MaPrimeAdapt' : quel chantier derrière ce nouveau système d'aides ?
En plus du rapport présenté par Luc Broussy en 2021, une étude sur l’adaptation des logements au vieillissement et la perte d’autonomie a été diffusée en mars dernier. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Jean-Philippe Arnoux : C’était une étude qu'on avait menée avec Ernst & Young et toutes les fédérations du bâtiment, de l'industrie, etc. Il s’agit d’une étude d'impact économique pour montrer que l'investissement ne serait pas à fonds perdu.
Si on prend juste un chiffre qui est celui du coût annuel des chutes, estimé à 2 milliards d'euros pour la Sécurité sociale, face à l'objectif sur trois ans de faire baisser ces chutes de 20 %, c'est déjà 400 millions d'euros qui rentrent par an.
C’était aussi pour montrer que, par rapport à la rénovation énergétique, le retour sur investissement est moins compliqué à calculer. Certes pour la rénovation énergétique, il y aura des économies d’énergie et moins d’impact carbone. Là c'est beaucoup plus tangible parce qu'on a des métriques.
Lors d’un colloque à l’Assemblée nationale, le ministre du Logement et la filière silver économie ont évoqué les critères d’éligibilité aux aides, élargies pour MaPrimeAdapt’, mais pas pour le crédit d’impôt autonomie prolongé. Déplorez-vous cette décision ?
Jean-Philippe Arnoux : C’est une bonne chose que Bercy prolonge ce crédit d'impôt. Mais malheureusement, je trouve que cela crée un clivage entre des populations modestes et des populations de classe moyenne, qui elles doivent attendre d'être en perte d'autonomie. Ce n’est pas très cohérent avec la politique globale.
Il s’agit d’un calcul purement économique de Bercy, pour éviter des dérives potentielles, car le crédit d'impôt au plus haut a coûté 68 millions d'euros en 2018, date à laquelle ils ont resserré les conditions d'éligibilité à la perte d'autonomie, pour que les coûts tombent à 18 millions d'euros. Ce à quoi je réponds qu’en 2024, au pire la dérive serait de 50 millions d'euros, mais que par contre, il y aurait une vraie cohérence dans les deux dispositifs.
Surtout que MaPrimeAdapt’ s’inscrit dans le plan anti-chute du gouvernement, lancé il y a deux ans. Ce plan anti-chute vise vraiment à accélérer la prévention en France. D'un côté, on a un calcul purement économique de Bercy, et de l'autre une vraie politique du logement, que Patrice Vergriete a appuyée.
Cette politique de prévention portée par par le ministère de la santé sera d'ailleurs reprise le 17 novembre au ministère de la santé, où la feuille de route interministérielle sur le sujet du vieillissement de la population va être présentée.
MaPrimeRénov’ et MaPrimeAdapt’ sont toutes deux associées au guichet unique France Rénov’. La complémentarité entre ces deux types de chantiers a-t-elle été évoquée lors du colloque ?
Jean-Philippe Arnoux : Il y a eu une intervention de la députée Marjolaine Meynier-Millefert. On lui avait demandé justement d'apporter son regard d'experte sur le bâtiment durable et la rénovation énergétique, mais aussi d'élue locale.
Elle a bien appuyé qu'il faut absolument faire converger toutes ces transitions. Que ce soit dans la politique de la ville et l'aménagement. Sachant que les populations âgées sont beaucoup plus sensibles aux variations climatiques. Dans une étude faite en septembre, la première chose que nous disent les seniors interviewés, c'est que, pour imaginer le confort de leur habitat de demain, le confort thermique est nécessaire.
Ensuite, il y a eu Olivier Richefou, président du conseil départemental de la Mayenne, qui a insisté sur le fait que la politique du vieillissement devra être portée par les départements et toutes les collectivités locales, puisque que le plan anti-chute, comme la politique du vieillissement, sont à l'échelon du département. Donc, l’Anah prépare un plan de déploiement à destination des publics professionnels, des particuliers, mais aussi de toutes les collectivités territoriales, des ARS, et puis des départements.
D’autant que l'étude de la silver économie de mars dernier souligne l’importance des entreprises du bâtiment…
Jean-Philippe Arnoux : Selon une étude réalisée en septembre, quand les séniors veulent adapter leur logement, et qu’on leur demande sur qui ils peuvent compter, la première réponse c'est les artisans du bâtiment.
Sur la partie stabilité et encadrement du dispositif, j’avais proposé une version dégradée souple de RGE. Mais les fédérations ne voulaient pas parce que le RGE n’a pas laissé beaucoup de traces. Mais l'idée aussi c'était d’assurer la montée en compétences des entreprises, et surtout les rendre visibles. Donc, la Capeb et la FFB ont établi un socle commun de formation, avec chacun portant par ailleurs leur propre labellisation.
Parmi les seuls labels qu'on a retenus, il y a Handibat et Silverbat, de la Capeb, Les Pros de l'accessibilité et ProAdapt chez la FFB, et les Artisans accessibles d'Alsace en Alsace.
D’autre moyens de fiabiliser les travaux d’adaptation ?
Jean-Philippe Arnoux : L’Accompagnateur Renov’ dont on parle depuis quatre ans - et dont les décrets sortent enfin -, cela nous a inspiré pour MaPrimeAdapt’. Alors l’idée n’est pas de se reposer sur l'ergothérapeute partout, mais plutôt qu’il y ait un accompagnement par un assistant en maîtrise d'ouvrage (AMO), à la fois administratif et humain. À la fois parce qu’il faut éviter de potentielles dérives, et aussi par rapport à une population qui n'est pas hyper digitale et qui a besoin de prise en main.
L’AMO va faire tout ce que l’entreprise n'aime pas faire, tout l'administratif, toute la gestion du flux financier des aides. Il devra aussi avoir un regard quand même à 360° sur l'habitat, avec un audit systématique de l'habitat, qui se constitue d’une trentaine, d’une quarantaine de questions sur différents points : l'isolation, le mode de chauffage… L’idée étant également qu’on puisse aller au-delà et financer, peut-être avec un peu de MaPrimeRénov’, ou de changer un tableau électrique avec MaPrimeAdapt’. L’idée c'est vraiment réfléchir confort, sécurité, peut-être même au-delà de l'adaptation.
La Capeb se dit prête, mais le marché doit être plus accessible
Face à ces dernières discussions sur MaPrimeAdapt’, les artisans du bâtiment sont prêts, selon la Capeb. « Dans moins de 30 ans, le tiers de la population française aura plus de 60 ans. Et quand on sait que 85 % des séniors souhaitent vieillir chez eux alors que la plupart des logements déjà construits n’y sont pas adaptés, l’ampleur des travaux à réaliser est posée. Les entreprises artisanales du bâtiment sont en première ligne pour répondre à ce défi social et sociétal », déclare son président, Jean-Christophe Repon. Cependant : « Encore faut-il que leurs compétences soient reconnues et qu’elles puissent toujours accéder à ces marchés sans être contraintes d’acquérir une qualification pour cela, qualification peu adaptées aux TPE. Faire vérifier la conformité des travaux par un certificat à l’issue des travaux est un moyen simple et fluide d’éviter une qualification obligatoire et de lutter contre les malfaçons, les abus de confiance et la fraude. Nous invitons le Gouvernement à agir en ce sens », souligne l’intéressé. |
Comment réagissez-vous aux propos de la Capeb, selon qui MaPrimeAdapt’ doit aussi faciliter l’accès des artisans et petites entreprises du bâtiment au marché de l’adaptation ?
Jean-Philippe Arnoux :La première crainte des entreprises, c'est de perdre leur client quand l'AMO demande plusieurs devis. On les rassure en disant que même s'il fait deux devis, l’AMO privilégiera l'entreprise portée par le client.
En tant que responsable silver économie chez Saint-Gobain, pouvez-vous nous expliquer le rôle des industriels dans ce chantier ?
Jean-Philippe Arnoux : Cela va être de promouvoir des solutions et des pratiques en lien avec ce marché-là, en faisant bien le distinguo entre le secteur du handicap, qui répond à ses propres normes, et celles adressées aux personnes âgées, qu'on ne peut pas normer.
Certes, les normes d'accessibilité et de circulation dans le bâti sont communes aux deux. Effectivement, il faut des ascenseurs. Effectivement, il faut peut-être des portes plus larges. Là où se pose un problème, c'est sur deux secteurs en particulier : la salle de bain et les toilettes.
Quand on fait une salle de bain adaptée au handicap, il faut prévoir un cercle de giration de 1m50 de diamètre. Donc grosso modo, cela fait une salle de bain très grande, là où une personne âgée a besoin de points d'appui naturels pour avancer. Donc une salle de bain trop grande peut accélérer le risque de chute pour une personne âgée, là où elle est nécessaire pour un fauteuil roulant, pour qu'il puisse circuler.
Deuxième exemple : les toilettes. Systématiquement les artisans, quand ils voient une personne âgée, ils installent des toilettes surélevées. Je rappelle juste que la taille des populations qui nous intéresse, en termes de personnes âgées, c'est la génération 1940-1955, où la taille moyenne des hommes était d'entre 1m61 et 1m70 et des femmes entre 1m50 et 1m60. Ce n’est pas pour rien que la hauteur standard des toilettes à poser était à 39-40 cm, tandis que la cuvette des toilettes a tout de suite été conçue à 50 cm, parce que la hauteur du fauteuil roulant était à 50 cm.
Ces normes seront-elles écrites un jour ?
Jean-Philippe Arnoux : Chez Saint-Gobain, on a sorti le guide de la maison de Saint-Gobain l'an dernier, travaillé avec des ergothérapeutes et autres experts. C’est ce qu'on va faire valider à horizon 2025 à plus grande échelle, par notre collectif de d'industriels, d'artisans.
Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de Une : Adobe Stock