Empêcher l’artificialisation des sols par la dépollution des friches industrielles
La loi Climat & Résilience prévoit la zéro-artificialisation nette des sols d’ici 2050. L’objectif est-il atteignable selon vous ?
Nicolas Bouchery : On estime l'artificialisation des sols à entre 20 000 et 30 000 hectares par an, et à 10% du territoire métropolitain en 50 ans (selon rapport INRA et de l'IFSTTAR, NDLR), avec de nombreux effets induits comme la dégradation de la biodiversité, l'augmentation du niveau des pollutions et des émissions de CO².
L'atteinte de l'objectif zéro-artificialisation nette d'ici 28 ans est conditionnée par un engagement continu de chacun, et bien évidemment de l'ensemble des porteurs de projets. Cela passera aussi par la mise en œuvre d'actions concrètes en matière de développement durable de nos territoires, tant sur les aspects urbanistiques, sociaux et économiques, que sur nos modalités de vie, de travail, d'habitat, de déplacement, ou de place de la nature.
Au-delà du cadrage de la loi, il existe plusieurs leviers, comme la densification des zones urbaines ou encore le renouvellement de la ville sur elle-même, via la réhabilitation des friches industrielles par exemple. Pour ce dernier, plusieurs dispositifs de financement sont actifs comme les fonds friches de l'Ademe, ou ceux du plan France Relance.
Combien y a-t-il des de friches industrielles polluées ?
N.B. : On dénombre environ 2 400 friches industrielles, couvrant entre 90 000 et 150 000 hectares du territoire national. Tous les secteurs industriels sont potentiellement concernés, mais avec certaines zones géographiques plus marquées du fait de leur histoire industrielle. C’est le cas des domaines du textile, manufacturier, des mines, métallurgique, de la chimie, répartis entre les Hauts-de-France, l'Île-de-France, ou encore l'Auvergne-Rhône-Alpes.
À partir de quels critères un site est considéré dépollué ?
N.B. : Les modalités de caractérisation et de gestion des sites pollués sont encadrées par plusieurs textes réglementaires, normes et guides précisant les règles de l'art. A noter que notre Sénat, ainsi que la Commission européenne, se sont emparés du sujet avec des projets d'évolutions réglementaires et de directive-cadre de protection des sols.
Chaque situation doit être regardée de façon spécifique, au regard du bruit de fond géochimique local, des enjeux en place et des usages actuels et futurs. Le maître mot est « anticipation », afin de pouvoir répondre à de nombreuses questions, comme : Quel est mon projet d'aménagement ? Pour quel usage ? Quels sont les enjeux sanitaires et environnementaux ? Quel est l'état environnemental du site projet ? Comment s'assurer de la mise en compatibilité de l'état du site avec le projet ? Quelles sont les solutions de gestion et de valorisation pertinentes et pérennes ? Pour quels coûts et pour quel niveau de performance ?
La dépollution des sols comprend la valorisation des terres excavées. Sous quelles formes celles-ci sont-elles valorisables ?
N.B. : On pourra, par exemple, envisager de reconstituer des sols initialement impactés, valorisables sous voirie comme on a pu le mettre en place sur le TRAM de Saint-Etienne, ou encore intégrer ces terres dans des composantes d'aménagement paysager, voire reconstituer des sols avec certaines qualités agronomiques, etc.
Le zéro artificialisation nette des sols a été abordé par les collectivités, d'abord à travers les ScoT, puis par le Plan Local d’Ubanisme. D’autres acteurs doivent-ils être impliqués ?
N.B. : En complément des pouvoirs publics et services d'urbanisme, de nombreux acteurs sont concernés comme les promoteurs, aménageurs, architectes, établissements publics foncier d'aménagement, du type EPORA, qu'Apave accompagne depuis plus de dix ans sur leur stratégie et la réhabilitation de nombreuses friches industrielles.
On constate également un engagement de nombreux industriels, qui disposent d'un foncier à gérer de façon dynamique, depuis l'acquisition, l'exploitation, jusqu'à la cessation d'activité intégrant une éventuelle remise en état, et revalorisation du site.
Et quel rôle jouent les acteurs du BTP ?
N.B. : Le marché se dote de plus en plus d'opérateurs privés, spécialisés dans les travaux, qui interviennent sur la réhabilitation des friches industrielles. Ils ont pour modèle économique, l'acquisition à bas coût d'un tènement à l'abandon et fortement dégradé. Ils sont parfois amenés à récupérer des obligations de remise en état du dernier exploitant, quand celui-ci est défaillant par une procédure tiers-demandeur par exemple.
Leurs autres missions consistent aussi à la définition et mise en oeuvre d'une stratégie de réhabilitation globale intégrant conjointement le traitement des pollutions et un projet d'aménagement. Tout cela est généralement réalisé en concertation avec les collectivités et services d'Etat concernés, pour in fine, la revente d'un site valorisé.
Que conseillerez-vous aux professionnels de la construction pour appréhender cet enjeu ?
N.B. : Avec toujours en ligne directrice l'anticipation, il convient de s'entourer de compétences techniques et juridiques, pour sécuriser toutes les étapes clefs du projet, comme lors de l'acquisition/cession du site, la gestion des autorisations administratives, les phases de demande de permis d'aménager et de construire, les phases de conception, exécution et réception des travaux, etc. Du fait de notre connaissance des réglementations, nos clients nous demandent de plus en plus un accompagnement sur les phases amont de conception et d'interface avec l'administration.
Est-ce que cet enjeu de dépollution contraindrait ou faciliterait les enjeux immobiliers, comme l’accès pour tous à la propriété ou les besoins fonciers ?
N.B. : On constate que là où il y a une pression foncière soutenue, les coûts de dépollution sont absorbables dans le bilan économique des opérations. La réhabilitation des friches industrielles peut également répondre à de nombreux autres enjeux essentiels de type environnementaux, refuge de biodiversité, d'aménagement, de lutte contre les inondations, ou encore culturel et social de type Agora. La question n'est pas uniquement « Combien ça coûte ? », mais également « Pour quelle valorisation et quel bénéfice pour la société ? ».
Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de Une : Apave