ZAN : l’AMRF craint une ruralité « mise sous cloche »
Certes, les élus locaux reconnaissent l’intérêt de l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN) des sols prévu d'ici 2050, mesure phare de la loi Climat et Résilience. Lutte contre les îlots de chaleur et risques d’inondations, protection de la biodiversité… Les enjeux entourant la désimperméabilisation des sols sont nombreux.
Il n’empêche que la publication de décrets d’application fin avril ont suscité de vives polémiques au sein des collectivités, qui la considèrent trop « technocrates » et uniformes pour un accomplissement réaliste des objectifs. Ce qui a valu à l’Association des maires de France (AMF) de saisir le Conseil d’État à ce sujet fin juin.
Les parlementaires sont également intervenus un mois plus tard, avec la mise en place du table ronde entre le Sénat et associations d’élus, visant à discuter du meilleur de modèle économique pour déployer le ZAN. Au sein de la concertation, on trouve l’AMF, bien évidemment, mais également l’Association des maires ruraux de France (AMRF).
Il faut dire que la position de communes rurales dans les objectifs du ZAN est complexe, les élus étant à la fois tiraillés entre la préservation des terres naturelles et agricoles, et la volonté d’accueillir davantage de logements et d’entreprises. Un dilemme que l’AMF n’a pas hésité à détailler dans un communiqué.
Une méthode qui relègue les maires ruraux au rôle d’éxécutant
Au yeux des maires ruraux, les décrets du ZAN « entérinent un déséquilibre territorial au détriment d’un possible développement du monde rural », s’inquiète Michel Fournier, président de l’AMRF en poursuivant. « L’autre grief a trait à la méthode choisie pour atteindre les objectifs de sobriété foncière. L’action du maire se trouve contrainte par les choix d’aménagement opérés par d’autres collectivités de catégories différentes (la Région notamment), instaurant de fait une forme de tutelle rampante, au risque d’une uniformisation absurde ».
Une méthode « inacceptable et inefficace au regard des objectifs de sobriété poursuivis », qui tend à renvoyer les élus au rôle d’« exécutants ». Ce sentiment d'injustice, l’AMRF cherche à le dissoudre par deux approches. D’abord un appel à la mobilisation des élus, pour proposer une méthode alternative à l’aménagement du territoire.
« Cette exigence d’un aménagement équilibré du territoire dans notre pays suppose d’inscrire la notion d’ « espace » dans la Constitution ! Elle suppose également de doter les territoires ruraux de moyens financiers et d’ingénierie. C’est un défi immense et mobilisateur pour des décennies ; mais à une condition : lever les barrières qui s’accumulent avec l’application de la nouvelle loi », évoque notamment Michel Fournier.
Ce qui justifie leur demande d’une révision des décrets d’application. « Il convient désormais de traduire au bénéfice des maires la « garantie rurale » des communes dites vertueuses », précise le président de l’AMRF. « Il convient de s’affranchir d’une vision faussée des territoires ruraux et de garder en tête que territoires urbains et périurbains (12 % du territoire national) sont responsables de 90 % de l’artificialisation observée ! Appliquer uniformément un objectif de réduction de 50 % de la consommation des ENAF, c’est opposer rural et urbain. Il convient au contraire de tenir compte du rôle clé des élus ruraux dans la lutte contre artificialisation du territoire national », argumente-t-il .
Sept demandes des maires ruraux concernant le ZAN
Des mesures en lien avec une liste de six demandes de l’AMRF. L’association réclame une concertation régionale sur l’aménagement équilibré du territoire et des moyens pour accomplir des politiques de sobriété foncière sur les communes rurales.
L’AMRF appelle également à une réécriture du décret concernant les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET). L’idée est que la « déclinaison territorialedes objectifs de sobriété foncière prenne en compte les efforts réalisés », explique Michel Fournier.
Pour ce qui est du solde d’artificialisation d’un territoire, l’association demande à ce que celui-ci ne soit pas répercuté quand l’artificialisation est induite par un projet d’envergure nationale, et quand « les administrés ne seraient pas majoritairement bénéficiaires de ce projet ». Dans le cas où ce décompte régional est opéré, l’AMRF propose que cela se répartisse « dans le temps et localement sur les territoires régionaux bénéficiaires de manière inversement proportionnelle à la densité de la population communale ».
D’ailleurs, les demandes mentionnent également le retrait par l’État d’une possible contractualisation vertueuse, permettant un droit de tirage illimité aux métropoles et territoires urbains, munis d’une ingénierie nécessaire pour justifier localement l’intérêt majeur d’un projet. « À l'inverse, les territoires ruraux qui éprouvent déjà une difficulté pour bénéficier des fonds étatiques, pourraient difficilement défendre leurs projets », plaide Michel Fournier. Enfin, l’intéressé demande l’arrêt de transfert de compétences des collectivités locales vers les services de l’État dans les territoires ruraux, en ce qui concerne l’application des décrets « Nomenclature » et « Sraddet ».
Reste à savoir si le gouvernement répondra à ces requêtes, bien que le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires reconnaisse qu’il y ait des points à améliorer, voire à réécrire dans les textes. La Première ministre Elisabeth Borne a de son côté annoncé fin novembre un assouplissement de l'application du ZAN. Parmi les mesures concernées, on relève l'exclusion des projets d'envergure nationale, comme les lignes à grande vitesse, du décompte des sols artificialisés.
Virginie Kroun
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