Le RGA, un risque croissant à prendre en compte dans le neuf comme l’existant
En France métropolitaine, le bâti est relativement épargné par les phénomènes climatiques extrêmes tels que les séismes, tsunamis ou ouragans. Toutefois, il en est un plus silencieux mais pas moins pernicieux : le retrait-gonflement des argiles (RGA), un risque qui menacerait aujourd’hui la stabilité d’au moins 10,4 millions de maisons individuelles.
Les deux tiers du pays seraient recouverts de sols argileux, propices au risque de RGA. Ce dernier survient lors de l’alternance entre les périodes pluvieuses, durant lesquelles les sols gonflent, et les périodes de sécheresse, durant lesquelles ces sols se rétractent, occasionnant la fissuration des sols et des murs de nombreuses maisons individuelles aux fondations peu profondes.
Si ce phénomène est bien connu et identifié par les professionnels du bâtiment depuis une vingtaine d’années, il reste encore trop souvent méconnu du grand public.
Le RGA, un risque voué à s’étendre géographiquement
Pour permettre aux Français de savoir si leur maison est exposée, le site géorisques.fr met à leur disposition une carte interactive. En rentrant une adresse postale, tout un chacun peut ainsi connaître les zones exposées ou non au phénomène, ce qui peut notamment être utile avant l’achat d’un terrain ou d’un logement.
Lamine Ighil Ameur, docteur en mécanique des sols au sein du Centre d'études et d'expertise sur les risques, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) nous précise que si cette carte existe depuis 2010, cette dernière n’était qu’une carte « de susceptibilité » et non pas « d’exposition » jusqu’en 2019. Par ailleurs, elle devrait être amenée à évoluer, alors que l’on constate un phénomène d’expansion géographique de ce risque.
En dehors de la Bretagne, de la Corse, et des zones montagneuses - épargnées grâce à leur géologie - quasiment toutes les régions françaises sont aujourd’hui touchées par le RGA, et plus particulièrement l’Occitanie, la Nouvelle-Aquitaine, les Pays de la Loire, le Centre-Val de Loire, l’Île-de-France, la Normandie, ou encore les Hauts-de-France.
« On se rend compte que le phénomène des fissures liées à la sécheresse, qui s'étendait auparavant de Toulouse à Bordeaux en remontant par la Charente, s'étant désormais pour remonter vers le nord et l'est de la France », note Christophe Delcamp, directeur des assurances de dommages et de responsabilité au sein de France Assureurs.
« Ce qu'il faut avoir en tête, c'est l'expansion géographique de la sensibilité à ce phénomène. Cela veut dire qu'il y a des sols épargnés jusque-là qui vont devenir sensibles. Aujourd’hui, la sinistralité se propage au niveau des zones géographiques. On a quasiment tout le territoire qui est concerné », abonde Lamine Ighil Ameur.
Autre phénomène qui s’intensifie et qui aggrave le RGA : les périodes de sécheresse. Ainsi, en 2022, 6 700 communes françaises ont été reconnues en état de catastrophe naturelle en raison de la sécheresse, contre 4 200 pour le précédent record lors de la canicule de 2003.
Résultat, les coûts liés à la sécheresse devraient tripler pour les assureurs d’ici 30 ans, passant de 13 milliards d’euros entre 1989 et 2019, à 43 milliards entre 2020 et 2050.
« L’urgence, ça n’est pas de se dire où est-ce qu’on va chercher de l’argent pour faire de l’indemnisation, mais plutôt où est-ce qu’on peut chercher de l’argent pour faire de la prévention et de l’adaptation pour réduire la vulnérabilité du bâti et avoir moins de sinistralité derrière », souligne toutefois Lamine Ighil Ameur.
Selon le docteur en mécanique des sols, il faudrait commencer par réaliser un état des lieux plus poussé des logements exposés : « Sur les 10,4 millions de maisons potentiellement très vulnérables, on ne sait pas combien sont exposées mais pas encore fissurées, combien sont fissurées mais à un stade primaire, et combien sont vraiment largement fissurées, avec des fissures traversantes de plusieurs centimètres. Une fois qu’on aura fait cet état des lieux, on pourra cibler à la fois la prévention et l’adaptation », estime-t-il.
Des expérimentations pour adapter et réparer le bâti existant
Lorsqu’une maison est impactée par le RGA, les techniques les plus couramment utilisées pour la réparer ou la stabiliser vont être l’installation de micropieux dans les fondations, l’injection de résine expansive, ou encore l’agraphage pour éviter que les fissures ne s’aggravent.
Mais la gestion de l’environnement proche de la maison est également une question cruciale. Pour Lamine Ighil Ameur, il faut commencer par vérifier la végétation alentour, couper les arbres qui risquent de pomper toute l’eau en période de sécheresse, et installer des écrans anti-racines. Et enfin, éliminer toutes les fuites d’eau, en étanchant les canalisations notamment.
« La végétation, plus elle est proche, et plus elle accentue la dessiccation, et plus c'est préjudiciable pour le bâtiment. Je connais des personnes qui ont fait appel à des paysagistes par exemple pour couper la végétation qui était trop proche des fondations, ou qui ont fait appel à des maçons pour renouveler leur réseau d’assainissement parce qu’il était vétuste et présentait des fuites », témoigne le docteur en mécanique des sols.
Autre technique : créer un trottoir périphérique en béton ou en membrane géotextile autour de la maison pour garder un taux d’humidité constant, même en période de sécheresse.
Des expérimentations sont également lancées pour tester de nouvelles solutions. Parmi elles, on retrouve le dispositif MACH (pour «maison conforté par humidification »). Concrètement, il s’agit de stocker de l’eau de pluie dans une cuve, d’installer des capteurs dans le sol, et un système de goutte à goutte autour de la façade de la maison. En période de sécheresse, les capteurs indiquent lorsque le sol est trop sec, et le système de goutte à goutte permet d’humidifier les contours de la maison grâce à l’eau de pluie récupérée.
« C’est un dispositif qu’on a expérimenté entre 2016 et 2020, et qui montre des résultats encourageants. Sur une maison déjà fissurée, on constate que les fissures existantes ne s’ouvrent pas davantage, et on n’a pas d’apparition de nouvelles fissures », explique l’expert du Cerema.
Ce dispositif fait d’ailleurs partie des solutions testées dans le cadre d’« Initiative Sécheresse », une expérimentation lancée en septembre dernier par France Assureurs, la Mission des Risques Naturels (MRN) et la Caisse Centrale de Réassurance (CCR).
L’objectif : tester des solutions sur 300 maisons individuelles, dont 200 maisons sinistrées dans le cadre d’une réparation, et 100 maisons dans le cadre d’une démarche de prévention. Cette expérience sera menée sur 5 ans, avec 4 familles de solutions testées : la réhydratation des sols, la protection des sols, le traitement des sols, et la reprise en sous-œuvre.
Comment réduire le risque pour les constructions neuves ?
Pour les constructions neuves, il n’existait pas de loi jusqu’en octobre 2020, date à laquelle est entré en vigueur l’article 68 de la loi ELAN. Depuis cette date, il est obligatoire de réaliser une étude de sol, ou d’appliquer des mesures forfaitaires, avant de construire une maison.
« Jusqu’en octobre 2020, c'est-à-dire avant la publication des décrets d'application de la loi ELAN, en France, on pouvait construire sans savoir sur quoi on construisait», résume Christophe Delcamp.
Dans le cadre des mesures forfaitaires, les fondations doivent être de 80 centimètres de profondeur dans les zones moyennement argileuses, et de 1m20 dans les zones très argileuses.
«Ces valeurs montrent que l'on va donc dorénavant ancrer plus profondément les fondations, parce que plus on descend verticalement dans le sol, plus le taux d'humidité est constant », explique Frédéric Henry, directeur prévention construction au sein de l’Agence Qualité Construction (AQC).
Privilégier les études de sol plutôt que les mesures forfaitaires
Toutefois, selon Lamine Ighil Ameur, il serait plus judicieux de rendre obligatoire l’étude de sol G2 plutôt que d’appliquer systématiquement des mesures forfaitaires non adaptées à chaque contexte précis. « 1m20 cela peut être surdimensionné dans certains cas, comme ça peut être sous-estimé, sous-dimensionné dans d'autres cas. Tout est possible. Donc le plus prudent c'est vraiment de faire une étude de sol et de dimensionner en fonction de l'étude de sol », estime-t-il.
« Le problème des mesures forfaitaires c’est d'être parfois moins adapté à la situation réelle », reconnaît également Frédéric Henry.
Le principal frein à ces études de sol ? Le coût, alors qu’une telle étude coûterait entre 3 000 et 5 000 € au maître d’ouvrage, selon Lamine Ighil Ameur.
« Cela a un coût, donc c’est pour cela qu’aujourd'hui cela fait débat. Mais pour moi, si on veut faire de la prévention et donc éviter que dans quelques années on ait à subir des fissures de sécheresse, mieux vaut faire une étude de sols correcte selon les normes au départ pour mieux dimensionner son bâti, et le construire selon les résultats de l'étude », ajoute-t-il.
Pour le directeur prévention construction de l’AQC, les professionnels de la construction savent aujourd’hui comment construire en s’adaptant à ce risque. « Aujourd’hui les professionnels savent, et en plus ils engagent leur responsabilité avec la garantie décennale. D’ailleurs, on constate une baisse de la sinistralité dans le neuf depuis quelques années », précise-t-il.
Mais d’ailleurs, comment faire la différence entre une fissure liée à un défaut de construction d’une fissure liée à un RGA ? « Les fissures liées au RGA sont des fissures qui vont apparaître dans les angles, et être en escalier », synthétise Frédéric Henry, même si l’analyse d’un expert reste nécessaire pour les assurances.
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Propos recueillis par Claire Lemonnier
Photo de une : Adobe Stock