Végétaliser le bâti, que proposent les architectes ?
L’architecture végétalisée, d’hier à aujourd’hui
L’architecture végétalisée n’est pas une idée nouvelle. Le concept a toujours hanté notre imaginaire, même si, au fil des époques, il a changé d’aspect, de langage ou encore de manière de faire. Des jardins suspendus de Babylone jusqu’aux murs végétalisés de Patrick Blanc, en passant par la ville moyenâgeuse qui a laissé peu de place à la végétation, les jardins privés de la royauté lors de la Renaissance, ou encore les maisons scandinaves recouvertes de tourbe par les Vikings, toutes les réalisations ont toujours témoigné de la volonté de l’homme d’intégrer la nature dans la vie de tous les jours.
Au 20ème siècle, les architectes se prennent au jeu et sont nombreux à concevoir une architecture qui ne fait qu’une avec la nature. Donnons l’exemple de Frank Lloyd Wright et sa Dorothy G. Turkel House. La maison dont le salon, appelé la salle de musique, s'étend sur deux étages et dont le second niveau s’ouvre à travers huit portes sur un balcon entouré de jardins. Nous pouvons aussi évoquer la Casa de Vidro, conçue par l’architecte Lina Bo Bardi à São Paulo, la maison qui accueille des artistes, complètement nichée au cœur de la forêt luxuriante. De même, rappelons-nous de l’architecture de Hundertwasser qui, met en avant la végétalisation, dans le but d’améliorer l’environnement urbain. Les constructions réalisées par Renée Gailhoustet et Jean Renaudie furent précurseurs concernant la place du végétal, mais aussi l'importance de l'espace au sein des logements. Leur intervention commune dans la rénovation du centre-ville d’Ivry-sur-Seine témoigne de la richesse des alternatives proposées.
Par ailleurs, au Japon, le centre ACROS (Asian CrossRoad Over the Sea), réalisé à Fukuoka par Emilio Ambasz, est un projet qui se caractérise par son toit végétalisé accessible à tous. L’idée de départ consistait à rendre à la nature le terrain soustrait par la construction.
D’autres constructions comme la Fondation Cartier pour l’art contemporain de Jean Nouvel, la Tower Flower d’Edouard François, et bien d’autres, continuent à questionner sur la limite entre architecture et paysage.
Stade Yves du Manoir. Crédit photo : OLGGA Architectes
Végétaliser le bâti…
Même si la présence du végétal ne date pas d’aujourd’hui, végétaliser un bâtiment existant permet de répondre à une multitude d’enjeux en lien avec les questions du bâti et de l’aménagement durable. Les techniques de végétalisation sont très développées en Europe. En effet, la ville de Bâle détient un record mondial avec 30 % de toitures plates végétalisées.
En France, les architectes ont de plus en plus recours à ces procédés. Ainsi, de nombreux projets avec des toits végétalisés, voient tous les ans le jour. Citons l’exemple de l’agence d’architecture OLGGA qui, dans le cadre des Jeux Olympiques de Paris 2024 a réalisé une nouvelle tribune située au stade Yves du Manoir à Colombes et dédiée à la pratique du rugby et du football. Il s’agit d’une terrasse végétalisée qui sert également de tribune. Elle prend place sur une construction tirée en longueur mais s’insérant avec tact dans le paysage. Les architectes ont élaboré un travail minutieux qui répond non seulement aux exigences d’un programme mais qui fait également la part belle à la végétalisation.
École de Cinéma Cinéfabrique - Vurpas Architectes. Crédit photo : Vurpas Architectes
Nous pouvons donner aussi l’exemple de la restructuration et surélévation d’un ancien lycée technique et d’une maison bourgeoise pour l’école de Cinéma Cinéfabrique à Lyon. Un projet conçu avec sensibilité par Vurpas Architectes, et qui est en cours de construction et sera prêt pour la rentrée 2024. Il s’agit d’un ensemble où la réhabilitation et la surélévation sont privilégiées à la reconstruction et à l’extension. De plus, les cours et espaces extérieurs sont revégétalisés, grâce à un travail paysager pour désimperméabiliser les sols, favoriser la biodiversité mais aussi développer une culture potagère qui alimente les besoins de la cantine. Selon les architectes, pour garder l’ambiance le plus naturelle possible, toutes les toitures seront végétalisées.
Lycée professionnel Charles Tillon à Rennes - Guinée*Potin. Crédit photo : Stéphane Chalmeau
Donnons également un autre exemple marquant : celui de la restructuration et extension du lycée professionnel Charles Tillon à Rennes, un projet réalisé par l’agence d’architecture Guinée*Potin, établie à Nantes. Il s’agit, en plus de travaux sur l’existant, d’engendrer une construction neuve adaptée au lieu, mais aussi un aménagement adéquat, dans le but d’engager une transition entre les pourtours naturels paysagers de la rivière et les autres habitations du quartier. Dans cet environnement organique, ponctué de massifs végétalisés composés d’arbustes, noisetiers, cornouillers sanguins, épines blanches, aubépines et prunelliers, le parvis et les places de stationnements prennent place avec délicatesse tandis que l’extension se développe au sud de l’îlot et privilégie les matériaux biosourcés. Un travail fin qui redonne à la nature ses lettres de noblesses.
Groupe scolaire Samuel Paty - Vurpas Architectes. Crédit photo : Vurpas Architectes
Mais aussi le contexte
À défaut de végétaliser les toitures ou une partie d’un édifice, et dans l’envie de proposer des environnements naturels aux usagers, certains architectes conçoivent un projet paysager qui vient compléter le bâti. Donnons l’exemple de Vurpas Architectes, qui ont proposé à Tassin la Demi-Lune, la création d’un parc public autour du groupe scolaire Samuel Paty. En effet, les architectes ont non seulement conçu une construction neuve avec des matériaux biosourcés, mais un projet qui limite l’emprise au sol et préserve les équilibres naturels en place. « La conception d’un parc et simultanément d’une école dans un parc en fait un projet inédit, qui nous incite à puiser des ressources constructives plus pérennes : le végétal, le bois, l’eau et la terre sont des matériaux au cœur de la conception. Les limites entre l’école et le parc sont intentionnellement atténuées, afin de proposer un équipement pleinement intégré et en dialogue avec son environnement », précisent les architectes. Végétalisation et bâti forment ainsi un duo très réussi.
La végétalisation fait son retour en ville, dans l’espace public, mais aussi en architecture. Certains architectes embrassent plus facilement ces préceptes que d’autres. Quelques-uns ne cessent pas de pratiquer ces idées en les appliquant à leurs projets. Manal Rachdi, le fondateur d’OXO Architectes est un fervent défenseur de la nature en ville. Dans sa monographie, écrite par Éric Garandeau et David Rosenberg, l’architecte dévoile ses collaborations avec Jean Nouvel et Sou Fujimoto. Il présente également ses bâtiments qui composent avec le paysage. De même, à travers sa pratique et son travail de théoricien, Manal Rachdi prône l'intégration harmonieuse et durable de la nature dans l'architecture, ainsi que son approche sensible vis-à-vis du contexte. Pour l’architecte, depuis toujours, architecture rime avec nature. Végétaliser le bâti reste ainsi un sujet d’actualité qui regarde vers le futur !
> Consulter le dossier spécial Végétalisation du bâti
Sipane Hoh
Photo de une : ©Stéphane Chalmeau - Restructuration et extension du lycée professionnel Charles Tillon à Rennes - Guinée*Potin