Comment protéger les bâtiments des inondations ?
Entre Saint-Omer (Pas-de-Calais) et Dion (Gard), en passant par Saintes (Charentes-Maritime), des vagues d’inondations ont déferlé en France ces derniers mois.
Selon les chiffres de France Assureurs, 2035 communes ont été victimes d’inondations en 2022, contre 2600 en 2021 et 1255 en 2020.
« On se situe en 2022 dans une fourchette relativement basse par rapport à d‘autres années, lors desquelles on a pu constater plus de 6 000 à 7 000 communes sinistrées », compare Christophe Delcamp, directeur des assurances de dommages et de responsabilité de France Assureurs.
Pour autant, les inondations continuent d’inquiéter. Toujours d’après les calculs de France Assureurs, les indemnisations liées à des inondations par ruissellement, remontée de nappe ou débordement de cours d’eau - hors submersion marine - risquent de quasi-doubler : « sur la période 1999-2019, les inondations ont provoqué 27,6 milliards d’euros de dommages indemnisés. Sur la période 2020-2050, le coût projeté atteint 50 milliards », nous expose M. Delcamp. Soit une augmentation de 81 %.
« La tendance à l’augmentation est là. L'inondation est un phénomène qui va s’aggraver. C’est pourquoi il faut absolument s’emparer du sujet, notamment en termes de prévention et de protection », constate le directeur des assurances de dommages et de responsabilité de France Assureurs.
« Quand on écoute les experts, on sait qu’il y a une amplification d'intensité, et puis du volume de pluie. Il y a une amplification des phénomènes de sécheresse aussi et de chaleur. Il y a une augmentation du niveau des mers aussi. La prise de conscience en France de l'urbanisation par rapport à ces phénomènes-là reste relativement récente finalement », estime de son côté Stéphane Quéméneur, dirigeant de l’entreprise 2 L’Eau Protection.
Trois grands types d’inondations en France…
Frédéric Henry, directeur prévention construction et partenariats de l’Agence Qualité Construction (AQC), rappelle qu’on identifie trois types d’inondations :
- Les inondations lentes. « C’est ce qu'on voit aujourd'hui dans le nord de la France. Elles viennent progressivement avec une montée des nappes phréatiques, des débordements de cours d'eau, des pluies régulières. L’inondation va rester un certain nombre de jours et décliner lentement », nous décrit l’intéressé.
- Les inondations rapides, ou également appelées les phénomènes cévenols. Ces épisodes naissent par exemple lorsque le vent chaud et humide de la Méditerranée migre vers le Nord, au niveau du massif montagneux des Cévennes. Il rencontre l'air froid présent en altitude et provoque des épisodes orageux. « Des précipitations vont dévaler dans le fond des vallées. Il y a en plus un courant assez violent, qu’il faut intégrer au niveau des bâtiments », nous précise M. Henry.
- La submersion marine, au niveau des côtes françaises. « Il peut y avoir des phénomènes combinés de grande marée, de tempête, de vent et de pluie. Et là, il y a quand même beaucoup de bâtiments en front de mer ou à proximité avec atteinte de l'eau soit en partie basse, soit en façade », souligne Frédéric Henry.
Qu’importe le type d’inondation, il y a trois priorités à respecter selon les professionnels : assurer la sécurité des personnes, limiter les dommages au bâtiment et aux biens, et enfin, organiser un retour rapide à la normale, c’est-à-dire à la réutilisation du bâtiment.
Pour ce qui est du deuxième objectif, la sécurisation du bâtiment, « c’est facile en neuf, plus difficile en rénovation », nous rapporte M. Henry. Il existe trois grandes stratégies à suivre dans ce sens.
… et trois grandes stratégies pour protéger les bâtiments
D’abord : éviter l’eau. Cette démarche va de soi, bien qu’elle ne soit pas simple à appliquer. Dans le neuf, il convient par exemple de rehausser le bâtiment par différentes opérations : ajouter trois marches pour monter dans les pièces à vivre ou concevoir des bâtiments sans parties inférieures. La hauteur des surélévations dépend des directives dans les communes. « Par expérience, on connaît le plus haut niveau d'eau connue (PHEC), on va se positionner quelques dizaines de centimètres au-dessus », précise le directeur prévention construction de l’AQC.
Et de poursuivre : « Deuxième stratégie : on va résister à l'eau. En rénovation par exemple, on va éviter que l’eau ne pénètre dans le bâtiment. Cela veut dire qu'on va fermer toutes les ouvertures extérieures en partie basse : les portes d'entrée, les bouches d'aération, les fenêtres, les soupiraux… ».
En cas d’inondations rapides, la mise en place de batardeaux contre les portes d’entrée, en partie basse, est préconisée, nous explique Frédéric Henry, en indiquant que la démarche « est valable quand les inondations ne durent pas trop, car le bâtiment a quand même des matériaux potentiellement poreux. La maçonnerie finit par laisser passer un petit peu d'eau. De plus, il y a un phénomène de pression hydrostatique. S’il n’y a pas un équilibre des forces de l'autre côté, le mur risque de se déformer voire de casser. Il ne faut donc pas mettre des protections trop hautes ».
2 l’Eau Protection, 20 ans de solutions contre les inondations
L'entreprise 2 l'Eau Protection cherche à endiguer ces contraintes techniques. En témoigne son catalogue : batardeaux, barrières anti-inondation, barrages anti-crues, portes étanches, portails étanches, portes de garage étanches, trappes étanches, barrières pivotantes, barrières de rétention manuelles… Fondée en 2003, 2 L’Eau Protection compte ue portefeuille de projets variés. L'entreprise a notamment fourni des protections pour la centrale de Gravelines (Nord), le site du groupe Carrier à Aubagne (Bouches-du-Rhône), les berges de Saint-Joseph sur l’île de La Réunion, ou bien des maisons à Armentières (Nord). «On a toute une gamme de solutions, entre celles autonomes qui s'élèvent à la force de l'eau jusqu'à des solutions plus basiques et manuelles. On a une capacité interne à trouver la solution pour assurer une continuité d'étanchéité, entre la maçonnerie qui est relativement étanche et nos barrages », nous explique Stéphane Quéméneur, son fondateur. M. Quéméneur met cependant le doigt sur une notion importante : le budget. «C'est vrai qu'il y a des dispositifs autonomes ou motorisés qui vont coûter plus cher et des dispositifs manuels moins. Donc il y a un mix pour trouver une solution, qui puisse être opérationnelle et faisable », note-t-il. |
Christophe Delcamp, de France Assureurs, encourage également la normalisation de ces batardeaux. « Aujourd’hui, ils ne sont pas normés. N’importe qui peut en installer, n'importe comment », nous confie-t-il.
Troisième et dernière grande technique : laisser entrer l’eau, pour ne pas mettre en danger la structure du bâtiment. « On laisse rentrer l'eau, dans la cave ou dans la partie inférieure. Mais dans ce cas-là, en neuf comme en rénovation, il faut penser à des matériaux peu sensibles à l'eau, si possible, ou facilement changeables. Je pense à l’isolation thermique et aux revêtements de sol. On peut aussi proposer soit des isolants thermiques un petit peu moins sensibles à l'eau à cellules fermées, comme certains en polystyrène, soit qui permettent un démontage rapide pour les remplacer une fois le bâtiment sec », nous développe M. Henry.
Autres éléments à protéger : les installations techniques. « Pour les installations techniques, on va les remonter. Si je suis en immeuble collectif, la machinerie d’ascenseur est à mettre sur le toit et non pas en sous-sol », illustre l'expert de l'AQC. La chaudière va être installée en mural, voire à l’étage, et non dans la cave, pour « gagner 1m50 en hauteur d’eau ». Le réseau électrique, souvent en partie basse dans la plinthe des murs va être remonté au plafond. « Autre chose à mettre en place, en neuf ou en rénovation, quel que soit le type d'inondation, c’est un clapet anti-retour sur les réseaux d'évacuation d'eaux usées. Cela facilitera le nettoyage et le retour rapide à la normale ».
Bien étudier le terrain avant tout projet de construction
« Il faut que les professionnels du bâti intègrent systématiquement, et cela dès la construction, des mesures de prévention contre les aléas climatiques au sens large, et tiennent compte des études de sols rendues obligatoires par la loi ELAN », insiste également Christophe Delcamp de France Assureurs.
Avis partagé avec Stéphane Quéméneur, pour qui le diagnostic, une autre spécialité de sa société 2 L’Eau Protection, est un prérequis pour répondre à différents cas de figure. « Si on est en rénovation : quel âge a le site ? Est-ce qu'on connaît bien toutes les entrées ? Est-ce qu'on peut vraiment bien mettre à jour toutes les entrées d'eau possibles ? Est-ce qu'on est exhaustif ou est-ce qu’il y a encore un doute ? », illustre-t-il notamment.
L’idée derrière : se faire une idée de la crue de projets, entre les risques à crues lentes et celles rapides, dont le délai d’alerte peut différer. « On retrouve aussi des sites qui, même protégés au niveau des entrées, se retrouvent finalement avec de l'eau remontant par les nappes et par les dalles de sol. Donc déjà avoir une vision claire de la crue de projets, des délais d’alerte, des hauteurs, c’est important », mentionne-t-il.
M. Quéméneur soulève l’importance des ressources humaines comme documentaires pour se préparer aux inondations : « On est quand même pas mal lôtis en France à ce niveau-là, on a pas mal d'outils ». Le site géorisque.fr, les plans de prévention de risques naturels (PPRN) des communes, les travaux de la Mission des Risques Naturels…
Cependant, « même dans une zone non repérée à risque, il peut y avoir une inondation.Ce sont des informations remontées dans nos groupes de travail. Il faut quand même être attentif à ces phénomènes d'inondation qui, parfois, ne sont pas cartographiés à 100 %», avertit Frédéric Henry.
Le directeur prévention construction et partenariats de l’AQC appuie l’intérêt des visites de terrain, afin d’en connaître la topographie, les cours d’eau ou les repères de crue, « qui peuvent donner une certaine information ».
Un phénomène demeure toutefois « encore mal connu et très compliqué à modéliser » remarque Christophe Delcamp : l’inondation par ruissellement. Il détaille : « Le ruissellement associe différents paramètres. D’abord la nature du sol, car, généralement, ce phénomène se produit sur des sols artificialisés. Puis il y a la quantité d'eau, qui peut tomber en seulement quelques minutes : c’est encore plus difficile à modéliser qu'une crue à cinétique lente, qu’il est possible d’anticiper ».
Et les assurances dans tout ça ?
Si les solutions et procédés techniques tendent à prémunir les bâtiments contre les inondations, qu’en est-il côté assurances ? En soit, le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, en cours depuis 1982 en France, reste le même : ce qui est assuré doit être réparé. Sans compter que la garantie Cat Nat, présente dans tous les contrats de dommages aux biens, a été réévaluée par l’État. À partir de janvier 2025, il passera à 20 %, contre 12 % auparavant.
De plus, la surprime Cat Nat finance le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), autrefois nommé le fonds Barnier. D’une dotation de 225 millions d'euros, il permet de financer des travaux de réparation des particuliers, mais également « les plans de prévention des risques naturels majeurs, déclinés sur tous les aléas naturels et principalement l'inondation. Ce sont les préfets, avec les maires, qui, sur un territoire donné, vont mettre en place ce fameux plan de prévention du risque naturel. Ils vont définir des mesures d'urbanisme ou des mesures de construction, des recommandations, des préconisations », abonde Christophe Delcamp de France Assureurs.
Problème selon ce dernier : la mise en œuvre des préconisations des Plans de Prévention des Risques d’Inondation (PPRI) ne fait pas l’objet de contrôles suffisants. De plus, « il faudrait que ces outils soient harmonisés au niveau local et consolidés au niveau national ».
« Aujourd'hui, les professionnels du bâtiment sont de plus en plus informés sur ces questions-là, en particulier en rénovation. Quand vous changez une chaudière, quand vous allez faire une rénovation thermique, il faut regarder ces critères », rassure cependant Frédéric Henry.
« La résilience climatique, pour un professionnel, c'est un critère intégré dès le début de son raisonnement. C'est son obligation de conseil aussi. Juridiquement, celui qui doit regarder, conseiller et proposer les mesures c’est le professionnel, dans la mesure du possible », enchaîne le directeur prévention construction et partenariats de l’AQC. L’association intègre ces questions également dans sa documentation.
Plaquettes, vidéos, rapports… Les ressources ne manquent pas, tant pour les architectes que pour les entrepreneurs. « Maintenant, il n’y a pas une réunion importante sans qu'on ne parle d’inondations et plus largement des risques naturels, que ce soit avec ceux qui conçoivent - les architectes, bureaux d'études -, avec ceux qui réalisent - les entreprises, les artisans - ou au-delà, les contrôleurs techniques, les assureurs, les fabricants de matériaux », nous confie M. Henry.
En parallèle, l’AQC collabore avec des professionnels du risque climatique, tels que le Centre européen de prévention de risque d'inondation et l’Association française de prévention des risques naturels et technologiques.
Une preuve que, dans le bâtiment, technique et climatique vont de pair.
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Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de Une : Adobe Stock