Rénovation de bâtiments classés : le casse-tête des menuiseries
Rénover un bâtiment classé ou situé en zone classée n’est pas une mince affaire, et atteindre des performances thermiques satisfaisantes peut se révéler encore plus complexe.
En effet, les souhaits des propriétaires peuvent parfois se heurter à l’avis des architectes des bâtiments de France (ABF). L’objectif premier des ABF : conserver l’histoire du bâtiment et l’aspect esthétique, notamment des façades.
« Le cahier des charges imposé par l’ABF peut concerner des matériaux, un type de bois, des formes, ou des couleurs », nous détaille Carlos da Torre, responsable des ventes de Janneau, qui a récemment travaillé sur la rénovation du château de Nainville-les-Roches (Essonne).
Conserver le simple vitrage, un non-sens ?
Exit donc l’isolation thermique par l’extérieur (ITE), l’installation de volets s’ils ne sont pas déjà existants, voire la pose de menuiseries à double vitrage. Cette dernière contrainte constitue un non-sens, selon le délégué général de l’UFME, dans un contexte où la France s’est fixée des objectifs en matière de rénovation énergétique des passoires thermiques.
« Le fait d’imposer du simple vitrage n’a aucun sens puisqu’on ne voit pas la différence de l’extérieur. Aujourd'hui, les menuiseries fabriquées par nos entreprises françaises offrent de très hauts niveaux de performances thermiques tout en respectant l’esthétique des ouvrages. Pourquoi ne pas en faire profiter les bâtiments historiques et faire rimer confort et respect architectural ? », s’interroge-t-il.
« Il serait peut-être opportun que certains architectes des bâtiments de France revoient leur dogme autour du simple vitrage. Rénovés de cette manière, les bâtiments historiques seront très déperditifs en termes d'énergie primaire et seront générateurs de passoires thermiques (classes F ou G) qui sont à éradiquer. Ce n’est pas en rénovant avec des menuiseries simple vitrage qu'on va gagner 3 ou 4 classes, c'est impossible », insiste le délégué général de l’UFME.
Il cite l’exemple de la rénovation du conseil régional de Strasbourg. Dans ce cas précis, le directeur technique souhaitait installer du double vitrage, mais l’architecte des bâtiments de France voulait de son côté conserver du simple vitrage : « Le directeur technique avait 600 employés dans le conseil régional, et il me dit "J'en suis malade monsieur, mes salariés auront froid et on mettra des radiateurs". Et bien l'architecte a gagné. Ils ont mis des radiateurs électriques et ils consomment plein d'énergie, parce que les employés sont gelés bien évidemment », regrette Philippe Macquart.
« Aujourd’hui, il y a des simples vitrages qui sont sortis et qui permettent d'avoir une performance énergétique ou phonique améliorée », tempère de son côté Carlos da Torre, responsable des ventes de Janneau. « Mais on va difficilement aller chercher les performances d’un double vitrage », reconnait-il.
Quid du confort d’été, lorsqu’il n’est pas possible d’installer des volets ? « Aujourd’hui, avec le développement des techniques, on peut proposer des vitrages qui vont améliorer le confort d'été avec une protection solaire qu'on peut avoir directement sur les vitrages et qui sont neutres en termes d'aspect », nous répond Carlos da Torre.
La menuiserie bois souvent à l’honneur
Autre absurdité, selon Philippe Macquart : l’obligation d’installer des menuiseries bois, à l’heure où les fabricants sont capables de tromper l’œil et d’imiter de façon extrêmement précise ce matériau.
« Les architectes des bâtiments de France ont souvent la volonté d’interdire la mise en œuvre de menuiseries PVC ou aluminium. C’est une décision à revoir absolument puisqu’aujourd’hui une fenêtre PVC, aluminium ou bois peuvent avoir de l’extérieur une esthétique totalement similaire», estime M. Macquart. « On peut faire des choses thermiquement performantes tout en conservant l'architecture et l’esthétique extérieure », assure-t-il.
« Cela fait 25 ans que je travaille dans le secteur de la fenêtre, et pourtant je me fais encore leurrer par certaines gammes de fenêtres imitant l’aspect bois. Je mets quiconque au défi de reconnaître le matériau de ces fenêtres à 4 ou 5 mètres de distance », poursuit-il.
Et d’ajouter : « Ne fermons pas les portes – c’est le cas de le dire – en excluant des matériaux ».
« Il peut y avoir des exigences sur le fait de conserver les mêmes matériaux. Parfois même jusqu'à l'absurde, lorsqu’on exige que les produits soient fabriqués en utilisant les techniques de l'époque, pour qu'ils soient vraiment identiques aux produits remplacés », abonde Vladimir Luzhbin-Asseev, responsable technique du groupement Actibaie.
Mais d’ailleurs, quel est le bois le plus fréquemment utilisé pour la rénovation des menuiseries ?
Comme le meilleur rapport qualité-prix est souvent recherché, il s’agit fréquemment d’essences de résineux plaqués avec des essences nobles, ou des bois exotiques, nous explique le délégué général de l’UFME.
Le chêne français, apprécié pour des raisons écologiques, reste rare car très onéreux, selon Philippe Macquart.
« Dans certaines villes comme Paris, par exemple, c'est systématiquement du chêne puisque les bois exotiques sont proscrits - en tous cas pour les bâtiments qui appartiennent à la ville », nous indique toutefois le responsable des ventes de Janneau.
« Le fait que les fabricants français aient de moins en moins le réflexe d'utiliser des bois tropicaux, tant mieux. Néanmoins, il y a des bois tropicaux plantés, comme le curupixa ou d'autres essences, qui sont tout à fait utilisables et issus de forêts gérées de manière totalement responsable. Donc il ne faut pas faire une croix complète dessus », ajoute de son côté Philippe Macquart.
Qu’en est-il de l’ouverture la plus souvent demandée en rénovation de patrimoine ?
« Bien souvent, c’est de la fenêtre bois avec ouverture à la française. Ce qu’on appelle la fenêtre à "mouton et gueule de loup". Ce sont de grosses sections de bois avec des crémones ou des espagnolettes, pour retrouver le style d'époque. Avec même, assez souvent, dans certains bâtiments prestigieux, de la récupération des crémones existantes, avec le sablage et le vernissage pour pouvoir les réadapter sur les nouvelles fenêtres», nous répond Carlos da Torre.
Pour s’adapter à ces demandes spécifiques, certains fabricants développent aujourd’hui des gammes dédiées à la rénovation du patrimoine. C’est le cas de Janneau, avec ses gammes « Patrimoine », « Montaigne » et « Cambronne ».
Le délégué général de l’UFME cite également l’exemple de Molenat et Bourneuf (groupe Lorillard).
Les volets n’échappent pas à la règle
Côté volets, dans certaines zones classées, une typologie bien précise de volets peut être imposée, en accord avec le PLU.
« Par exemple, dans la ville de Versailles, il y a beaucoup de volets battants qui ressemblent énormément aux volets utilisés à l'époque de la construction de la ville. Et aujourd'hui, quand on veut changer de volets ou de stores, on est obligé de rester sur la même typologie de produits », explique le responsable technique du groupement Actibaie.
Il peut en aller de même pour la couleur des volets. Ainsi, en 1996, les maires des 10 communes de l’île de Ré signaient un arrêté rendant obligatoire la couleur verte sur les volets et portes, pour garder une certaine identité et unité.
Propos recueillis par Claire Lemonnier
Photo de une : Adobe Stock