Photovoltaïque : la filière a-t-elle manqué le train ?
La commission de l’économie du Sénat voulait que des acteurs du photovoltaïque en France se retrouvent autour d'une table, à l’occasion de la mise en œuvre du nouveau cadre réglementaire relatif au secteur photovoltaïque, avec l'objectif de permettre aux acteurs de la filière (entrepreneurs, organisations professionnelles, organismes de recherche) et de l’administration (le directeur de l’énergie), d’échanger au sujet de l’avenir de la filière. Et les questions autour du développement en France d’une filière compétitive, durable et riche en emplois, sont nombreuses. Dans quelle mesure l'installation photovoltaïque va profiter aux entreprises françaises ? Quelle est leurs répartitions sur le territoire ? Quel mécanisme de soutien à la filière doit être mise en place ? Quel est le positionnement des entreprises françaises à l'export ?
Pourquoi le gouvernement a instauré un moratoire ?
Le dynamisme de la filière a conduit le gouvernement à entreprendre une série d'ajustements, commencée en janvier 2010, avec une refonte de la grille de tarif d'achat pour resserrer l'octroi de la prime d'intégration au bâti aux seules installations situées sur des bâtiments à caractère architectural marqué. Puis, en août 2010, le gouvernement à décidé de baisser de 12% les tarifs d'achat, sauf pour les installations résidentielles de moins de 3kW et d'abaisser le taux du crédit d'impôt développement durable applicable aux installations photovoltaïques résidentielles (taux à 22% au lieu de 50%). Mais, malgré ces mesures, le flux entrant restait hors de contrôle (1200MW/an et plus 6000 MW en file d'attente, soit plus que l'objectif Grenelle de 5400 MW fixé pour 2020). Le gouvernement a finalement tout arrêté en décembre afin de définir un nouveau cadre juridique permettant l'émergence d'une filière de production de panneaux photovoltaïques et pas seulement d'installateurs posant des panneaux à bas coûts importés. « C'était une obligation de stopper pour réfléchir à comment constituer la suite et bien comprendre les enjeux économiques » tranche Jean-Paul Emorine (UMP, Saône-et-Loire) président de la commission sénatoriale.
Que va devenir la « file d’attente » ?
Pour Arnaud Mine, président de la commission solaire du Syndicat des énergies renouvelables (SER) « la déception est immense, nous passons à côté de la copie ». Le plus dramatique pour le président du SER, ce sont les pertes d'emplois : « 25 000 emplois crées en 3 ans, c'est pratiquement du jamais vu. Mais les mesures mises en place vont réduire les emplois de façon dramatique, avec un grand nombre de plans sociaux déjà prévus ». Il semble que ce ne soit pas tant le fait de réfléchir à l'organisation de la filière qui est mis en cause, mais plutôt la manière. Les professionnels pointent un système de « file d’attente », impliqué par les appels d’offres, qui ralentit le développement des projets et questionne sur sa transparence. Les petits industriels indépendants pourraient ainsi être lésés, disposant de moins de moyens pour présenter leurs projets par rapport aux gros groupes. « La file d'attente est une file d'attente en trompe l'œil, le taux de mortalité des entreprises sera de 60%, au minimum » prédit Arnaud Mine.
En effet, des projets de la file d’attente ne verront pas le jour en raison des délais imposés par le décret de suspension qui a conduit à suspendre 3400 MW de projets sur les 6400MW entrés en file d'attente. « Parmi les 3000 MW de projets non suspendus, une partie, évaluée à 35%, ne pourra pas se réaliser faute de financement ou de délai » indique Pierre-Marie Abadie, directeur de l’énergie à la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), jugeant que « le repêchage de certains projets suspendus posait un problème d'égalité de traitement entre les dossiers qui exposait à des contentieux ».
Une filière solairefrançaise à l'international ?
De son côté, Richard Loyen, président d'Enerplan, association professionnelle de l’énergie solaire, s'interroge sur la volonté du gouvernement de développer la filière. « Les tarifs d’achat de l’électricité solaire en France seront bientôt identiques à ceux en vigueur en Allemagne, avec toutefois des volumes 5 à 8 fois inférieurs et des coûts de développement 2 à 3 fois plus élevés » précise t-il, « condamnant ainsi les entreprises françaises à avoir des petits volumes, avec des produits pas chers, et ainsi devenir des entreprises "low cost" ». Avant d'employer une image parlante sur le le coup de frein imposé par le gouvernement. « Le chef de gare a dit de s'arrêter. Va t-on rater ce train ? ». Les industriels sont d’autant plus remontés qu’ils estiment que ce schéma est loin de donner toutes les garanties au développement d’une filière française solaire à l'international.
Selon Dominique Marsacq, directeur du LITEN (Laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux), il y a tout ce qu'il faut en France pour réussir. Des technologies prometteuses en adéquation avec le marché sont en train d'émerger comme le panneau telure. Pour ce scientifique, il ne faut pas limiter le photovoltaïque aux cellules et au panneaux, « la filière doit aussi penser à des technologies exclusivement dédiées à l'export (Afrique, californie) » pour contrer la déferlante asiatique sur le marché. Pour réussir ce pari, il préconise un soutien de l'état au PME et pour vendre à l'export « il faut chasser en meute comme le font les Allemands ».
Les outils et les hommes pour réussir disponibles ?
Pour les professionnels comme Tenesol, représenté par Fatima Berral, le gros point noir de la filière se situe dans le domaine administratif : « nous avons besoin que les démarches administratives soient simplifiées, car la longueur de traitement des données complique le financement des projets ». Autre son de cloche chez Solaire Direct. Pour Thierry Lepercqe, ce qu'a fait le gouvernement est salutaire. « Les pouvoirs publics, avec beaucoup de sévérité, ont préservé jusqu'à un certain point l'avenir du photovoltaïque en France » avance ce chef d'entreprise prospère. Néanmoins, pour Thierry Lepercqe, « il est indispensable de créer de la confiance. Et en cela, l'Etat a un rôle primordiale ». Du côté des professionnels du bâtiment, la FFB se dit prête. Paul Grizel assure avoir « les outils et les hommes prêts à travailler avec les industriels sur les bâtiment de 2020 ». Mais n'est-il pas déjà trop tard ?
Bruno Poulard