La facture de la Philharmonie de Paris s'annonce très salée
La Philharmonie est un serpent de mer, prônée dès les années 70 par le plus grand chef français, Pierre Boulez. Il a fallu toute l'obstination de son dauphin, Laurent Bayle, patron à la fois de la Cité de la musique et de la Salle Pleyel et président de la Philharmonie, pour arracher l'adhésion de Jacques Chirac et Bertrand Delanoë en 2006, un an avant la crise des subprimes. En 2009, le projet est stoppé plus d'un an : Matignon est contre. Nicolas Sarkozy donne son feu vert, il repart en 2011 sous la houlette du « starchitecte » Jean Nouvel, concepteur du projet.
Depuis, son coût ne cesse de s'envoler. Le chantier est si avancé que la ministre de la Culture Aurélie Filippetti n'a pu que le confirmer, en dépit de son coût : 386 millions d'euros. Trois fois plus que la première estimation brute, presque deux fois le premier prix global affiché de 200 millions d'euros. Au moment du concours d'architecte, le projet est estimé à 120 millions d'euros, un montant jugé aujourd'hui irréaliste. « On sait très bien qu'il y a une tactique de sous-estimation des budgets culturels pour les faire passer politiquement au début, et aussi mettre la pression sur les architectes et les entreprises, c'est une coutume française », lance Jean Nouvel.
Les maîtres d'ouvrage refusent les "rallonges"
Tout le monde aurait donc menti pour faire passer un projet pharaonique, peut-être le dernier avant la crise. Chacun se renvoie la balle : pour Nouvel et son ancienne architecte associée pour la salle de concert, Brigitte Métra, le coût était grossièrement sous-estimé, ce qui a d'ailleurs minoré leur quote-part. « C'est comme si on divisait votre salaire par deux », s'insurge Brigitte Métra, en conflit depuis avec Jean Nouvel. Elle dénonce un mensonge d’État et réclame un protocole digne qui reconnaisse ses six ans et demi de travail.
Pour sa part, Laurent Bayle, président de la Philharmonie de Paris, plaide l'inflation, les nouvelles exigences de la réglementation... et de son architecte. Au printemps, Jean Nouvel tire la sonnette d'alarme : on rognerait sur la qualité. « Je ne voulais pas être celui qui serait coresponsable d'un bâtiment qui rouillerait ! », lance-t-il. Il dit avoir été entendu lors d'une réunion au sommet début septembre, avec Aurélie Filippetti et Bertrand Delanoë. Cependant, l’État et la ville, qui financent à parité (la région a quant à elle promis 20 millions et versé moins du quart) l'ont sommé de serrer les budgets.
La peur d'un nouvel Opéra Bastille
A la mairie de Paris, l'adjoint à la Culture Bruno Julliard ne peut qu'afficher sa solidarité avec un projet cautionné par Bertrand Delanoë, mais refuse de verser plus tant que tout n'aura pas été fait pour limiter les coûts. « Mais pas question de transiger sur la qualité : on ne va pas refaire Bastille », lance-t-il. L'Opéra Bastille, c'est le cauchemar de tout le monde : une salle gigantesque mais à l'acoustique médiocre, qui ne porte pas les voix dans les derniers rangs.
La conception acoustique de la Philharmonie innove, avec sa forme ondulante. La coque de la salle a été vidée pour ne conserver que les surfaces réfléchissant le son, des rubans sur les murs et des nuages"au plafond. Deux experts mondiaux en acoustique, le Néo-Zélandais Harold Marshall et le Japonais Yasushita Toyota, ont validé le projet. « Il lui (ndrl : Jean Nouvel) faudra trouver 10 millions de mécénat pour boucler le projet, plus 2,5 millions pour les "oiseaux" lumineux qui signaleront la façade de la Philharmonie depuis Paris et le périphérique » annonce Laurent Bayle. Fallait-il une nouvelle salle à Paris, interroge-t-il. « Je ne sais pas, mais maintenant il faut que ça marche ! ». Peut-être pas à n'importe quel prix.
Bruno Poulard (avec AFP)