L’isolation paille, terrain de vocation et d'expérimentation
Dans le 15ème arrondissement de Paris, rue Convention, c’est un chantier plutôt inédit dans la capitale, qui se lançait durant l’été 2020. Un immeuble de sept étages, abritant 14 logements sociaux, accueillait toute une série de travaux : installations géothermiques, remplacement de menuiseries, mais surtout pose d’isolation en paille.
Détenu par le bailleur social Paris Habitat depuis 2018, l’immeuble a pour sa réhabilitation bénéficié de l’expertise de deux cabinets d’architecte : Trait Vivant et Landfabrik. Les acteurs ont, à l’occasion d’un Rendez-vous du Mondial de Bâtiment ce vendredi 9 septembre, échangé sur ce projet, déjà imaginé en Aquitaine et dans les Vosges.
La botte de paille, un isolant qui fait de plus en plus ses preuves
Terminés en 2021, les travaux menés rue Convention ont permis une amélioration de la performance énergétique. Avec « les financements et aides de la Ville de Paris qu’on avait, on devait atteindre un objectif de 30 % d’économies d'énergie par rapport à l’existant, qu’on a largement atteint », estime Benoît Quertier, chef de service Patrimoine de Paris Habitat.
Un mal nécessaire quand on constate la crise énergétique actuelle, sur fond de reprise post-Covid et de guerre en Ukraine. « Au-delà de la dépense énergétique, cela dépense de l’inconfort chez les gens », remarque Benoît Rougelot, architecte et co-gérant du cabinet Landfabrik, craignant derrière des problèmes de santé et « une société malade ».
Et selon l’architecte comme beaucoup d’autres acteurs tels que Kompozite, l’isolation en paille détient beaucoup de qualités d’un isolant : stockage carbone, régulation de l’humidité, confort thermique en hiver comme en été...
La capacité de transfert de chaleur dans une botte de paille serait quasi-double aux seuils minimaux fixés par la RE2020 et serait d’un niveau passif, le meilleur attendu par la réglementation.
« Quand on désosse des bâtiments avec de la laine de verre, en isolation extérieure, on se rend compte que la laine de verre, qui a 30-40 ans, n'est pas répartie de façon homogène sur le façade. Il y a des endroits où il n’y en a plus. Alors que pour la botte de paille, on a fait un sondage : la botte de paille est exactement la même qui sort du champ, sur une maison de 102 ans », nous confie Benoît Rougelot.
D’autant que pour ce qui est de l’isolation par l’extérieur (ITE) entreprise sur l’immeuble de Paris 15ème, les bottes de paille ont été fournies en circuit court, depuis un agriculteur de Seine-et-Marne.
Un chantier-école sur les techniques d’application du biosourcé
La réhabilitation de logements sociaux rue Convention fait donc partie de ces chantiers-écoles, partagés entre de la théorie et la mise en œuvre. C’était d’ailleurs l’occasion pour Volker Ehrlich, architecte de Trait Vivant, de tester une technique de pose, faisant appel à des sangles en polypropylène, afin de fixer les bottes de paille au mur.
L’idée a été trouvée lorsqu’il rénovait sa propre maison, en remplacement des épines de bois, certes robustes mais épuisantes à poser. Si ces dernièreres sont appliquées entre le troisième et le dernier étage de l’immeuble, la partie inférieure a accueilli les bretelles polypropylène. Un mix pour une démarche d'assurabilité et de démontrabilité quant à l’efficacité de la technique.
« L’objectif de Paris Habitat c’est de trouver des techniques reproductibles de chantier (...) La bretelle est venue en opportunité, parce que finalement le chantier se passait bien et on avait envie d’aller plus loin », nous explique Benoît Quertier.
En plus de la performance, ce type d’expérimentation présente un intérêt économique. « Sur le coût, on était à peu près répartis entre quatre parts du gâteau : un quart du coût l’échafaudage, un quart du coût la charpente, un quart du coût l’isolation paille, un quart du coût l’isolation enduit. Le bois a un coût essource important, donc réduire et être encore plus sobre dans l’apport du bois, ça permettrait d’être encore meilleure », développe le chef Patrimoine de Paris Habitat.
Le biosourcé, un tremplin professionnel ?
Au total, les travaux d’ITE ont réuni une soixantaine de bénévoles, dont une majorité d’étudiants ou jeunes diplômés en architecture, ingénierie, voire artisanat du bâtiment. L’occasion pour eux de mettre la main à la pâte, ou plutôt à la terre.
Selon Volker Ehrlich, les matériaux biosourcés incitent à la créativité des professionnels en herbe, mais aussi des plus aguerris. « Les artisans les plus motivés dans le milieu de la charpente ou de la menuiserie, vivent une certaine frustration, puisqu’ils ne peuvent plus exercer leur métier. Ils ne sont devenus que des poseurs », nous expose-t-il.
La perte d’un savoir-faire face à une « corset réglementaire » rigide et des décideurs « qui ferment la porte à des solutions viables et sensées et qui permettent de répondre aux enjeux contemporains », abonde l’architecte.
Derrière le recours à l’ITE en paille et au biosourcé en général, il y a chez certains acteurs l’idée de retourner à des matières premières et limiter la casse environnementale. Ce qui donne « de la joie sensorielle, du sens, une orientation » chez les plus jeunes, relève l’architecte Volker Ehrlich.
De quoi provoquer des vocations dans l’artisanat du bâtiment. Les pénuries de main d'œuvre sont toujours y sont encore prégnantes. En particulier dans la rénovation, secteur qui cherche à former davantage.
Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de Une : Adobe Stock