Des économistes réclament un « vrai service public de la rénovation »
La littérature académique au service de la rénovation énergétique. Le Conseil d’analyse économique (CAE), placé auprès du Premier ministre, a consacré une note intitulée « Efficacité énergétique des logements : rénover l’action publique ».
L’objectif : établir une analyse coût/bénéfice de ces travaux, à partir de travaux socio-économiques et d’une modélisation complète de la rénovation énergétique - plus précisément un couplage isolation et remplacement de chauffage. Le CAE vise également à quantifier les attentes en termes de politique de rénovation, en définissant ses potentiels freins.
Distinguer les rentabilités économique, environnementale, et sociale de la rénovation énergétique
Première conclusion du CAE : il y a un écart entre les bénéfices économiques, environnementaux et sociaux de la rénovation énergétique dans le privé. Si les prédictions fixent à 26 % le niveau de rentabilité de ces chantiers, ces projections s’appliquent dans le cas d’un marché parfait.
Or, diverses instabilités au sein dudit marché sont à relever : craintes concernant le retour sur investissement chez les propriétaires-bailleurs - notamment dans le cadre d’une location -, inégalités des bénéfices dans l’habitat collectif - avec des transferts de chaleur entre les appartements -, difficultés d’accès au crédit ou des coûts complexes à rationnaliser dans le futur - estimés entre 200 et 500 euros le m2 en surface habitable.
Sans compter le manque d’artisans qualifiés RGE et permettant d'être éligible aux aides. « On peut imaginer qu'il y a aussi des effets un peu inflationnistes, parce que s'il y a très peu d'artisans labellisés, [ces derniers] peuvent pratiquer des prix élevés », souligne Louis-Gaëtan Giraudet, professeur à l'École des Ponts Paris Tech et membre du Centre International de Recherche sur l'Environnement et le Développement (CIRED).
Ce dernier point peut jouer sur la hausse des fraudes à la rénovation, intégrées aussi dans l’analyse. L'écart est justement lié à « des défauts de qualité pour 40 % des cas », considère Gabrielle Fack, membre du CAE et professeure à l’Université Paris-Dauphine.
Au total, entre les économies théoriques et réelles, les ménages passeraient de 26 % à 5 %. Pour ce qui est de la rentabilité environnementale, les signaux sont plus positifs, avec une réduction de 70 % de l’impact carbone.
D’un point de vue social, le taux de rentabilité s’établit à 55 %, avec moins d’impact en termes de confort et de santé. « Les ménages, s'ils sont trop modestes, ne peuvent pas se chauffer l’hiver. Donc cela crée des problèmes respiratoires et cardiovasculaires», illustre notamment Louis-Gaëtan Giraudet. D’après France Stratégie, la rénovation énergétique permettrait des économies de 7 500 euros par logement, tant en termes de frais médicaux que ceux entrainés par la mortalité.
Conclusion : « on a beaucoup de bonnes raisons d’investir dans la rénovation énergétique, du point de vue de l'action publique », mais « sans rien faire, si on laisse le marché, si on n'a pas d'incitation, il ne se produira pas grand-chose », déclare M. Giraudet.
Pérenniser les subventions et mieux organiser le marché
Parmi les leviers importants de l’action publique, le CAE identifie les subventions. Il salue le système MaPrimeRénov’ (MPR), bien qu’il déplore le report de la réforme de l’aide, qui misait initialement sur les rénovations globales. Le conseil recommande quand même la sanctuarisation du budget annuel d’aides publiques, à hauteur de 8 milliards d'euros par an, mais également la refonte du dispositif, avec un meilleur ciblage des logements et ménages prioritaires.
Autre suggestion : un système d’incitation à la rénovation au moment de la transaction, où la rénovation peut être moins coûteuse. « L’idée est de donner aux collectivités locales la possibilité d'augmenter les droits de mutation (DMTO) sur les passoires énergétiques, mais avec la possibilité que les ménages puissent se faire rembourser le supplément de DMTO qu'ils auraient payé s'ils procèdent ultérieurement à une rénovation, par exemple, dans les deux ans », expose Gabrielle Fack.
Au-delà des subventions, le CAE préconise une meilleure organisation du marché de la rénovation par les pouvoirs publics. Cela passerait par la révision du label RGE « qui crée un goulot d’étranglement ». L’idée serait de fixer l’éligibilité non à l’entrée mais à la sortie des travaux. Les contrôles après travaux seraient renforcés à la charge d’un service public et des sanctions fortes seraient appliquées pour les entrepreneurs n’ayant pas respecté les normes de qualité.
Le guichet unique MonAccompagnateurRénov’ (MAR) devrait selon le conseil être plus proactif et aller directement vers les ménages. Les collectivités locales sont d’ailleurs considérés comme un bon échelon, ayant une bonne connaissance du terrain et des aides locales qui ne sont pas forcément bien répertoriées dans le dispositif MAR.
Cet assortiment de solutions pourrait aboutir à un « vrai service public de la rénovation », estime le CAE.
Virginie Kroun
Photo de Une : Adobe Stock