La crise du logement, même combat chez nos voisins européens ?
Crise des agriculteurs, transition énergétique, tensions géopolitiques… Les élections européennes, qui se tiendront ce dimanche 9 juin, font ressurgir une diversité d'enjeux. Mais intéressons-nous à un en particulier : la crise du logement, qui plane sur tout le continent.
Un article du média américain Bloomberg, traduit par le Courrier International, l’indiquait en novembre dernier. En Europe, « la construction résidentielle a ralenti à mesure que les coûts sont montés en flèche, tandis que les lenteurs bureaucratiques et les règles de plus en plus strictes en matière d’efficacité énergétique sont venues renforcer les vents contraires », lit-on. Et cette crise du logement neuf frapperait aussi bien la construction de maisons individuelles que les grands ensembles immobiliers.
Certains voisins de la France sont-ils plus impactés ? Quelles raisons sont imputées à cette crise dans chacun des pays ? Quels leviers sont activés au niveau national pour endiguer cette bombe aussi bien économique que sociale ? Quels impacts sur les votes aux élections européennes ? Éléments de réponses.
En Allemagne, « celui qui construit fait tout simplement faillite »
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, les pays les plus prospères sont parmi les plus frappés, rapporte Bloomberg. C’est le cas pour notre voisin outre-Rhin, l’Allemagne, qui tire la sonnette d’alarme face à la pénurie de logements. Selon l’Institut économique allemand IFO, les demandes de permis de construire en Allemagne ont chuté d’environ 27 % entre janvier et octobre 2023, sur un an. Une dégringolade quasi-similaire à celle observée en France, enregistrant -25,5 % de permis de construire à fin novembre sur un an.
Le nombre de permis de construire délivrés en 2023 tombe à 270 000, contre 293 000, d’après la fédération allemande du bâtiment. On est bien loin des 400 000 nouveaux logements par an promis par la coalition du gouvernement Scholz, élu en 2021. Et le manque d’habitations risque de s'aggraver, selon un rapport du Comité central de l'immobilier (ZIA), chargé de conseiller le gouvernement. Le nombre de logements manquants devrait grimper de 480 000 actuellement à 720 000 en 2025, voire jusqu'à 830 000 en 2027. « Et l'Allemagne manque surtout de logements sociaux », apprend-on dans un article de franceinfo.
La même source pointe du doigt une augmentation de la demande, alors que l’Allemagne faisait face en 2022 à l’afflux d’un million de réfugiés ukrainiens. À cela s’ajoute des tensions dans l’offre, la construction étant grippée par la hausse des coûts, le manque de main d’oeuvre, des normes environnementales contraignantes, et bien évidemment des taux d’intérêts de crédits immobiliers élevés, oscillant entre 3,5 % et 4 %. En d’autres termes : « celui qui construit fait tout simplement faillite », résume Andreas Mattner, président du ZIA. Le comité chiffre à 21 euros par mètre carré le loyer moyen pour qu'un projet immobilier puisse être à l'équilibre. Ce qui revient au double payé en moyenne par la population.
Andreas Mattner appelle à une solution face à cette « débâcle sociale ». Or, à ces tensions sociales se joignent des tensions politiques. À quelques jours des élections européennes, un sondage Ipsos pour Euronews en mars dernier - relayé par le Huffington Post - place toutefois le groupement Parti populaire européen (Les Républicains en France, Union chrétienne-démocrate d'Allemagne, etc.) en tête des intentions de votes (30 %). Il est suivi par le groupement écologiste Grüne (Les Verts, 15 %) et l'Alternative für Deutschland (extrême-droite, 14 %).
« Si nous ne parvenons pas à résoudre la crise du logement, elle finira par constituer une réelle menace pour notre démocratie », s’inquiètait auprès du Courrier Expat, en novembre, Kolja Müller, responsable du parti social-démocrate à Francfort. En attendant, les Allemands se tournent vers le marché de la location, marquant une flambée des loyers. Rien qu’à Berlin, le prix du mètre carré a grimpé de 70 %, et de 55 % à l’échelle nationale, sur les dix dernières années.
Dans les leviers activés par le gouvernement, un milliard d’euros de budget a été déployé pour les programmes de logements « écologiques ». Une mesure saluée par les acteurs du bâtiment, bien qu’ils soutiennent une enveloppe de trois milliards d'euros, afin d’aboutir à 100 000 habitations supplémentaires. Ils suggèrent également une aide accessible de 50 milliards d’euros, inspirée des 100 milliards débloqués pour l’armée ou les 200 milliards pour le bouclier énergétique.
Sans compter les taxes prélevées par les villes, les Länder et l'État fédéral. En Allemagne, elles représentent 37 % du coût d'un projet immobilier, contre 7 % en Autriche, 19 % en France et 30 % en Pologne. L’idée soulevée par les professionnels serait de réduire à 22 % ce taux, afin d'équilibrer le loyer au mètre carré. Problème : l’État et les Länder ont une marge de manoeuvre réduite, alors que la Cour constitutionnelle veut limiter les fonds spéciaux extrabudgétaires et le désendettement.
Klara Geywitz, ministre du Logement, du Développement urbain et de la Construction, travaille sur la simplification et l’uniformisation de la réglementation. La numérisation des dépôts de construire fait partie de ses dossiers. Quoiqu’il en soit, un effondrement des mises en chantiers est à prévoir, plus précisément à 150 000 en 2025. Et ce sans reprise avant 2026…
L’extrême-droite en Irlande alimentée par la crise du logement ?
L’île d’Émeraude n’en mène pas large non plus. En Irlande également, les tensions existent dans l’offre comme dans la demande. « Grâce à sa fiscalité très attractive, l’Irlande a su attirer les grandes entreprises de la tech. Des dizaines de milliers d’expatriés, aux salaires très confortables, sont ainsi venus grossir les rangs des candidats à la location. Or, face à ces arrivées massives, l’offre de biens immobiliers n’a malheureusement pas suivi », est-il expliqué dans un article de franceinfo. On y découvre que, comme en France, trouver un logement est un parcours du combattant.
Les annonces de logements à Dublin se dénombrent en quelques centaines, et partent rapidement. Ceux qui restent frisent l’insalubrité, ce qui précarise grandement les jeunes adultes. Pour preuve, d’après les statistiques de l’UE, 68 % des Irlandais de la tranche 25-29 ans restent chez leurs parents, principalement à Dublin, contre 42 % en moyenne européenne. Certains décident de quitter l’Irlande, pour gagner l’Australie notamment. « Le contrat social est complètement rompu avec les jeunes générations », conclut le chercheur irlandais en politique sociale Rory Hearne auprès du New York Times (article en anglais).
En parallèle, des groupuscules d’extrême-droite jettent le blâme sur l’immigration. En témoignent des émeutes du mois de novembre et l'incendie d'un hôtel pour demandeurs d'asile en décembre dernier. En 2022, l’île comptait 100 000 demandeurs d’asile, dont 74 000 venus d’Ukraine, le reste réparti venant majoritairement d’Afrique sub-saharienne ou d’Afghanistan.
Si aucun parti d’extrême-droite à proprement parler n’existe en Irlande, le Sinn Fein, parti de gauche et en tête des intentions de vote pour les élections européennes se trouve dans une position ambiguë, rapporte RFI. Si son positionnement est favorable à l’immigration, sa base électorale se révèle très opposée aux migrants. Cependant, Rory Hearne l’atteste dans le Guardian : « la pénurie de logements abordables en Irlande n'a pas été causée par une augmentation du nombre d'immigrants ou de réfugiés, mais bien par 30 années de politiques d'abandon du logement social ».
Ce sont ainsi les fonds d’investisseurs qui gèrent les constructions de logements. D’après Rory Hearn, « 58 % de tous les logements neufs dans le Grand Dublin ont été achetés ou développés par des fonds d'investissements ». La voie ouverte à des loyers trop élevés pour une majorité d’Irlandais, ou à la location sur Airbnb, avec 14 fois plus d'annonces de logements sur la plateforme, qu’en location de longue durée.
En octobre dernier, le gouvernement irlandais a annoncé 7 milliards d’euros de budget pour le ministère associé du logement, des territoires et du patrimoine. 1,9 milliard a été alloué pour « soutenir la livraison de logements sociaux et les organismes de logement agréés », indique le magazine Housing Ireland (article en anglais). Cela suffira-t-il pour endiguer la crise ? Pour un éditorialiste du Irish Times, « plus facile à dire qu'à faire », car l’augmentation de l’offre de logements disponibles, comme partout ailleurs, prend du temps.
En Suède, vers la fin d'une politique passive ?
D’aucuns associeraient les pays scandinaves à un havre de la construction durable. Ce n’est pas pour rien que la plus grande cité en bois de la planète sera implantée dans la capitale suédoise, au sein du quartier de Sickla.
Baptisé « Stockholm Wood City », le chantier commercera à partir de 2025 et devrait durer dix ans. À terme, il comprendra 2 000 logements, 7 000 bureaux, mais également des zones commerciales. Selon Atrium Ljungberg, agence de développement urbain en charge du projet, l’ensemble fait la part belle aux toitures isolées, aux grandes fenêtres laissant entrer la lumière naturelle, mais aussi à davantage de matériaux bois. Si le béton et l’acier sont présents à certains endroits, dont les fondations, l’empreinte carbone serait réduite de 40 % par rapport aux constructions classiques en béton et en acier.
Sur le papier, le projet fait rêver et conforterait au sein de l’UE le fantasme d’une construction verte et bas carbone. Mais ledit rêve ne se froisserait-il pas quand on contemple le paysage de la construction suédoise ? Car le média américain Bloomberg fait état de la pire récession depuis la crise des années 1990 en Suède, avec un taux de construction inférieur à un tiers de besoins pour répondre à la demande.
D’ici 2030, 67 300 nouveaux logements par an seraient nécessaires pour répondre à la demande en logements, estime l’Agence suédoise du logement. À Stockholm, 70 000 logements ont été érigés depuis 2010, soit 20 % du parc immobilier. Or, ces derniers ne se vendent pas car trop chers, selon Oscar Lavelid, chargé des projets de construction pour la ville.
L’inflation et les coûts des matières premières expliquent bien évidemment ce ralentissement, mais également la baisse de la couronne suédoise par rapport à l’euro. Autre difficulté : le marché est régulé. « Une bonne idée à la base, mais qui avec le temps est devenu tellement complexe qu’il faut en moyenne 11 ans pour accéder à un appartement à Stockholm. Ce qui exerce une pression encore plus forte chez les Suédois d’accéder à la propriété, et donc de s’endetter », est-il analysé dans une article de franceinfo. À tel point qu’en glissement annuel, les ventes de logements au niveau national se sont écroulés de 18,7 %, atterrissant à 45 588 unités en 2023, selon l’Institut national de statistique suédois.
Au cours du 1er trimestre 2024, plus de 600 entreprises on fait faillite par rapport à la même période de l’année précédente (+58 %), affectant 1 812 employés, observe la Fédération suédoise de la construction. Le nombre de licenciements explose dans la construction de 154 % au cours de l’année 2023. Au dernier trimestre 2023, 19 000 Suédois ont reçu un préavis de licenciement, soit +40 % par rapport au T4 2022.
Il faut dire que, toujours d’après l'Institut national de statistique suédois, les mises en chantiers de bâtiments d’une ou deux habitations ont chuté de 52,5 % en glissement annuel en 2023, tombant à 5 971 unités. Au niveau des logements collectifs, les mises en chantiers dégringolent à 20 614 unités (-53,6 %). Respectivement pour ces deux catégories de logements, le nombre de chantiers commencés a reculé de 11,7 % (11 262 unités) et de 22,5% (50 529 unités).
Pour Oscar Lavelid, la conjoncture s’explique par l’absence d’une politique de logement depuis les années 1990. Le gouvernement Kristersson, occupé par le Parti modéré de rassemblement (droite conservatrice) a d’ailleurs rencontré en mars dernier les acteurs de la construction. Des points d’entente ont été trouvés sur les prêts immobiliers, pour éviter l’endettement des ménages et faciliter la primo-accession. Johan Lindholm, président de la Fédération suédoise de la construction appelle aussi à une relance plus « énergique » de la construction, au moyen de nombreux investissements.
Aux élections européennes, les intentions de vote des Suédois se dirigent davantage vers le parti social-démocrate (29 %), plutôt de gauche. À l’échelle nationale, ses propositions pour résoudre la crise de la construction misent notamment sur une réorientation des activités vers la rénovation énergétique, financées par des crédits gouvernementaux. Il suggère notamment de remonter l’objectif d’efficacité énergétique des bâtiments de 30 % à 50 %.
La demande en panique dans la péninsule ibérique
S’il y a des pays voisins de la France qui contredisent la tendance de la construction, ce sont ceux de la péninsule ibérique. C’est particulièrement vrai au Portugal, où le secteur a franchi le seuil des 20 milliards d'euros de chiffre d’affaires en 2023, soit +7,5 % par rapport à l'année précédente, révèle une étude d’Informa G&B. Une croissance maintenue depuis 2017, mais qui s’explique par une augmentation des prix.
La croissance réelle serait de 3,4 % en 2023, dont 3 % pour la construction résidentielle. Le nombre de nouveaux logements achevés se comptabilise à 21 500 en 2023 (+6,8 %).
L’embauche dans ce secteur se porte d’ailleurs bien avec +6,4 % de personnes recrutées en 2023, atteignant 344 000 travailleurs. À préciser qu’en avril 2024, la construction compte 4 400 entreprises en plus qu’en avril 2023, pour un total de plus de 66 300. « En termes géographiques, les districts de Lisbonne et de Porto concentrent respectivement 21,3 % et 14,8 % des entreprises titulaires d'une licence », précise le média Portugal News.
Le problème de l’offre de logements au Portugal réside toutefois dans le prix. En 2012, le gouvernement portugais, à l’époque siégé par le Parti social-démocrate (centre-droit), avait lancé le programme visa dorés, ayant délivré 11 700 visas à des investisseurs étrangers, engrangeant ainsi 6,8 milliards d'euros de recettes publiques à l’État. 99 % ont investi dans l’achat immobilier. Mais cela a entraîné une flambée des prix immobiliers : en 2022, le prix moyen des maisons vendues est passé à 189 000 euros l'unité (+12 % par rapport à 2021)
Lisbonne est par ailleurs devenue la capitale la plus chère pour acheter (4 715 euros le mètre carré), dépassant Bruxelles (3 869 euros) et Rome (3 208 euros), relève la revue Visão, traduit par le Courrier International. Elle reste toutefois derrière Paris (13 352 euros) ou Amsterdam (7 600 euros). Il n’empêche qu’une chambre se loue à Lisbonne 850 euros le mois. De quoi refroidir les jeunes générations portugaises, chez qui l’accès à la propriété a chuté de 50 % en deux générations. Chaque année, 40 % des diplômés du pays partent à l’étranger, affiche France 24.
Fin mars 2023, le gouvernement portugais, alors socialiste, avait adopté un plan pour le logement, débloquant 900 millions d'euros d’enveloppe. Parmi les mesures importantes : l’arrêt des visas dorés mais également plus d’avantages fiscaux pour réduire le locatif saisonnier et massifier le locatif de longue durée. Le gouvernement cherchait aussi à forcer la location d’appartements vacants depuis plus de deux ans dans les régions densément peuplées.
Gouverné depuis début avril par le Parti social-démocrate, le Portugal fait sauter les verrous des locations saisionnières. La nouvelle feuille de route dévoilée par l'éxecutif en mai dernier, comportant une trentaine de mesures, favorise davantage la reconversion de bâtiments publics en logements et des aides à l'achat pour les jeunes. Reste à savoir si elle sera validée au Parlement, où le gouvernement n’a pas la majorité. En revanche, aux élections européennes, les sociaux-démocrates sont en tête des intentions de vote (31 %) à travers le groupement Parti populaire européen.
Virginie Kroun
Photo de Une : Adobe Stock