Crise du logement : une coopération entre l'État et les régions pour en sortir ?
Relancer la construction en planifiant ou en territorialisant ? Tel était le sujet mis sur la table lors de la première table ronde d'un colloque organisé par l’EPF Île-de-France. Un sujet qui met en lumière des défis multiples et divergents, notamment sur la question du rôle de l'État dans les projets attribués aux territoires.
Pour Éric Cesari, vice-président de la métropole du Grand-Paris, cette idée de planification « a sa raison d'être », car « il faut avoir une vision cohérente de ce qu’il se passe sur un territoire donné, et avoir une impulsion politique générale qui donne la ligne à suivre », juge-t-il, à condition « de le faire en partenariat avec les acteurs locaux », affirmant ainsi la nécessité d’en finir avec une vision uniforme des territoires. « Même si l'État doit rester un garant, on ne peut pas avoir les mêmes règles à Bordeaux, à Paris, ou à Chevilly-Larue, parce que le terrain n'est pas le même, et que les besoins ne sont pas les mêmes », souligne l’intéressé.
Un constat que partage Pierre-René Lemas, haut fonctionnaire et auteur de « La qualité des logements sociaux », qui estime qu’il peut « être pertinent d'entrer dans la voie d'un État qui s'assume comme semi-fédéral », c'est-à-dire d’accorder un pouvoir et une responsabilité plus importante aux régions.
Garantir une égalité territoriale
De son côté, le géographe Daniel Béhar a défendu à son tour un rôle de l’État, qui consisterait à organiser la coopération entre les territoires, nécessaires selon lui, pour que les Français profitent de véritables parcours résidentiels. Des parcours qu’il estime comme un « vrai enjeu des politiques du logement », au-delà de la question de la production.
Car aujourd'hui, les mouvements des Français en matière de logement « brouillent complètement les cartes », note le géographe, qui précise que « cela rend complètement interdépendants les territoires entre eux, et encore plus avec la question du ZAN », car certaines communes seront « dans l'obligation de densifier, et d’autres dans l'obligation d'arrêter de construire ».
Pour Gaylord Le Chequer, premier adjoint du maire de Montreuil, il y a également « une nécessité sur la question de l'accompagnement des collectivités, et notamment sur l'accompagnement financier de manière pérenne, pas seulement de la subvention », explique-t-il. « Il faut garantir cette égalité territoriale qui permet de maintenir cet objectif de construction ».
Les normes, un encouragement ou un poids pour la construction de logements ?
« L’État a une responsabilité, c'est la mise en cohérence des politiques publiques du logement, de l’urbanisme, et de l’aménagement des territoires. Ce sont des grandes orientations pour lesquelles, après tout, on élit des parlementaires dont le rôle est de fixer la règle et les normes », commente à son tour le haut fonctionnaire, Pierre-René Lemas.
Pour le vice-président de la Métropole du Grand-Paris, simplifier ces normes « qui pèsent sur la construction » devraient être une priorité. « Ou alors on considère que la construction de logements n'est pas une priorité absolue », fustige-t-il.
Des normes que l’élu de Montreuil, de son coté, ne considère pas tant comme un problème, contrairement à la Fédération des Promoteurs Immobiliers (FPI) par exemple, qui estime que ces normes contraignent le marché, les empêchant de construire. « Une charte par exemple n'est pas contraignante, c'est plutôt un encouragement vers ce qu'il y a de mieux. Ça incite, ça donne des orientations », insiste le premier adjoint à la mairie de Montreuil. « Ce qui freine, c'est le conflit avec les habitants qui font des recours, font perdre deux, trois, quatre, cinq ans, parce que les politiques publiques n’ont pas été en capacité de répondre à leur inquiétude ou alors à leur sentiment d'être débordés par ce qui se passe dans leur collectivité ».
Dans un contexte où le prix de la construction et du foncier explose, l’économiste Pierre Madec considère qu’il faudrait « décentraliser » les moyens financiers. « L’État met de moins en moins d'argent, mais il fixe des objectifs de plus en plus contraignants. Il y a un moment où il va falloir trancher », lance l’intéressé.
De son coté, Sarah Tessé, cheffe de projet « Territoires et société » chez France Stratégie, estime que l'État « a son rôle à jouer », mais que ce dernier aavant tout « besoin d’expertise, de connaissance, d’ingénierie pour comprendre les enjeux du territoires, pour faire des choix éclairées et des bonnes politiques, et surtout pour ne pas se tromper sur la durée », conclut-elle.
Olivier Klein : « Il faut responsabiliser les territoires »
En conclusion du colloque, le ministre de la Ville et du Logement Olivier KIein a réaffirmé la nécessité de « construire plus pour loger plus ». Pour y parvenir, il estime qu'il faudrait donner plus de responsabilités aux territoires, et croire en leur capacité d’organiser l’habitat, de le planifier, et de travailler en accord avec les établissements publics locaux. « Je crois également qu’il faut à la fois une politique nationale, d’ambition, et à la fois regarder territoire par territoire (...) Regarder sur des échelles plus grandes qui permettent d'analyser le territoire sous un autre angle, comme celui de l’intercommunalité, auquel je crois beaucoup ». Par ailleurs, pour réconcilier les élus avec l’acte de construire, le ministre souhaite également trouver des moyens pour les accompagner dans leur volonté d’aménager leur territoire. « Soyons inventifs sur comment on donne envie aux maires de réaliser, de faire avec le déjà là, de leur donner envie de mettre une pierre aux parcours résidentiel des Français », commente-t-il. Sur le sujet de la transition écologique, ce dernier estime qu’« il ne peut pas se regarder à l’échelle mono-communale ». À titre d’exemple, le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) « doit être dégradé sur une échelle adaptée pour que ce sujet devienne non pas un frein, mais une opportunité, une capacité à faire mieux, à faire plus durable, et avec de nouvelles techniques », explique-t-il. Une ambition qu’il a l’intention de partager grâce au Conseil national de la Refondation (CNR) Logement, lancé le 28 novembre dernier, et à ses groupes de travail, pour tenter de sortir de la crise du logement, et de redonner aux Français « le pouvoir d’habiter ». |
Marie Gérald
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