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Réhabilitation des bâtiments, qu'en pensent les architectes ?

Publié le 27 janvier 2025

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La réhabilitation d'un bâtiment consiste en un travail complexe car elle englobe la maîtrise des techniques de rénovation, souvent en accord avec les exigences des normes actuelles. Des interventions qui peuvent s'avérer coûteuses et difficiles à mettre en œuvre. C'est pourquoi faire appel à des architectes spécialisés dans le patrimoine et le bâti ancien peut se révéler indispensable. Quel est l'opinion des professionnels qui se heurtent quotidiennement à ce genre d'opération ? Voici l'avis d'experts et d'architectes ayant réhabilité divers projets patrimoniaux.
Réhabilitation des bâtiments, qu'en pensent les architectes ? - Batiweb

Trouver des personnes chevronnées pour mener à bien un projet de réhabilitation et de rénovation d’un immeuble patrimonial peut parfois représenter un énorme défi. Cela nécessite une demande d’autorisation spécifique et de recourrir à des artisans aux compétences notoires. Réhabiliter un édifice, qu’il soit patrimonial, inscrit ou classé, c’est avant tout pouvoir conserver son identité. Il est également impératif de prendre en considération les matériaux utilisés, car de nos jours, la restauration a changé de paradigme. Les nouveaux enjeux énergétiques et environnementaux peuvent influer à leur tour les processus des travaux menés.

Réhabilitation d'un hôtel particulier pour l'installation de l'École ESMOD International / AW² - Crédit photo : Patrick Tournebœuf

Rénover et moderniser, usages et procédés

 

L’une des caractéristiques d’une réhabilitation tient dans l’évolution du bâti voué à un changement de fonction. Stéphanie Ledoux, associée de l’agence AW² qui œuvre sur plusieurs projets à travers le monde, déclare : « On travaille dans le monde entier et dans des pays très différents. Entre aujourd'hui et le moment où on a commencé à travailler à l’étranger - il y a 27 ans - on observe une vraie évolution dans la notion du patrimoine. Il y a des pays qui, il y a 20 ans, étaient dans une dynamique de démolition reconstruction, car c’était plus rapide et moins cher. Ils sont aujourd'hui dans une dynamique de compréhension du bénéfice d’utiliser du patrimoine. À présent, nous ne sommes plus les seuls à détenir cette notion. C’est quelque chose que l’on observe dans l’évolution de beaucoup de pays émergents et c’est plutôt positif ».

L’agence a par exemple un grand projet de réhabilitation au Maroc. Donnons l’exemple d’une réalisation livrée il y a une dizaine d’années : l’École Supérieure des Arts et Techniques de la Mode (ESMOD). L’associée de AW² insiste sur la notion d'« intelligence du site », c’est-à-dire, tout ce que le lieu a à offrir avant même l’intervention. « Ce qui est important, c’est d’analyser ce qu’on peut en extraire pour pouvoir créer du nouveau ». C’est ce que AW² a appliqué à ESMOD, qui était un hôtel particulier et dont le patio central a été conçu par les Ateliers Eiffel. Le bâtiment a eu plusieurs fonctions et est devenu une agence bancaire avant l’intervention. « En arrivant, notre premier travail a été d’enlever tous les emballages qui avaient été rajoutés pour redonner au lieu son expression d’origine en termes d’espace, de matière, de lumière et de structure. Ensuite, on a élaboré sur la base de l’existant pour pouvoir créer une compatibilité avec un usage nouveau qui est celui d’une école de mode ».

Le bâtiment n’est pas classé, en revanche, il s’agit d’un ancien hôtel particulier avec pignon sur rue. Le travail des architectes consistait à redonner à l’édifice son expression naturelle. L’opération était néanmoins complexe car l’atrium central avait été emballé dans du plâtre. Le duo de AW² souhaitait mettre à jour tous les éléments de décoration témoins de l’époque. Sauf que leur tâche était ardue et les prouesses techniques réalisées étaient très compliquées. Pour révéler les éléments de l’atrium central, tout en répondant favorablement à la stabilité au feu, les architectes ont inventé un procédé d’injection de granules de vermiculite entre les capeaux et les poteaux aciers qui sont à l’intérieur. Une opération délicate et osée, réalisée en perçant des trous en haut de la structure pour injecter jusqu’en bas des poteaux la vermiculite. Cela a nécessité évidemment un avis de chantier et une grande force de persuasion.

Par ailleurs, toujours dans le but de la stabilité des couloirs au feu, ils ont créé des écrans de cantonnements, des coffres intégrant des stores déroulants qui descendent avec une toile stable au feu. En cas de détection d’incendie, cette astuce crée un écran et permet de cantonner les fumées dans l’atrium et d’avoir les dégagements libres. Ensuite les escaliers ont dû être encloisonnés, en recréant des habillages en plâtre léger derrière la structure pour enfermer les escaliers et intégrer des vitrages coupe-feu. « Techniquement c’était très compliqué » souligne Stéphanie Ledoux.

Réhabilitation du musée de Lodève / Atelier Projectiles - Crédit photo : Vincent Fillon

Hervé Bouttet, l’un des fondateurs de l’agence d’architecture Projectiles établie à Paris, nous raconte le projet du Musée de Lodève, dont les travaux ont été terminés en 2019. En effet, celui-ci, installé dans un hôtel particulier datant des XVIIème et XVIIIe siècles, a ouvert un nouveau chapitre de son histoire grâce à l’intervention de Projectiles.

L’agence a réhabilité un patrimoine vieillissant, tout en créant une extension contemporaine afin de doubler les surfaces d’accueil et d’exposition. Les divers éléments patrimoniaux marquants, comme l’escalier avec son mur d’échiffre et les portes, inscrits ou classés Monuments Historiques, ont été restaurés. La façade quant à elle a été remise en valeur et l’ensemble a subi une réhabilitation aussi minutieuse que pointue. L’approche des architectes a été « la plus raisonnée », pour renouer avec l’histoire tout en se projetant vers le futur.

À Paris, « Les Ateliers du Parc » constitue un ensemble immobilier contenant plusieurs immeubles de bureaux construits sur deux périodes. Le bâtiment historique le plus ancien, bâtiment dit Eiffel et datant du début du XXe siècle, contient de vieux éléments de construction. Les façades de cette construction, ainsi que la rotonde en toiture, sont inscrites à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. La partie construite en 1923 accueille actuellement une cafétéria au rez-de-chaussée, qui faisait partie d’une restructuration datant des années 90.

L’agence F8 Architecture a été mandatée pour créer une verrière en lieu et place de l’ancienne terrasse afin d’agrandir la salle de restauration. Cette extension, largement vitrée, est censée offrir aux usagers un nouvel espace au confort thermique régulé. Les architectes, après avoir étudié minutieusement l’ensemble des caractéristiques de l’existant, ont proposé une extension qui présente dans sa conception des alignements et des proportions faisant échos à l’existant. Le vocabulaire industriel a été gardé et le nouveau bâti s’accorde parfaitement à l’ancien. Selon les architectes, l’intervention aussi complexe que pointue, une fois terminée, a donné satisfaction.

Réhabilitation de 373 logements collectifs et locaux commerciaux à Paris / Atelier Téqui Architectes - Crédit photo : KDSL

Toujours dans la capitale, Atelier Téqui Architectes a été mandaté pour réhabiliter 373 logements collectifs et locaux commerciaux situés dans l’ilot Censier-Santeuil-Geoffroy Sainte Hilaire, conçu par Léon et Jean Schneider. Le projet est remarquable car non loin d’édifices patrimoniaux de grande valeur architectural. Dans le but d’améliorer l’aménagement des halls, la rénovation des façades et les entrées de la résidence, tout en diminuant et améliorant le confort des logements, Atelier Téqui Architectes a proposé le remplacement des menuiseries PVC existantes par des menuiseries de type bois-alu. 

L’usage du double vitrage a été privilégié ainsi que l’isolation et la fermeture homogène des anciens séchoirs. Les logements feront l’objet de travaux d’amélioration thermique, de mise aux normes électrique et de rénovation des pièces humides. Par ailleurs, les espaces extérieurs seront mis en accessibilité et valorisés par l’ajout de surfaces végétalisés. Atelier Téqui Architectes procèdera à un diagnostic ressources pour évaluer les possibilités de réemploi et de réutilisation des matériaux issus des bâtiments existants dans l’objectif de 70% de valorisation.

Réhabilitation d'un hôtel particulier pour l'installation de l'École ESMOD International / AW² - Crédit photo : Patrick Tournebœuf

Intervenir sur un projet patrimonial, un travail aisé ?

 

Stéphanie Ledoux souligne que pour ESMOD, il a fallu se concerter avec l’architecte des bâtiments de France, qui a saisi que l’intention de l’agence AW² était de restituer le bâtiment. Il ne s’agissait pas d’un immeuble classé ni inscrit mais en covisibilité avec des bâtiments inscrits et classés, la démarche des architectes étant volontaire et non pas contrainte. « C’était un boulot difficile où on a redonné à l’atrium ses qualités », souligne l’architecte avec fierté.

L’agence Projectiles possède une multitude de réalisations localisées au sein de sites historiques. « Le lieu était là avant nous et il sera là après nous », souligne Hervé Bouttet, qui est conscient de la nécessité de la réhabilitation des sites patrimoniaux, dans le but de les faire revivre pour les générations futures. Dans chacun des projets de l’agence, les architectes s’associent avec des architectes de patrimoine. C’est en compagnie de ces derniers que le concept évolue. Le temps de l’opération pouvant parfois s'étaler sur plusieurs années, le choix est donc décisif. Dans de telles réalisations, les discussions sont les plus importantes, selon l’associé de Projectiles. Le travail est complexe, d’autant plus qu’il existe plusieurs paramètres à considérer et solutions à concilier.

Réhabilitation du musée de Lodève / Atelier Projectiles - Crédit photo : Vincent Fillon

Quid de l'écologie ?

 

Dans le projet ESMOD, l’écologie consistait en l’économie des matières. En effet, les architectes ont réutilisé les sols existants. « Nous avons tout arraché et poncé, on a redonné vie à l’existant ». Concernant les parquets d’origine, ils ont été restitués, ce qui est très intéressant d'un point de vue environnemental. Les architectes ont assumé le statut existant et ont également rempli de ciment les divers trous des céramiques. Le réemploi se prête à l’esprit de transition permanente que véhicule l’école de stylisme. Il s’agit, selon l’architecte, d’un lieu où on se réfère à l’histoire, au passé et au futur, où on invente aussi. « Dans un espace comme celui-ci, transitionnel, on exprime toute la stratification du temps et cela a beaucoup de sens ».

Les architectes de Projectiles, qui interviennent très souvent sur des constructions muséales et historiques, donc énergivores car répondant à des critères strictes, ont privilégié pour le Musée de Lodève de climatiser certaines collections nécessitant la préservation en tempérant le reste du bâtiment. Pourtant, dans ce genre de projets, et pour des raisons de préservation, la climatisation des salles semble nécessaire.

L’une des questions essentielles étant, selon Hervé Bouttet : « est-ce qu’il fallait traiter toutes les salles de la même manière ? ». Pour tempérer l’ensemble, un patio a été créé dans la cour intérieure du monument historique entre autres. La ventilation naturelle a été mise en avant, non sans oublier que leur geste pouvait poser d’autres difficultés comme celle de la sécurisation du site par exemple. Pour élaborer un tel projet bioclimatique, rien ne devait être négligé. L’architecte d’intérieur, qui est également scénographe, souligne qu’il s’agissait de trouver la réponse la plus juste aux diverses exigences fonctionnelles, économiques et environnementales. Le Musée de Lodève, une fois terminé, a reçu plusieurs distinctions et constitue aujourd’hui un bel exemple dans son genre.

Habituellement construits et restaurés avec des matériaux traditionnels, dont l’extraction ou la production sont locales, les monuments historiques et les bâtiments patrimoniaux répondent favorablement aux préoccupations environnementales actuelles pour tout ce qui concerne l’utilisation des ressources. La réhabilitation du bâti ancien consiste à améliorer et revaloriser l’existant mais aussi à transformer le déjà-là tout en l’adaptant aux normes actuelles et aux diverses exigences futures. Certaines approches peuvent changer mais le but reste le même : limiter les démolitions et veiller au respect du caractère architectural des bâtiments. Un ensemble de préoccupations qui convergent vers une meilleure qualité de réalisations.

Les modes d’habiter et de travailler changent, le futur de l’architecture passera avant tout par la réhabilitation. Auguste Perret a dit un jour : « L’architecture, c’est ce qui fait les belles ruines ». Ces belles ruines savent aussi se réveiller sous l’élan de l’architecture.

 

Sipane Hoh

Photo de une : ©Vincent Fillon

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