Amiante : la fin des investigations scandalise les associations
« Le diagnostic d'une pathologie liée à l'amiante fait la preuve de l'intoxication mais ne permet pas de dater l'exposition ni la contamination », a estimé le 13 juin le parquet dans ses réquisitions révélées à la presse.
Une analyse qui s'aligne sur celle défendue par les juges d'instruction chargés des dossiers : les magistrats ont estimé, dans une ordonnance rendue le 9 juin, que « cet aléa dans la date des faits ne pourra pas permettre de conduire des investigations ciblées et efficaces de nature à réunir des charges qui pourraient être imputées à quiconque ».
Il deviendrait donc impossible de réunir des éléments suffisamment précis pour renvoyer des suspects devant les tribunaux, tuant dans l’œuf la possibilité de mettre la main sur le ou les responsables de ce drame ayant tué plusieurs dizaines de milliers de personnes en France. Le parquet et les magistrats instructeurs justifient leur décision sur une expertise judiciaire diligentée en 2016 afin d'établir les liens entre la fibre cancérogène, interdite en France depuis 1997, et certaines maladies.
Une interprétation qui a fait bondir les associations, comme la Fnath et l’Andeva, dont l’un des conseils, Sylvie Topaloff, a affirmé que « cette expertise dit le contraire de ce que la justice veut aujourd'hui lui faire dire. Selon les experts, dès que l'on a été exposé, on a été contaminé. C'est aberrant que les magistrats aient une lecture diamétralement opposée ».
Les non-lieux qui pourraient être potentiellement prononcés concernent une vingtaine de dossiers actuellement instruits au pôle de santé publique de Paris : celui de la société Eternit, premier producteur français d'amiante-ciment jusqu'à l'interdiction de la fibre, de l'usine de Condé-sur-Noireau dans le Calvados, des anciens chantiers navals de la Normed à Dunkerque, du campus de Jussieu...
Un permis de tuer aux auteurs de crimes industriels
Selon les autorités sanitaires, l'amiante pourrait provoquer jusqu'à 100 000 décès d'ici à 2025. D'après l'Andeva, 3 000 personnes meurent chaque année et les autorités sanitaires imputent à l'amiante 10 à 20% des cancers du poumon dans l’hexagone.Pour les associations, la décision du parquet va au-delà de l’amiante. Elle pourrait en effet, en plus de « faire prospérer des non-lieux pour tous les responsables, petits ou grands, qui avaient été mis en examen dans tous les dossiers pénaux de l'amiante », entraîner pour plus tard des décisions analogues, notamment pour les victimes « de produits à effets différé (cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques) », ce qui reviendrait « à délivrer par avance un permis de tuer aux auteurs de crimes industriels non datables ».
Les premières plaintes ont été déposées en 1997. A ce jour, aucun procès n'a eu lieu en France.
F.T (avec AFP)
Photo de Une : ©Fotolia