« Sous la ville durable, il y a le génie urbain » (Sylvain Allemand)
Cet ouvrage donne l'occasion de faire découvrir un univers méconnu : celui des réseaux et infrastructures de transports, d'assainissement, de communication, le plus souvent enfouis dans le sol et dont dépend notre vie urbaine. Et derrière ces réseaux, les hommes et les femmes qui les conçoivent, les installent et en assurent la maintenance suivant les principes du génie urbain.
Dans votre livre, vous expliquez l’importance du « génie urbain » dans la notion de Ville Durable. Un univers assez méconnu, mais qui est prépondérant dans le développement durable d’une ville ?
Le génie Urbain s’applique au développement et à la gestion des zones urbaines et périurbaines dans toutes leurs dimensions. Il recourt à des méthodes et techniques proches de celles du génie civil voire du génie militaire, mais en prenant en compte les spécificités du contexte urbain et ses contraintes. Le bon fonctionnement d’une ville repose sur de multiples réseaux (d’assainissement, de transport, de chauffage, etc.) qu’il faut savoir faire cohabiter.
Dans cette « vision globale » de l’aspect durable d’une ville, vous insistez aussi sur l’importance de l’implication des services municipaux, comme les chargés de mission Développement Durable dans les municipalités. Des acteurs importants, mais pas assez intégrés au projet ?
C’est un point très important effectivement. Il y a beaucoup de collectivités locales qui se sont lancées à corps perdu dans l’élaboration d’un agenda 21 sans faire attention à ce que l’intendance suive. Pour que les services municipaux adhèrent à un agenda 21 local, il faut qu’ils soient intégrés dans la dynamique, qu’ils soient formés, voire motivés, en tous cas dotés des compétences techniques et humaines. Faute de le faire, des élus en charge du Développement Durable se heurtent tout simplement à l’inertie de leurs services techniques. Il importe donc de les impliquer, de les mobiliser mais aussi de redéfinir l’organisation générale. Des collectivités se sont rendues compte qu’elles ne pouvaient pas faire de Développement Durable sans revoir l’organisation des services municipaux. Cela passe souvent par le recrutement d’un chargé de mission, qui aura pour fonction d’orchestrer le travail de la municipalité dans le cadre d’un agenda 21, en faisant l’interface entre les services techniques et les élus mais aussi les autres acteurs concernés (habitants, chefs d’entreprises, associations…).
Et l’utilisation des nouvelles technologies et techniques dans les logements par exemple pour les rendre moins consommateurs d'énergie, n’est-ce pas une illusion ?
Naturellement, les nouvelles technologies sont une contribution utile, mais gare à ne pas en faire « la » solution. Ce dont on se rend compte, notamment à travers les initiatives en matière de démarche HQE, c’est que les technologies nouvelles se révèlent inutiles voire contreproductives si les usagers n’adoptent pas de nouveaux comportements. En effet, on s’est rendu compte que des bâtiments à énergie positive, qui en principe produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment, avaient des performances beaucoup moindres qu’escomptées. Pourquoi ? Parce que les comportements des occupants n’avaient pas été adaptés en conséquence. Une approche globale amène à constater que quelqu’un qui occupe un bâtiment à énergie positive peut mettre à profit les gains réalisés pour consommer plus ailleurs… En bref, nous sommes devant un enjeu éducatif qui montre que les nouvelles technologies ne sauraient être la panacée. D’une certaine manière, ce n’est pas plus mal. Que seraient des individus déresponsabilisés ?
Quelle est votre vision de la « ville durable » dans le futur ?
La ville durable, c’est d’abord un état d’esprit qui consiste à prendre toutes les dimensions (économique, sociale, environnementale, mais aussi culturelle, politique, etc.) en considération, à adopter une vision transversale plutôt qu’une vision segmentée. Pour prendre l’exemple des écoquartiers, si vous l’établissez en périphérie de votre ville, et par conséquent si vous obligez ses habitants à utiliser la voiture pour aller en centre ville, cela n’a aucun intérêt. Une approche transversale implique de prendre en considération l’ensemble des acteurs concernés. Elle implique aussi à articuler les échelles, quitte à déborder le périmètre administratif d’une ville en privilégiant une approche intercommunale voire régionale. La ville durable, c’est aussi et surtout une ville qui, pour l’essentiel, existe déjà et avec laquelle il faut bien composer. C’est inventer des choses nouvelles mais en partant de l’existant : les bâtiments anciens, le métro construit voici plus d’un siècle, etc.. Dans cette perspective, les écoquartiers ont leur utilité s’ils sont conçus en rapport avec le reste de la ville. Pour des élus, c’est un moyen de rendre visible leur engagement en matière de développement durable : un écoquartier se voit quand même plus facilement qu’une barre d’HLM réhabilitée… Pourquoi pas. Cependant, ce ne peut être qu’une première étape pour sensibiliser une population encore réticente ou qui tout simplement n’arrive pas à mettre des réalisations concrètes sous cette notion de ville durable.
Propos recueillis par Bruno Poulard
Sylvain Allemand est journaliste. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur ce thème dont Entre valeurs et croissance, le commerce équitable en question (Les Carnets de l'info, 2008).Il s’apprête à publier Pourquoi le développement durable (éditions Belin).
Editeur : Carnets De L'info, date de parution décembre 2009
Collection : Modes De Ville
192 pages
17 €