtrise d'ouvrage et les restaurateurs, plusieurs étapes ont été suivies. La première : le nettoyage, c’est-à-dire enlever toutes les particules nocives à la conservation des vitraux. « Cela allait des suies très grasses dues aux fumées des cierges dans l'édifice, jusqu'aux particules de pollution, les particules de plomb, tout en prenant soin des peintures », nous précise Mme Baudoin.

Place ensuite aux consolidations. Les verres d'origine fragiles ont été conservés par collage ou par des rubans de cuivre – des tiffanies précisément. « Lorsqu'il y avait des lacunes, on faisait des remplacements vraiment à l'identique, c'est-à-dire des pièces réalisées de manière illusionniste, donc en respectant la coloration des verres d'origine et la peinture qui était sur ces verres », nous indique la vitrailliste. « À la suite de cela, nous avons procédé à un masticage des vitraux pour redonner une certaine étanchéité à chaque panneau de vitrail ».

Exemples de constant et de dépose réalisés sur le chantier de Notre-Dame de Paris - Crédits photos : Atelier Vitrail Baudoin-Monique
Exemples de constant et de dépose réalisés sur le chantier de Notre-Dame de Paris - Crédits photos : Atelier Vitrail Baudoin-Monique

Sans compter le remplacement de certains profilés en plomb « vrillés, fracturés, déformés, pour réassembler nos verres et avoir une tenue mécanique très satisfaisante. Puisque le but du jeu, c'est quand même de pouvoir reposer les vitraux et les présenter à la verticale dans leur emplacement d'origine », nous explique Isabelle Baudoin.

 Verrières restaurées par l'Atelier Vitrail Baudoin-Monique à Notre-Dame de Paris - Crédits photos : Atelier Vitrail Baudoin-Monique
Verrières restaurées par l'Atelier Vitrail Baudoin-Monique à Notre-Dame de Paris - Crédits photos : Atelier Vitrail Baudoin-Monique

«On a fini de reposer en 2023. Entre-temps, on a eu un autre marché pour réinstaller à neuf une petite rose et des lucarnes, complètement brûlées dans l'incendie, au niveau du pignon ouest de la cathédrale », détaille la vitrailliste. Cette partie a été reposée fin novembre, à quelques jours de la réouverture de Notre-Dame.  

… et en collaboration étroite avec les artisans du bâtiment

 

Les vitraillistes de l’Atelier Vitrail Baudoin-Monique ont oeuvré sur le haut-choeur et le transept, comme d’autres artisans du bâtiment. 

« Beaucoup d'autres corps de métiers sont intervenus à côté de nous pendant que les vitraux étaient en atelier. Les serrureries, c'est-à-dire les armatures sur lesquelles reposent les vitraux, ont été restaurées. On a pu reposer qu'à partir du moment où ces armatures métalliques étaient prêtes à réaccueillir les œuvres. Ils ont aussi préparé les rejets d'eau en plomb installés sur la base des baies », souligne la fondatrice de l’atelier. Les artisans maçons ont également eu leur importance, « chargés de réviser la pierre, de revoir les feuillures, les appuis de baie ».

Pour un chantier aussi titanesque, les mesures de sécurité étaient musclées. Chaque vitrailliste pouvait intervenir jusqu’à deux heures par vacation au moment des déposes. « Les personnes devaient porter des équipements de protection individuelle, pouvoir se doucher, et avoir un suivi particulier avec la médecine du travail. In situ à Notre-Dame, c'était drastique », se rappelle Isabelle Baudoin.

« On ne pouvait pas entrer en zone propre sans s'être douché et avoir enlevé tous ses vêtements souillés. Par rapport aux opérations d'intervention sur site de dépose, cela s'est fait beaucoup en ventilation assistée, qui vous permet d'éviter de respirer les poussières de plomb. Ce qui ne rend pas le travail très sympathique. C'est comme si vous travailliez en scaphandre », décrit-elle.

Mais le jeu en valait la chandelle pour la restauratrice de vitrail, qui se remémore avec émotion de l’incendie de la cathédrale. « Je pense que tout restaurateur un peu engagé dans son métier avait évidemment envie de participer à la rénovation du bâtiment », estime l’artisane, qui a vu derrière la reconstruction une vitrine des métiers de l’artisanat d’art.

Le métier de vitrailliste « reste assez fascinant dans l'imaginaire des gens. Après, quand ils se confrontent à la réalité, ils se rendent compte que c'est un métier très dur. C'est à la fois très technique, scientifique et artistique en même temps », commente-t-elle.  Elle et son équipe de restauratrices se disent « assez fières » de montrer « qu'il y a des femmes investies dans des métiers qui, a priori, pendant des siècles, étaient réservés aux hommes ».

Une compétence que l’Atelier Vitrail Baudoin-Monique met à contribution pour Notre-Dame de Nantes, dont la verrière a été pulvérisée par un incendie en 2020. Le chantier en question se rapproche plus d'un travail archéologique. « On a réalisé une étude sur la faisabilité de la présentation de certains vitraux sinistrés de la façade occidentale », mentionne-t-elle.

 

Propos recueillis par Virginie Kroun

Photo de une : ©Atelier de vitrail Beaudouin-Monique

Sur le même sujet

Un havre de paix appelé maison L

ALTA Architectes – Urbanistes (Maxime Le Trionnaire et Gwenaël Le Chapelin), l’agence d’architecture établie à Rennes et aux projets variés, vient de terminer la réalisation d’une maison située au cœur...

bloqueur de pub détecté sur votre navigateur

Les articles et les contenus de Batiweb sont rédigés par des journalistes et rédacteurs spécialisés. La publicité est une source de revenus essentielle pour nous permettre de vous proposer du contenu de qualité et accessible gratuitement. Merci pour votre compréhension.