Logement social, handicap… Le 30ème rapport du mal-logement en détails
Rebaptisée Fondation pour le logement des défavorisés - suite aux témoignages de violences sexuelles visant son fondateur -, l’ex-fondation Abbé Pierre a dévoilé son 30ème rapport sur le mal-logement. Ce dernier fait état d’une année « presque blanche » en matière de politique du logement, placée sous le signe de l’attentisme.
« L’année 2024 aura aussi été marquée par sept mois sans ministre du logement en réelle capacité de prendre des décisions. Sachant qu'on a eu huit ministres du logement qui se sont succédés depuis l'élection d'Emmanuel Macron », rappelle Christophe Robert, son délégué général, lors d’une présentation le 4 février.
En attendant, les chiffres du logement s’inscrivent dans le rouge. La France dénombre 350 000 personnes sans domicile en 2024, selon le rapport. Soit une hausse de 45 % depuis douze ans. 4,2 millions de personnes sont mal logées, qu’elles soient sans logement ou habitent dans des conditions difficiles. Autre alerte de l’organisation : le nombre record de morts dans la rue, qui s’élèvent à 735 en 2024.
11,2 millions de personnes pauvres en France
La situation du mal-logement va de pair avec une paupérisation constante de la population française. Christophe Robert souligne les chiffres de l’INSEE en 2017, qui établit le nombre de personnes pauvres à 9,1 millions de personnes pauvres.
« Pour la première fois, l'INSEE a tenté de prendre en compte les angles morts de la statistique publique sur le sujet, en ajoutant les personnes qui vivent hors logement ordinaire, et celles issues de cinq départements ultramarins, qui n'étaient pas comptabilisés », détaille le directeur général de la Fondation pour le logement des défavorisés. Aujourd’hui, 11,2 millions de personnes pauvres sont dénombrées en France.
« En 20 ans, il faut se rendre compte que le patrimoine des 10 % les moins dotés a diminué de moitié, pendant que celui des 10 % les plus fortunés a doublé. Donc en gros, les pauvres sont devenus plus pauvres et les riches beaucoup plus riches, grâce notamment à la double hausse des prix de l'immobilier », analyse M. Robert.
De plus, « à consommation inchangée, la hausse des biens et des services entre 2022 et 2023 représente en moyenne 1 200 euros de dépenses supplémentaires par an et par personne. (…) Ce surcoût, il pèse beaucoup plus pour les personnes les plus modestes, qui en proportion dépensent plus pour l'alimentation et l'énergie, deux postes qui ont beaucoup souffert de l'inflation », poursuit-il.
Tant et si bien que chez les personnes en-dessous du seuil de pauvreté, 27,9 % consacrent plus de 40 % de leurs revenus au logement en 2024. En 2017, cette part était de 20,2 %.
Logement social : des efforts budgétaires suffisants ?
Cela nous amène à la question du logement social, avec 2,8 millions de demandes de ménages à fin 2024, malgré une légère embellie de la construction de logements sociaux (+8 % selon l’ANRU).
« Au cours de l'année 2024, seuls 263 000 logements ont été mis en chantier contre 435 000 en 2017. Soit une baisse de 40 % en seulement quelques années », observe Christophe Robert.
Et d’ajouter : « On mesure ici les effets de la hausse des coûts de la construction, du taux du livret A, mais aussi, très clairement, les impacts des coupes budgétaires récentes. Le secteur du logement social (…) est profondément ébranlé depuis 2017, avec la hausse de la TVA qui est passée de 5,5 à 10 %, et puis cette fameuse ponction exercée par l'État sous les bailleurs sociaux de l'ordre de 800 millions d'euros en 2018 et en 2019, puis 1,3 milliard d'euros par an suite à une montée en charge à partir de 2020 », dans le cadre de la politique de réduction du loyer de solidarité (RLS).
D’après la Banque des Territoires, ces coups de rabots pourraient limiter la construction de logements sociaux, autour des 70 000 unités dans les années à venir.
Des solutions budgétaires ont cependant été évoquées par Valérie Létard, ministre chargée du Logement, invitée par la Fondation pour le logement des défavorisés. D’abord la ponction réduite de 200 millions d’euros : « Ce n'était pas forcément la priorité dans un exercice budgétaire contraint et sur lequel la RLS était plutôt partie pour être indexée, augmentée de 140 millions. Donc on a réduit de 200 millions, mais on a aussi désindexé de 140 millions, c'est-à-dire que c'est moins 340 millions, par rapport à ce qui était prévu », soutient-elle.
Le délégué général de la Fondation a salué ce réajustement : « C’est plutôt une bonne nouvelle, étant donné l'inflexibilité des gouvernements successifs ces dernières années sur le sujet. Cela reste à 1,1 milliard d'euros de ponctions quand même ». « Ce n'est pas ça qui va permettre de relancer massivement », estime-t-il en parallèle.
Si la ministre chargée du Logement acquiesce, elle défend toutefois que cela permettra de « reconstituer un peu de fonds propres » des organismes HLM. Ces derniers pourront être réinvestis, notamment dans la rénovation des logements sociaux. La ministre met aussi en avant la négociation du taux du livret A à 2,4 % avec Bercy. « J’ai obtenu, par ailleurs, des reports de crédit sur la rénovation thermique à hauteur de 200 millions, qui étaient gelés », indique-t-elle.
L’hébergement d’urgence, stable ou en danger ?
Mais avant de pouvoir accéder à un logement, l’hébergement d’urgence est la seule alternative pour les personnes défavorisées. Selon le rapport de la Fondation, entre 5 000 et 8 000 personnes, dont 1 000 et 3 000 enfants, sont ainsi refoulées par le 115, faute de place.
Le budget 2025, pourtant, maintient à 2,9 milliards d’euros les dépenses publiques reliées à l’hébergement d’urgence. « Le PLF 2025 devrait créer 2 000 places d'hébergement d'urgence supplémentaires pour les femmes victimes de violences et les enfants. Alors c'est positif, sauf que dans le même temps, il supprime 6 500 places du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile », affiche Maider Olivier, chargée de mobilisation et de plaidoyer à la Fondation pour le logement des défavorisés.
Plus de 100 000 personnes vivant dans des lieux de vie informels (squats, bidonvilles) ont été expulsées en 2024. « Cette année a été aussi marquée par une forme de décomplexion de propos racistes et discriminatoires envers les personnes migrantes », s'inquiète Mme Olivier, en citant l’exemple du « traitement politique du cyclone Chido à Mayotte ». La chargée de mobilisation et de plaidoyer décrit « une réponse répressive du gouvernement, qui a pointé du doigt la supposée irrégularité des personnes qui habitaient dans les bidonvilles ». Un volet de la prochaine loi programme, complétant la loi d’urgence pour la reconstruction de Mayotte, est consacrée à l’immigration et la lutte contre les bidonvilles sur l’archipel.
Concernant la fermeture des places pour demandeurs d'asile en général, « je ne jugerai pas quoi que ce soit (…) mais la réalité c'est qu’il faudra prendre en compte aussi cette situation », admet Valérie Létard. « Toujours dans le plan interministériel de lutte contre le sans-abrisme, c'est le chemin vers l'emploi qui doit être très fortement développé », précise plus loin la ministre chargée du Logement. Cela déboucherait sur une convention avec les ministères de l'Intérieur et du Travail, mais aussi France Travail et les opérateurs de formation (OPCO). Cet accord viserait 1000 personnes en emploi en 2025, guidant vers la régularisation des personnes travaillant dans les métiers en tension de recrutement, dont fait partie le bâtiment.
Christophe Robert appelle aussi à la mise en place de ces cellules d'urgence à l’échelle des préfets et la mobilisation des bâtiments publics vides (écoles, etc.).
L’adaptation du logement handicap, un bilan « décevant »
« On ne meurt pas que de la rue, on meurt aussi du mal logement », mentionne également Maider Olivier, en faisant allusion au procès des effondrements rue d’Aubagne, à Marseille.
« Sur le banc des victimes, il y avait des personnes de tout âge, tout métier, de toute origine, de toute situation administrative. Et sur le banc des accusés : des bailleurs privés, un bailleur HLM, la collectivité, des experts. Le récit des années qui ont précédé les effondrements ont vraiment donné à voir l'attentisme des personnes compétentes, malgré les alertes répétées des occupants et malgré des rapports unanimes », pointe-t-elle du doigt, espérant que le jugement de cette affaire soit celui de l’habitat indigne en France.
N’oublions pas les personnes en situation de handicap, grand thème de ce rapport. Vingt ans après la loi de 2005 sur l’accessibilité des établissements recevant du public (ERP), la Fondation pour le logement des défavorisés juge le bilan décevant.
En comptant les revirements de la loi ELAN de 2018, qui est passée d’un objectif de 100 % de logements accessibles en immeuble collectif neuf, à 20 %, accompagné de 80 % de logements dits « évolutifs ».
Valérie Létard rappelle tout de même l'obligation en 2018 d'installer un acenseur en immeuble collectif de 3 niveau, au lieu de 4 comme initialement prévu. Sans compter l’obligation en construction neuve d’accueillir les douches sans ressaut et le récent texte pour lutter contre les pannes d’ascenseurs, adopté par les députés.
Que dire aussi de l’aide MaPrimeAdapt’ pour l’adaptation du logement à la perte d’autonomie ? L’Anah constate 37 000 logements adaptés en 2024 via cette prime. « Mais les aides existantes auparavant, qui étaient disséminées permettaient de financer 10 000 logements de plus », rapporte Manuel Domergue, directeur des études pour la Fondation.
Si le dispositif va prendre en charge à hauteur de 70 % les coûts pour les revenus modestes/très modestes, jusqu’à 22 000 euros de travaux. M. Domergue craint que cela ne suffise pas compte tenu de la plus forte précarité par les personnes en situation de handicap. « Il y a 26 % de taux de pauvreté pour ces personnes, contre 14 % dans le reste de la population, donc c'est évidemment plus compliqué de se payer un logement ou une adaptation du logement dans ces conditions », chiffre-t-il.
Odile Maurin, présidente de l’association Handisocial relève également la confusion entre logement accessible « quel que soit le handicap » et adaptation « à un handicap précis » dans la conception du logement.
Et dans ce deuxième cas, « il y a aussi des techniques. Une personne qui est en fauteuil manuel, a besoin d'un WC à 45 centimètres. Par contre, celle qui est en électrique ou qui a du mal à plier les genoux a besoin d'un WC à 60 centimètres. Donc soit on casse tout, soit on met un système flexible. C'est de la conception dès le départ », illustre-t-elle.
Virginie Kroun
Photo de Une : Fondation pour le logement des défavorisés