Plan Eau : quelles perspectives pour les réseaux de canalisation ?
Après la sobriété énergétique à l’arrivée de l’hiver, le gouvernement fait place à la sobriété hydrique à l’arrivée du printemps. Jeudi 30 mars, lors d’un déplacement à Savines-le-Lac (Hautes-Alpes), le président Emmanuel Macron dévoilait son plan Eau.
Le but ? Optimiser la gestion de cette ressource menacée par le réchauffement climatique et les vagues de sécheresse de l’été dernier. Si les consommations agricoles (58 %), d’eau potable (26 %), des centrales électriques (12 %) et industriels (4 %) ont été au coeur de cette feuille de route, d’autres axes ont été abordés.
Le rendement des réseaux, mesure phare du plan Eau pour les Canalisateurs
Du côté des Canalisateurs, organisation professionnelle de la Fédération Nationale des Travaux Publics (FNTP), réunissant 330 entreprises de la pose et la réhabilitation de canalisations d’eau potable, d’eaux usées, d’irrigation, de gaz et fluides divers, « la mesure phare c’est la prise en compte de la problématique des fuites et des rendements de réseaux », nous révèle son vice-président Christophe Ruas.
En France, « un litre d'eau sur cinq est perdu en raison des fuites, c'est inacceptable », a en effet a déclaré le président de la République, pointant du doigt un « sous-investissement historique ». C’est pour cette raison que le plan Eau prévoit de mobiliser dès 2024, 180 millions d’euros supplémentaires par an.
« Au niveau national, on a un taux de rendement qui est de l’ordre de 78 %. Donc par définition et par inversion le taux de fuite est de 22 % », nous confirme Michel Réguillon, président des Canalisateurs dans la région Sud Est, où les niveaux sont à peu près similaires qu’au niveau national.
Distribués via les six agences de l’Eau, les moyens financiers seront placés dans la réparation et le renouvellement des « points noirs » des réseaux d’eau, c’est-à dire où le taux de fuites dépassent les 50 %, et qui concernent 170 collectivités en France. « Des travaux de sécurisation seront également réalisés dans les 2 000 communes qui se sont retrouvées proches d'une situation de rupture d'approvisionnement en eau potable lors de la sécheresse de l'été dernier », lit-on dans une dépêche AFP.
Certes les 180 millions d’euros d’aides peuvent être multipliés par trois grâce aux investissements propres des collectivités, selon Christophe Ruas. « Par contre les moyens alloués ne sont pas forcément à la hauteur de la dynamique qui va se créer », estime le vice-président des Canalisateurs.
Les moyens accordés au renouvellement des réseaux d’eau peu suffisants
« Aujourd’hui avec 2,6 milliards d’investissement par an, on peut renouveler à peu près 0,7 % du réseau tous les ans. Ça voudrait dire que nos réseaux doivent tenir 160 ans pour qu’on puisse les renouveler de façon régulière. Donc là, à l’évidence, la durée de vie d’un réseau on peut l’estimer entre 60 et 80 ans selon les matériaux et la façon dont ils ont été posés. Aujourd’hui le chiffre qui a de l’importance, c’est que l'on a plus de 40 % de notre réseau qui a plus de 50 ans », nous expose-t-il.
« Si on voulait renouveler de façon pérenne nos réseaux, il faudrait investir 2 milliards de plus par an sur les réseaux d’eau potable. Aujourd’hui l’investissement par an tourne autour de 2,6 milliards, il faudrait ajoute 1,8 milliard d’investissement », conclut-il. Mais cela représente la moitié des 4,6 milliards d'euros en besoins annuels supplémentaires pour non seulement moderniser et décarboner les infrastructures de l'eau, mais aussi assainir et récupérer des eaux de pluie, chiffrés dans une étude mandatée par l'Union des Industries de l'Eau (UIE) en octobre dernier.
D’autant que dans le plan pluriannuel de 2018 à 2024 qui régit actuellement les agences de l’Eau de « l’eau potable et le renouvellement des réseaux d’eau potable n’étaient plus subventionnés », nous révèle Michel Réguillon. Or, les Assises de l’Eau de 2019 ont incité le gouvernement, via les agences de l’Eau, à mettre l’accent sur l’amélioration des taux de rendement.
Le président Sud-Est des Canalisateurs ajoute : « Quand il y a eu le plan de relance national, il y a 120 millions d’euros supplémentaires qui ont été débloqués, portant le budget à 240 millions pour l’agence de l’Eau des régions Rhône-Alpes-Corse (RMC). Cela a permis aux collectivités de faire des demandes subventions pour renouveler leur réseau, alors que le 11ème plan de l’agence de l’Eau était orienté sur le grand-cycle de l’eau, la biodiversité… ».
Pour ce qui est du fléchage budgétaire, les deux représentants des Canalisateurs trouvent qu’une grande partie doit s’adresser aux zones rurales, où les rendements sont moins bons comparés aux collectivités plus grandes et plus urbaines. « Mais il faut aussi ne pas pénaliser les bons élèves, car il y a des collectivités qui ont des bons rendements mais qui ont également besoin de beaucoup d’aides », souligne Christophe Ruas.
Déployer la réutilisation des eaux usées
Autre point important du plan Eau : la réutilisation des eaux usées, pour lequel un objectif de 10 % a été annoncé par Emmanuel Macron, contre les 1 % établis aujourd’hui. « Nous avons décidé de lancer 1 000 projets en cinq ans pour recycler et réutiliser l'eau », « in fine, nous voulons réutiliser 300 millions de mètres cubes, soit 3 piscines olympiques par commune (...) ou 3 500 bouteilles d'eau par Français et par an », a détaillé le président de la République.
À l’échelle des professionnels des canalisations, les exemples fusent. « À côté de La Roche-sur-Yon, en Vendée, à la sortie d’une station d’épuration, on capte et traite les eaux usées. Elles sont envoyées par une conduite qui fait une quinzaine de km et sont renvoyées dans un réservoir naturel, une sorte de lagune. Elles sont refiltrées par l’intermédiaire de la lagune et réinventées par la nappe de cette lagune », nous décrit notamment Michel Réguillon.
D’autres pistes importantes sont à explorer, en particulier les stations d’épuration sur le littoral, afin d’éviter que les eaux usées ne soient déversées dans la mer. « Il faut vraiment promouvoir la réutilisation des eaux sorties de stations d’épuration et s’en servir pour l’irrigation », nous cite notamment Christophe Ruas. Toutefois, « il faut faire attention à ce qu’il n’y ait pas de produit dans les sorties de stations d’épuration, qui soient contrindiqués pour la santé », avertit le vice-président.
Cet été, les manques d’eau ont été aussi aggravés par « la présence d’un seul point de pompage de l’eau », avance Christophe Ruas. D’où la nécessité selon le vice-président des Canalisateurs de diversifier les sources. C’est le cas de l’agglomération de Montpellier, qui s’approvisionne au syndicat Mixte Garrigues Campagne, fruit d’une interconnexion entre deux syndicats. Avec un compteur commun, les deux structures peuvent « s’alimenter mutuellement », « quand l’un ou ou l’autre a des soucis ».
Le maillage a d’autant plus d’importance dans les territoires du Sud, où le stress hydrique sème la crainte au sein de la population. En témoignait à l’AFP, fin mars, le Syndicat mixte d'aménagement de la vallée de la Durance (SMAVD), dans les Hautes-Alpes, selon qui, après une sécheresse intense en 2022, l’alimentation en eau devrait s’améliorer en Provence, bien qu’une diminution de 15 % des ressources sont à craindre d’ici à 2050. Son directeur ressource en Eau rapporte qu'en 2023 « les perspectives de remplissage des retenues comme à Serre-Ponçon », bassin artificiellement entretenu, « sont bien meilleures que l'année dernière ».
Il faut dire que le Sud-Est « est une région où le Rhône est alimenté principalement par les glaciers. Le niveau des nappes est corrélé avec la fonte des neiges et les pluies », nous mentionne Michel Réguillon. Et le stress hydrique, subi depuis des étés mais aussi cet hiver, appelle à la vigilance.
Les métiers des canalisations de plus en plus reconnus
Une chose est sûre : phénomènes de sécheresse tendent à renforcer le rôle des professionnels des canalisations dans l’alimentation en eau, bien que le déclic se soit opéré depuis les Assises de l’Eau entre 2018 et 2019.
« Avant, nous, canalisateurs, on était quelque part considérés comme des fabricants de tuyaux, comme des marchands de tuyaux. Depuis que la problématique de l’eau a été posée en 2018-2019, nous sommes devenus des partenaires », nous raconte Michel Réguillon. « Aujourd’hui, sans le métier de canalisateur, il y aurait impossibilité d’améliorer le taux de rendement des régions », affirme le président des Canalisateurs du Sud-Est.
Mais cela se voit-il à l’échelle des marchés publics, dont sont tributaires ces professionnels de la VRD ? « On n’a pas vu d’explosion de la commande ces derniers mois, ou ces dernières années. Par contre à l’inverse de peut-être d’autres professions, on n’a pas vu de baisse significative non plus. Donc on est plutôt sur une dynamique positive, mais qui n’est pas la hauteur de ce qu’il faudrait, pour arriver à obtenir des rendements élevés et de limitations des fuites », nous Christophe Ruas.
Surtout que la profession, comme d’autres secteur du BTP, est exposée à l’inflation des prix des matières premières. « On a eu une crise de l’énergie qui a amené une crise sur le prix des matières premières. Et en particulier dans l’eau, nous on pose essentiellement des tuyaux en fonte et la fonte a pris 85 % pendant l’année 2022. Nous on est dans l’obligation de répercuter ces prix de la fonte et les collectivités se retrouvent à des prix bien supérieurs à ce qui était prix », de l’ordre de 20 points en global, estime Michel Réguillon.
Propos recueillis par Virginie Kroun
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