Dématérialisation des marchés : <br>encore du chemin à faire
Patrick Duchateau : Il ne s'agit pas seulement d'héberger ses données sur un serveur externe. La FFB a mis en place le programme e-bat* qui a pour but de faire monter une marche de l'escalier numérique à l'ensemble des acteurs du bâtiment. Cela veut dire que ceux qui n'ont aucun outil informatique s'équipe au moins d'un micro-ordinateur, que ceux qui en ont un s'équipe d'internet et que ceux qui pensent tout avoir aillent encore plus loin dans leur démarche.
Quelles ont été les actions concrètes de ce programme "e-bat" ?
Nous l'avons lancé il y a quatre ans, dans plusieurs départements pilotes, avec à chaque fois une trentaine d'entreprises partantes à qui on a permis d'exprimer leur besoin en la matière. A l'époque, 20% d'entre elles n'avaient pas d'ordinateur et 50% n'avaient pas l'internet. Nous avons notamment cherché à exprimer leurs besoins. Il en est ressorti trois principaux besoins. Tout d'abord un tableau de bord en temps réel de la gestion, c'est à dire y voir plus clair au jour le jour au niveau de la comptabilité. Puis vient l'assistance informatique car aujourd'hui les entreprises passent par un prestataire, qui n'a pas qu'un seul client, intervient sur l'ensemble des secteurs d'activités et donc ne peut pas toujours répondre en temps réel aux exigences des entreprises de bâtiment. Enfin on s'est aperçu qu'il y avait un vrai besoin de formation puisqu'en moyenne dans le BTP on compte 15 minutes de formation par an, tous secteurs confondus.
Avez-vous observé des disparités entre les départements pilotes ?
Nous avons commencé avec trente entreprises en Seine-et-Marne en 2004. Puis trente autres dans le Loiret en 2005, encore autant dans les Deux-Sèvres en 2008 et enfin une vingtaine d'entreprises pilotes en Bourgogne en 2008. Cela représente un total de 110 sociétés plus une vingtaine à Paris et en Ile-de-France. Nous n'avons pas vraiment observé de différences en termes de zones géographiques. Par contre, certaines régions sont mieux équipées que d'autres. Prenons l'exemple des réponses aux appels d'offres pour les marchés publics. Au niveau national, on compte seulement 1% de réponses numériques, par le web. Alors qu'en Bourgogne ce chiffre grimpe jusqu'à 15%. Et ce parce que la Région a mis en place une plate-forme dédiée. Il faut que les collectivités locales jouent le jeu.
Que propose cette plate-forme mise en place par la Région Bourgogne ?
Cette plate-forme développée en logiciel libre par la société Atexo permet de dématérialiser un certain nombre de choses comme les formulaires de gestion administrative. Elle met aussi à disposition des entreprises des coffre-forts électroniques où elles peuvent déposer leur K-Bis ("carte d'identité" de l'entreprise, ndr), leurs liasses fiscales ou encore leurs déclarations sociales. C'est toute la partie appelée "e-administration". Il y a ensuite toute une partie permettant de répondre numériquement aux appels d'offres des marchés publics.
Quelle évolution a-t-on observé sur la question au niveau national ?
En 2004 le sujet n'était pas vraiment abordé. Il y a eu à mi-2008 un virage où les entreprises, même petites, se sont mises à s'y intéresser de plus en plus. Cela est dû notamment au fait qu'au 1er janvier 2010, il y aura obligation pour elles de répondre par voie numérique lorsque les collectivités locales l'exigent. Et elles peuvent le faire du jour au lendemain, il faut s'adapter. C'est la situation inverse d'il y a quelques temps où les collectivités locales ne pouvaient pas empêcher une entreprise de répondre numériquement à un appel d'offre. C'est ici le rôle de l'Etat d'inciter les collectivités à être prêtes techniquement. Hélas la plupart sont des TPE, une mairie par exemple ne compte que quelques personnes et pas forcément de ressources humaines et techniques pour mettre en place de telles procédures.
Quels sont les autres freins au déploiement de la dématérialisation ?
Dans le cadre du projet e-bat nous avons lancé une étude en Ile-de-France, sur les entreprises de maçonnerie de Paris et le Conseil Régional plus les Conseils généraux des départements limitrophes à Paris. Le Conseil Régional d'Ile-de-France devrait lancer en septembre 2009, si tout va bien, une plate-forme d'appels d'offres. Mais cela prend du temps, notamment pour harmoniser les plate-formes de toutes ses collectivités locales. Mais le côté technique n'est pas forcément le plus compliqué, il y a aussi la question de la formation, qui est très longue. Autre obstacle : le fait qu'on imprime quand même quelque chose en fin de chaîne : les appels d'offres, les bons de commande pour les travaux, le paiement. Si l'on revient au papier, la chaîne est cassée et on a tout faux.
Quelles sont vos conclusions et les perspectives d'évolution dans ce domaine ?
L'idéal serait d'avoir une plate-forme homogène sur l'ensemble du territoire. Il en existe aujourd'hui environ 70 différentes. Si on arrivait à une dizaine cela serait déjà une avancée. Il faudrait aussi aller au bout de la chaîne afin de pouvoir remettre au maître d'ouvrage un ensemble de documents dématérialisés à jour, notamment les plans du bâtiment. C'est le but notamment de propositions telles que le projet eXpert, qui fera aussi l'objet d'une conférence aux 24 Heures du Bâtiment. Il serait bon enfin de permettre l'intégration des outils de gestion de l'entreprise, afin de les rendre compatibles et inter-opérables avec les plate-formes d'appels d'offres. Mais encore une fois, cela prend du temps...
Propos recueillis par Laurent Perrin