Végétalisation du bâti : quand le bâtiment et le paysagisme se croisent
Symbole de la construction durable, la végétalisation se développe de plus en plus sur le bâti. Germe ainsi une autre question : quel rôle pour les paysagistes dans cette tendance ?
S’il y a bien un interlocuteur qui peut nous répondre, c’est l’Union Nationale des Entreprises du Paysage (Unep). La structure réunit 32 450 entreprises du paysage en France, création et entretien confondus. Toutefois, « les derniers chiffres montrent que la partie création est en forte augmentation. Parce qu'autrefois, on était un peu sur du moitié-moitié de notre chiffre d'affaires. Aujourd'hui, on est à près de 60 % de création, dont la végétalisation du bâti. C’est une activité plus récente que d'autres », nous expose son président Laurent Bizot.
Et de poursuivre : « Dans les chiffres, on s'est rendu compte qu'il y avait une augmentation du nombre d'entreprises qui exerce cette activité de végétalisation du bâti. Le dernier chiffre, c'est sur l'année 2022, où l'on est passés de 6 à 17 % de nos entreprises en quatre ans ».
De la végétalisation sur le bâtiment certes, mais où ?
Avant de se pencher sur l’importance des paysagistes, il convient quand même de s’intéresser aux parties du bâti où la végétalisation est la plus propice. « Essentiellement sur les toitures-terrasses », nous répond Laurent Bizot, avant de poursuivre : « La végétalisation se fait plus en partie horizontale qu'en partie verticale. Ce n'est pas pour autant qu'on néglige la partie végétalisation des façades, parce que bien évidemment, il y a de nombreux avantages à végétaliser une façade. On le voit déjà à travers les plantes grimpantes, comme les lierres ou bien les vignes vierges, sur beaucoup de façades d’immeubles parisiens. Même si c'est un avantage pour la création d’îlots de fraîcheur, de biodiversité, cela présente quand même des contraintes ».
Des contraintes essentiellement d’entretien, avec un risque de prolifération de maladies et d’insectes. D’où l’intérêt grandissant des végétalisations de toitures selon le président de l’Unep. « D’autant qu’il y a quand même des réglementations qui évoluent. Ne serait-ce que par rapport à la loi Climat et Résilience, on avait commencé à aborder la végétalisation de parkings. On va vers des toitures-terrasses avec une loi, du début de l'année, qui oblige soit de végétaliser la surface, soit de les équiper en panneaux photovoltaïques. Pour nous, le cadre légal favorise cette végétalisation », développe-t-il.
De plus, « techniquement, on peut considérer que sur un plan horizontal, même si bien évidemment on est loin d'être en pleine terre, on se rapproche plus d’une jardinière. Et on maîtrise beaucoup plus le substrat, parce que la hauteur de ce substrat va être différente en fonction des cultures », précise M. Bizot.
Une chose est sûre : « La végétalisation du bâti est aussi un des moyens de renaturer nos villes. On parle de 80 % de gens qui vont habiter dans les villes. La partie au sol, quant à elle, est limitée. Les communes font ce qu'elles peuvent, on le voit bien, pour planter des arbres, désartificialiser des sols, etc. ». Mais en parallèle, 70 à 80 % d'une ville se constitue de zones privées, rappelle le président de l’Unep. Si les immeubles de bureaux ont bien assimilé le végétal dans leur structure, il reste les copropriétés à convaincre. En attendant, « la partie toiture est un des moyens complémentaires pour végétaliser nos villes ».
Une activité de plus en plus absorbée par les entreprises du bâtiment…
Par conséquent, la végétalisation des toitures devient une frange d’activité au sein des entreprises du bâtiment. Tout particulièrement parmi les étancheurs. « C’est une activité complémentaire dont ils se sont saisis en proposant une végétalisation sur un système extensif. Ils vont refaire l'étanchéité et puis après ils vont proposer de mettre des plaques de drainage et puis de mettre une plante qu'on appelle souvent un sédum, une plante plus ou moins basse, assez facile d'entretien, peu exigeante en arrosage, etc. »
Si cela peut constituer une première approche en termes de végétalisation du bâti, ce niveau de système ne vaut pas forcément un système intensif, qui comprend des plantes et un susbtrat plus hauts. « Sur des systèmes intensifs, on va même pouvoir planter de grands arbustes ou de petits arbres », nous évoque notamment Laurent Bizot. En contribuant à la formation d’îlots de fraicheur, cette végétalisation limite aussi le recours à la climatisation et autres dispositifs énergivores. Or, le système est plus onéreux.
Un compromis existe toutefois : le semi-intensif. Le substrat est plus faible et les plantes moins foisonnantes que pour l’intensif. Ce qui permet « des possibilités de végétalisation différentes avec des plantes vivaces. On va pouvoir y mettre toute forme de plantes herbacées, des arbustes, etc. », nous indique toutefois le président de l’Unep. « Sur un système semi-intensif, on retrouve au niveau énergétique beaucoup plus d'avantages que sur un système extensif, et puis il favorise beaucoup plus la biodiversité », ajoute-t-il.
D’où l'importance de l'expertise d'un paysagiste, afin d’installer ces systèmes plus développés. « On peut faire beaucoup mieux en termes esthétiques. Parce qu'il ne faut pas oublier que végétaliser une toiture, c'est aussi une part d'esthétisme, et c'est quand même plus agréable. Parfois, on se retrouve sur un immeuble plus haut que l'autre et qui plonge sur cette toiture. L’idéal, c'est aussi qu'il plonge sur un jardin, plus agréable que sur une toiture avec un revêtement bitumé et une étanchéité », soutient le président de l’Unep.
… mais où l’expertise des paysagistes est nécessaire
Laurent Bizot remarque par ailleurs que « le profil des entreprises du paysage est en pleine évolution ».
« On voit beaucoup d'entreprises du bâtiment et de grosses structures qui rachètent des entreprises du paysage. Cela peut prêter à discussion, mais je dirais qu'il faut, de notre côté, presque s'en féliciter. Parce que s'ils rachètent des entreprises du paysage, c'est parce que premièrement il y a des marchés qui s'ouvrent, et deuxièmement ils voient à travers les entreprises du paysage une compétence », nous détaille-t-il. Le président de l’Unep nous confie également : « Pour avoir des relations avec des grands acteurs de la construction, ils nous disent ouvertement que nous sommes les experts du végétal »
Cependant, l’union déplore que ses professionnels ne soient pas systématiquement sollicités dans le développement des projets, et plus précisément, en amont des travaux.
« Ce qui se passe souvent, c'est qu’il y a un syndic de copropriété qui va mandater un architecte. Or, l’architecte ne va pas en amont forcément consulter un paysagiste-concepteur. Si on est appelé, ce sera un peu en dernière ligne droite », nous explique M. Bizot.
L’Unep milite afin que, dans un projet de toiture-terrasse végétalisée, les professionnels du paysagisme soient consultés dès le début. Déjà pour aborder les contraintes techniques : « Si l'on veut réaliser un projet en semi-intensif, il va nous falloir 40 cm de substrat, la mise en place d'une irrigation, donc cela veut dire des points d'eau qui vont être mis à tel ou tel endroit, etc. Et tous ces travaux-là, pour établir le cahier des charges, ils doivent se faire avant, et pas à la fin », illustre le président de l’union.
Et puis, il y a la partie budget : « Malheureusement, il y a encore trop de marchés où la partie végétalisation est dans le lot de la partie réfection d'étanchéité. Et nous, notre demande, c'est d'avoir un lot étanchéité et un lot végétalisation de ces terrasses ciblé, et d’y répondre directement ».
Le paysagisme veut voir des talents fleurir
Au sein de l’Unep, l’heure est à la promotion de cette expertise, auprès d’autres structures telles que la FNAIM, par exemple. « Aujourd'hui, au niveau de notre organisation professionnelle, on a un groupe technique des métiers spécialisés dans la végétalisation du bâtiment », complète Laurent Bizot. Parmi les missions de ce groupe : travailler sur des règles professionnelles de la végétalisation du bâtiment, des actions de lobbying auprès des donneurs d'ordre, et bien évidemment accompagner ses adhérents sur les problématiques métier et formation.
D’autant que, comme dans le BTP, le paysagisme ne demande qu’à recruter des jeunes pousses, en reconversion et insertion compris. « Pour vous donner un chiffre, on embauche 35 personnes par jour, et il nous en manque 40», estime le président de l’Unep.
« On a cette chance d’avoir un métier qui évolue vraiment. On fait tout pour communiquer dessus et montrer que c'est un métier qui change. Nous sommes un métier qui va continuer à faire de beaux jardins, qui va continuer à faire de l'ornement. Mais nous sommes aussi un métier, comme beaucoup d’autres, qui s’inscrit dans un champ de transition écologique, d'amélioration de l'environnement et de la vie des habitants dans les villes », conclut M. Bizot.
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Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de Une : Unep - Thierry Muller - Geispolsheim