Le Monde dévoile des « arrangements troubles » entre Lafarge et l'Etat islamique
Le 19 septembre 2014, le groupe Lafarge avait évacué et suspendu l'activité de son usine de Jalabiya en Syrie,située à 150 kilomètres au nord-est d'Alep« pour cause de sécurité ». Selon les informations de Rami Abdel Rahmane, directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), relayées à l'époque par l'AFP, il avait été victime de l'Etat islamique.
Ce mardi, cette affaire revient sur le devant de la scène et prend un tout nouvel angle. Le Monde affirme dans ces colonnes que le cimentier Lafarge a tenté en 2013 et 2014 de faire fonctionner « coûte que coûte » son usine en Syrie « au prix d'arrangements troubles et inavouables avec les groupes armés environnants, dont l'organisation Etat islamique (EI) »
Rachetée par Lafarge en 2007 et mise en route en 2011, l'usine maintient sa production « jusqu'en 2013 », « malgré une instabilité croissante dans la région due à la guerre civile qui a débuté en 2011 », relève le quotidien.
Mais « à partir du printemps 2013 », l'EI « prend progressivement le contrôle des villes et des routes environnant l'usine de Lafarge », ajoute le journal.
« Des courriels envoyés par la direction de Lafarge en Syrie, publiés en partie par le site syrien proche de l'opposition Zaman Al-Wasl et que Le Monde a pu consulter, révèlent les arrangements de Lafarge avec le groupe djihadiste pour pouvoir poursuivre la production jusqu'au 19 septembre 2014, date à laquelle l'EI s'empare du site et Lafarge annonce l'arrêt de toute activité », explique Le Monde.
« La direction de Lafarge à Paris était au courant »
Lafarge, qui cherche à garantir l'accès à l'usine de ses ouvriers et des marchandises, missionne notamment un certain Ahmad Jaloudi « pour obtenir des autorisations de l'EI pour laisser passer les employés aux checkpoints ».
Des échanges de courriels « permettent de conclure que la direction de Lafarge à Paris était au courant de ces efforts», selon Le Monde.
Autre preuve du quotidien: « un laissez-passer estampillé du tampon de l'EI et visé par le directeur des finances de la wilaya (région) d'Alep, daté du 11 septembre 2014, atteste des accords passés avec l'EI pour permettre la libre circulation des matériaux ».
Pour pouvoir fabriquer le ciment, Lafarge est aussi passé par « des intermédiaires et des négociants qui commercialisaient le pétrole raffiné par l'EI, contre le paiement d'une licence et le versement de taxes », assure le
journal.
Un site abandonné
Depuis 2014, Lafarge a abandonné ce site dont les silos ont été vidés. Selon le site Intelligence Online, l'homme d'affaires syrien canadien Amro Taleb propose à la direction de « reprendre la production sous la protection des nouveaux occupants du site - « des hommes d’affaires de Rakka », en fait les chefs locaux de l’Etat islamique – en échange de 15 % de la production. Lafarge décline », souligne le Monde.
« Amro Taleb serait revenu à la charge en se présentant directement au siège parisien de l’entreprise, rue des Belles-Feuilles dans le 16e arrondissement, en janvier 2015, le même jour que l’attentat contre Charlie Hebdo. Lafarge prend peur et veut couper tout contact, même indirect, avec l’EI », détaille le quotidien.
En février 2015, l’EI a quitté la zone, chassé par les combattants kurdes des YPG.
Contactée par Batiweb, le groupe Lafarge-Holcim confirme qu' « entre 2010 et 2014, Lafarge a exploité une cimenterie à Jalabiyeh en Syrie, à 160 km environ au nord-est d’Alep ».
« D’une capacité de 3 millions de tonnes, elle approvisionnait environ un tiers du marché local, répondant à un besoin de première nécessité de la population et aux besoins de développement économique de la Syrie », précise-t-il.
« Lorsque le conflit s’est rapproché de la zone de l’usine, la priorité absolue de Lafarge a toujours été d’assurer la sécurité et la sûreté de son personnel, tandis que la fermeture de l’usine était étudiée. Dès septembre 2014, Lafarge a suspendu les opérations de l’usine de Jalabiyeh. A cette date, l’ensemble des collaborateurs a été évacué, mis en congés payés et l’accès à l’usine leur a été interdit.
En décembre 2015, compte tenu de l’évolution de la situation en Syrie, il a été décidé de mettre en œuvre un plan incluant des licenciements et, quand cela était possible, le transfert de certains collaborateurs dans d’autres unités du Groupe », souligne Lafarge-Holcim.
C.T (avec AFP)
© Image prétexte - Centrale à béton de Iasi, Roumanie, Lafarge DR/Creedy Smith Justin