Les ouvrages olympiques, reflet de la crise du logement ?
Depuis que Paris a officiellement été désignée ville hôte des JO de 2024 en septembre 2017, la capitale, la région francilienne, voire certaines villes de France, deviennent l’écrin d'ouvrages olympiques.
Village des Athlètes, piste d'athlétisme à Saint-Denis, piscine d'entraînement d'Aubervilliers, bassins à Sevran et à Taverny, rénovation du stade Yves-du-Manoir à Colombes, Marina réaménagée à Marseille… Les chantiers déployés en vue d’accueillir l'événement mondial n’ont pas manqué.
Mais sous ce vernis de prestige, que peut-on attendre en termes de valorisation urbaine, voire résidentielle, au lendemain des Jeux ? Comme on peut lire dans un rapport du Secours Catholique : « Alors que les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) pourraient être l’occasion de sortir durablement de la rue les personnes sans domicile ou en situation de grande exclusion, elles risquent d’être encore davantage précarisées en raison d’un « nettoyage » social et sécuritaire de l’espace urbain, pouvant passer par l’expulsion de squats, bidonvilles et d’autres lieux de vie informels ».
« De plus, l’arrivée des Jeux pousse déjà de nombreux hôtels à revenir à leur vocation touristique, plus lucrative que l’hôtellerie sociale. Ce mouvement accentue la pression sur le dispositif d’hébergement d’urgence, saturé à l’extrême en Île-de-France, en raison de l’augmentation continue des besoins et des objectifs de maîtrise voire de réduction du parc fixés par l’État », abonde l’association.
Le parc privé n’en mène pas large non plus, tout comme les résidences du CROUS, qui réquisitionnent leurs habitations pour héberger les bénévoles durant la compétition. « Il y a quand même un effet direct pour les étudiants, pour les ménages qui sont locataires du parc privé, dont les propriétaires profitent de l'arrivée des Jeux pour ne pas renouveler le bail. Et ces bailleurs vont louer au prix fort, puisque ce qu'ils demandaient sur un mois, ils vont peut-être le demander sur un ou deux jours », nous décrypte Éric Constantin, directeur de l’Agence Île-de-France de la Fondation Abbé Pierre.
Des logements et infrastructures hérités des Jeux…
Peut-on voir derrière un scénario semblable à celui des Jeux olympiques de Rio en 2016 : destructions de bidonvilles, et un été qui rime avec précarité, notamment en matière de logements ?
Éric Constantin de l’Agence Île-de-France de la Fondation Abbé Pierre, nous fournit un premier élément de réponse : « La crise ne date pas des Jeux olympiques, elle est ancienne. Comme on n’attendait pas que les Jeux olympiques et paralympiques apportent des solutions à cette crise ».
« On est un peu dans le flou. C'est compliqué de connaître aujourd'hui l'impact des Jeux olympiques. À quoi peut servir un grand événement comme celui-ci, qui génère l'arrivée de personnes et d’équipements ? Est-ce que cela peut jouer en faveur aujourd'hui de cette crise du logement, qui est quand même très sévère en Île-de-France ? », s’interroge-t-il.
Pourtant, sur le papier, les chantiers olympiques prévoient une seconde vie pour les ouvrages, après la compétition. En particulier en Seine-Saint-Denis, département auquel les JO de Paris de 2024 pourraient profiter, selon une enquête de l’AFP.
Le territoire devrait par exemple hériter des équipements sportifs construits et rénovés, mais aussi de certains ouvrages reconvertis en résidences. C’est le cas du Village des Athlètes. Cet immense programme, à cheval entre Saint-Denis, Saint-Ouen-Sur-Seine et l'Île-Saint-Denis, devrait accueillir 6 000 habitants répartis dans 2 800 logements, dès l’été 2025. Réaménagées, ces habitations compteront des locations et logements sociaux - entre 25 ou 40 %, selon les communes - , mais également une centaine d’appartements disponibles à l’achat. Pareil à Dugny, où un nouveau quartier utilisé comme « cluster des médias » laissera place à 1 400 logements construits.
« On espère que l’héritage de ces bâtiments permettra de loger », nous confie M. Constantin. « Mais quand on voit sur la Seine-Saint-Denis entre 400 et 600 personnes appeler le 115 tous les soirs, et à qui on ne propose pas de solutions, on est aujourd'hui dans une urgence. Et c’est vrai qu’attendre un voire deux ans de travaux de réhabilitation avant de les mettre en service, tout cela va être long », s’inquiète-t-il.
Si le directeur de l’agence IDF de la Fondation Abbé Pierre croit que « chaque grande opération d'urbanisme permet de produire du logement, on reste vigilants et on aimerait qu’elles profitent quand même aux populations du territoire, mais aussi aux personnes qui sont mal-logées en Île-de-France, puisqu’elles sont environ 1,3 million ».
…mais un risque de gentrification
D’autant que, pour reprendre les déclarations de la Fédération de la promotion immobilière (FPI), la crise du logement n’est pas qu’un problème d’offre, mais aussi de demande. Or, si le Village des Athlètes représente un gisement résidentiel important, on relève dans les appartements en vente un prix d’entre 6 000 et 7 000 euros le m2. En parallèle, le plafond pour un logement en accession - de type Prêt Social Location Accession (PSLA) - s’élève à 5 000 euros.
L’écart peut s’expliquer par un surcoût lié à l’inflation, évalué à 140 millions d’euros en 2022 sur les chantiers olympiques.
Éric Constantin avance une autre raison : « On ne construit plus de logement social, on construit plutôt des logements pour des personnes, des ménages modestes et plus. On produit des logements en accession sur la Seine-Saint-Denis. Et de ce que je voyais dans les médias, cela ne se vendait pas. C'est difficile puisque ce n’est pas le public ».
Anne-Katrin Le Doeuff, directrice de l’Union sociale pour l’habitat d’Île-de-France (AORIF), acquiesce : « Même si Saint-Denis touche Paris, c'est quand même un territoire assez étendu, très hétérogène en termes de marché. On est quand même dans un territoire où la demande et les besoins de trajectoires résidentielles des habitants restent importants. On considère qu'il est important de pouvoir continuer à accueillir ces populations, particulièrement face au risque de gentrification ». C’est d’ailleurs l’une des préoccupations de Plaine Commune, l'établissement public territorial en charge des communes de Seine-Saint-Denis, où seront implantés les ouvrages olympiques.
Mme Le Doeuff pointe également du doigt une autre tendance, cette fois-ci ancrée dans la politique publique francilienne au global. Il s’agit de la clause anti-ghetto, adoptée dans le Schéma directeur de la région Île-de-France. Cette mesure a engrangé des désaccords entre l’État et la région Île-de-France. Car la clause anti-ghetto vise à amener à 30 % maximum la part de logement social dans le parc immobilier francilien.
« Nous sommes évidemment très attentifs à ce que peut recouvrir à la fois, en termes de freins opérationnels, cette clause anti-ghetto, et également la culture du regard qu'on peut porter sur le logement social qui est sous-jacent dans un contexte où l'on considère, dans ces territoires populaires, le logement social comme une chance », défend Anne-Katrin Le Doeuff.
Même son de cloche du côté d’Éric Constantin : « Aujourd'hui, pour sortir de la crise du logement, il faut créer du logement pas cher. Et le logement pas cher, ce n’est pas le parc privé. Pour le moment vous avez certes, l’encadrement des loyers, mais ce n’est pas ça qui sort le logement pas cher, c’est plutôt le logement social », souligne le directeur de l’Agence Île-de-France de la Fondation Abbé Pierre.
« Le Village des Athlètes peut être aussi une illustration de tout cela. Effectivement, il faut continuer à construire du logement abordable, et notamment du logement locatif social en Seine-Saint-Denis, parce qu'il y a une très forte part de la demande qui continue de s'orienter vers ces territoires. Pas seulement parce que c'est là qu'est l'offre, mais aussi parce qu'il y a des populations qui ont besoin de rester dans des proximités territoriales, qui habitent ces territoires, et qui, pour des raisons de solidarité familiale, de rapport à l'emploi, ont besoin d'être en Seine-Saint-Denis », encourage de son côté la directrice de l’AORIF.
Le logement social sacrifié sur l’autel des Jeux olympiques ?
Toutefois, on l’a vu en 2023, la construction de logements sociaux est sur une pente savonneuse. La directrice de l’AORIF met en avant plusieurs facteurs conjoncturels : l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat, des concurrences fortes pour l’accès au foncier du côté des bailleurs sociaux, la dépendance de ces derniers à la vente en l’état futur d’achèvement (VEFA). Pour rappel, il s’agit d’un procédé par lequel le promoteur vend des logements à un bailleur social, mais ce dernier n’est pas maître d’ouvrage. « Ce qui explique aussi la grosse chute de 2023, parce que les promoteurs ne se sont pas bien portés par la crise de la demande », souligne Mme Le Doeuff.
À cela s’ajoutent des facteurs plus structurels, dont un manque d’investissement du gouvernement dans le logement social. S’il reste la TVA réduite ou des aides au titre de la taxe foncière pour les bailleurs sociaux, d’autres subventions reculent, comme la baisse de l'aide personnalisée au logement (APL) en 2018, ou bien la suppression de la taxe d’habitation, qui amoindrit les revenus des collectivités locales. Par conséquent, cela a dû être compensé par des baisses de loyers, générant des baisses de revenus pour les bailleurs sociaux, et ainsi leur capacité à investir.
Or, « les Jeux olympiques étant en grande partie localisés en Seine-Saint-Denis, et le poids du parc social en Seine-Saint-Denis très important, ce dernier est fortement impacté, y compris sur le fonctionnement quotidien des patrimoines et sur les locataires du parc social », ajoute Anne-Katrin Le Doeuff.
La directrice de l’AORIF nous évoque entre autres « des critères de sécurité liés à l'organisation des Jeux qui vont contraindre, l’accès à certains sites. Et les propriétaires, que sont les bailleurs sociaux, sont directement concernés. C'est le cas dans Paris, mais c'est aussi le cas en Seine-Saint-Denis, c'est le cas dans plusieurs endroits de l'Île-de-France. Cela impacte l'entretien courant, les travaux, etc. » D’où, selon elle, l’intérêt des bailleurs sociaux à se manifester dans le cadre des ouvrages olympiques. Qu’il s’agisse de quartiers de gare comme ceux en développement dans le cadre du Grand Paris Express, ou bien des projets de reconversion comme le Village des Athlètes.
« On a beaucoup valorisé la place des promoteurs et assez peu celle des bailleurs sociaux, qui pourtant souvent étaient en alliance avec les promoteurs pour la reconversion des immeubles en logement et en logement social. Puisque ces principes de réversibilité du bâti font partie de l'héritage des Jeux Olympiques », mais également des principes des bailleurs sociaux et de leurs logements, décrit Mme Le Doeuff. « Ce sont des patrimoines qui ont le mérite d'être très maîtrisés et très vertueux dans ces territoires populaires », nous assure-t-elle.
Du bon peut toutefois être tiré des chantiers olympiques pour Paris 2024. Par exemple, d’après l’AORIF, cela a été une « belle démonstration de la possibilité d'aller vite quand c'est nécessaire, dans la production de logements et d'expérimenter des mesures juridiques innovantes ».
Ainsi : « L’accélération de la production dans le cadre du Village des Athlètes a été rendue possible par les délais d'instruction réduits en matière d’urbanisme. Pas sur les sujets d'impact écologique ou de concertation des usagers, mais sur les délais d'instruction technique par les services administratifs. Je trouve que ce qu’ont permis les Jeux olympiques, ce sont des approches qualitatives, qui reconnaissent l'intérêt des permis double état, de la réversibilité, cette culture de la mutation des patrimoines à court et moyen termes ».
L’idée de l’AORIF serait donc d’inscrire ces assouplissements dans le droit commun de la production urbaine d’Île-de-France. Car ce qui a marché pour les ouvrages olympiques, « il n'y a pas de raison d'y arriver face à l'urgence de la crise du logement et du logement social en Île-de-France ».
Et la rénovation des logements dans tout ça ?
L’organisation des JO de Paris renforce un autre problème épineux : la location de logements meublés et touristiques, dont via Airbnb. Ces derniers sont d’ailleurs ciblés par une proposition de loi, pour encourager leur rénovation énergétique.
« Avec l'effet des transformations, des démolitions-reconstructions, des transformations d'usages qui sont très importantes en Île-de-France, on voit qu'on a développé le parc d’à peu près 56 000 logements par an. Et dans ces 56 000 logements, 17 000 ont disparu chaque année et ne sont plus des résidences principales, mais soit une location meublée touristique, soit une résidence secondaire, soit un logement vacant », observe Anne-Katrin Le Doeuff.
« Il y a quand même un phénomène important autour d’Airbnb, qui entraine une sortie du parc privé d’un certain nombre de locations. Il y a certainement un effet d'aubaine aussi pour continuer à louer et ne pas rénover », reconnaît Éric Constantin. « Après, si tous les logements étaient performants d'un point de vue énergétique, je ne suis pas sûr qu’il n’y aurait pas autant de logements Airbnb. Mais je pense que le problème du Airbnb avant tout, c'est que c’est surtout avantageux et un phénomène de société dans toutes les grandes villes », nuance le directeur de l’Agence Île-de-France de la Fondation Abbé Pierre.
Raison de plus, selon lui, de lutter contre l’habitat indigne et pour la rénovation énergétique comme la prévention contre les expulsions locatives, selon l’intéressé. Encore plus à l’approche des Jeux, visant faire rayonner l’image de la France, en mettant un coup de projecteur sur la capitale et sa région : « Il y a ce gros paradoxe : on veut faire de l’Île-de-France une région économiquement forte. Mais pour que celle-ci soit forte, il faut des travailleurs et travailleuses et il faut loger tous ces gens-là. Et ça, on oublie que cela ne se fait pas sans ».
Et si les chantiers olympiques génèrent chez l’antenne IDF de la Fondation Abbé Pierre une attente, « on a un peu le sentiment qu'on va être un peu déçus ». « Maintenant cette attente se paye » et « cela veut dire quelque chose de notre société », déplore-t-il.
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Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de Une : V.K