RE2020 : retours contrastés des acteurs de la construction
Les orientations de la RE2020 présentées hier par les ministres Barbara Pompili et Emmanuelle Wargon n’ont pas fait l’unanimité dans un secteur de la construction qui se caractérise, entre autres, par la diversité de ses activités. Ainsi, si les uns ont salué les mesures envisagées dans le cadre de la réglementation environnementale, les autres ont fait part de leurs inquiétudes.
L’ensemble de l’industrie gazière, au travers de l’Association Française du Gaz, a exprimé sa déception. Patrick Corbin, Président de l’AFG, commente : « La RE2020 prévoit la sortie du gaz dans le logement neuf ; dès l’entrée en vigueur des décrets en 2021 pour les maisons individuelles et à partir de 2024 pour les logements collectifs. Alors que le réseau de gaz naturel sera de plus en plus renouvelable à horizon 2050, le gouvernement fait fi des gaz renouvelables pour les logements neufs. »
Si Barbara Pompili a estimé hier qu’il « n’y aurait pas d’augmentation de la consommation d’électricité à travers la RE2020 » dans la mesure où les bâtiments seront plus efficaces, les échanges sur la question de la pointe électrique doivent se poursuivre, souligne Patrick Corbin. « En effet, bien que ces logements gagneront en efficacité énergétique, ils augmenteront la charge de la pointe, passant de 200 000 à 400 000 nouveaux logements à l’électricité chaque année ».
Lors des 11èmes Rencontres des EnR, Bernard Aulagne a déclaré : « Alors que RTE appelle à la vigilance sur les hivers à venir, la stratégie portée par la France d'électrification des usages questionne sur la capacité à répondre aux besoins, à l'ensemble des besoins ». (Source Twitter).
Dans un communiqué, la Fédération Française du Bâtiment rappelle que des investissements « conséquents » ont été faits pour développer le gaz vert et maintenir un réseau de distribution « de qualité ». « Au-delà de l’incohérence de ces choix politiques, il s’agit là de la mort annoncée à terme d’une filière porteuse d’emplois qualifiés, choix d’autant plus désastreux que les équipements concernés s’avèrent majoritairement produits en France ».
« Le choix d’éradiquer à très court terme le vecteur gaz demeure incompréhensible, à l’heure où des investissements considérables sont réalisés pour accélérer son verdissement et où les solutions alternatives peinent à devenir compétitives », déclare pour sa part le Pôle Habitat FFB.
Bois vs Béton ?
Concernant la volonté du Gouvernement de soutenir la construction bois, et d’en faire la norme pour la maison individuelle, la FFB s’est dit « favorable » à un accroissement des matériaux biosourcés. Elle considère cependant que « compte tenu des parts de marchés actuelles et du manque de visibilité sur les capacités de production françaises, cette trajectoire sous-estime les nécessaires adaptations des différentes filières ». Un argument partagé par le Pôle Habitat FFB : « La trajectoire semble sous-estimer les délais dans lesquels une telle révolution peut être accomplie, tant par l’outil industriel que par le tissu d’entreprises et d’artisans locaux ».
Interrogé hier, lors d’une conférence de presse, sur les annonces du ministère, l’Union des Industriels et Constructeurs Bois et biosourcés (UICB) a regretté que les ministres soient restées floues « sur le seuil carbone des produits de construction ». Bien sûr, le recours massif aux matériaux biosourcés est positif pour la filière qui doit encore s’organiser. Frédéric Carteret, son Président, est revenu sur le prix de la construction bois, 5% supérieur à la construction traditionnelle, a-t-il reconnu. Un coût qui se doit essentiellement « à un problème de massification et de densification. Pour obtenir le meilleur prix, il faut arriver à un niveau minimal de production ». La filière est dans tous les cas « en ordre de bataille pour avancer », a assuré Dominique Cottineau, récemment nommé Délégué Général de l’UICB.
Selon l’UICB, la RE2020 va « transformer l’ensemble de la construction. Tous les majors de la profession sont restés essentiellement sur la filière béton, ils savent aujourd’hui qu’ils doivent aller vers la filière bois ».
Qu’en pensent les fabricants de matériaux ? Dans un communiqué commun, la filière béton, le FILMM, et le Syndicat de la construction métallique de France, dénoncent la modification de la comptabilisation du carbone, alors même qu’une méthode d’« ACV classique », normée et utilisée par tous les pays européens de façon homogène, a fait ses preuves. Rappelons que la RE2020 introduit la notion d’ACV dynamique qui attribue « un poids plus fort au carbone qui est émis aujourd’hui qu’au carbone qui sera émis demain ». Les fédérations pointent une approche qui « transfère la responsabilité de la bonne gestion des émissions des produits et matériaux des bâtiments construits aujourd’hui aux prochaines générations, ce qui est éthiquement contestable et opposé aux principes du développement durable ». De plus, « cette méthode de comptage, extrêmement favorable aux matériaux biosourcés, déstabilisera une filière qui peine à se structurer ».
L'AIMCC (Association des Industries de Produits de Construction) craint que l’orientation prise par les pouvoirs publics « ne conduise à imposer un moyen soit le recours à certains et modes constructifs, en s’appuyant sur des modes de calcul de l’impact environnemental contestés par les experts ; alors que la sobriété énergétique se trouve renforcée (coefficient Bbio) et que la prise en compte du confort d’été constitue une avancée vers une performance accrue des enveloppes ». Les risques ? Une hausse des coûts, une déstabilisation des acteurs économiques français et la non-atteinte des objectifs.
L’association rappelle que des solutions techniques éprouvées « existent » et se développent grâce aux innovations et recherches des différentes filières industrielles de la construction. « La performance repose souvent sur des équilibres entre les différents matériaux », insiste-t-elle.
Pour anticiper les exigences, le Gouvernement a choisi de cadencer l'objectif de diminution de gaz à effet de serre de la construction en trois temps. Une démarche « de progressivité » saluée par le Pôle Habitat FFB. Le syndicat déplore néanmoins « que de nombreux seuils aient été fixés en l’absence d’analyses multicritères complètes ».
Des surcoûts bien plus importants qu’annoncés
S’agissant des surcoûts « immédiats », la FFB ne partage pas les 3 à 4% annoncés. La fédération appelle à une reprise des discussions pour étudier « plus finement et de manière transparente les impacts économiques à court et moyen terme ».
Le Pôle Habitat FFB craint lui qu’« un Bbio renforcé de 30 % et un traitement du confort d’été, associés à l’obligation de recourir aux pompes à chaleur » engendrent « un surcoût de 10 à 15 % dès 2021 ». « Et pour le logement collectif, la perspective de labels d’État préfigurant à court terme les étapes 2024, 2027 et 2030 présente le risque d’une surenchère locale au détriment du logement abordable ».
« L’orientation politique manque de réalisme », estime enfin Olivier Salleron. « C’est vouloir mettre de la complexité lors d’une année de reprise économique, en méconnaissant les délais nécessaires pour adapter les filières. Ce sont des dizaines de milliers d’emplois mis en danger inutilement dans l’industrie et le BTP ».
Rose Colombel
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