Table rase pour Desnos et Brassens
Détruire ou ne pas détruire ? Telle est souvent la question quand il faut "réparer" les banlieues. Nombre d'architectes défendent la réhabilitation de ce patrimoine moderne, tandis que les acteurs de la rénovation urbaine souhaitent s'affranchir de cet héritage compliqué. La restructuration du quartier des Courtillières, à Pantin, est ainsi bloquée depuis un an parce qu'elle prévoit la démolition d'une petite partie de l'architecture d'Emile Aillaud (Le Monde du 17 septembre 2007).
Le bâtiment Desnos est l'oeuvre de Geronimo Padron Lopez et Brassens celle des frères Yves et Luc Euvremer. Ils travaillent dans la mouvance des architectes Jean Renaudie et Renée Gailhoustet. Leur credo : une architecture non standardisée, exigeante autant que généreuse, riche en espaces indéterminés censés favoriser les rencontres. Jean-Pierre Lefebvre était le directeur de la Sodedat, la société départementale qui a aménagé le quartier. Il reste son plus vigoureux défenseur : "Ces immeubles représentaient la pointe avancée de la recherche en matière de logement social et écologique, avec leurs appartements différents, leurs terrasses en pleine terre, un quartier piéton."
Pour l'ancien aménageur, "on va consacrer des sommes astronomiques à régresser complètement en matière d'urbanisme alors que la réhabilitation qui permettrait d'améliorer le quartier ne coûterait que 10 millions". M. Lefebvre menace de porter l'affaire en justice, au nom de la propriété artistique des architectes. Au-delà du vieillissement rapide des bâtiments, dont les bétons souffrent d'infiltration, et de la concentration d'une population toujours plus fragile, le plan d'urbanisme original a un gros défaut : c'est un cul-de-sac. "Le quartier est totalement enclavé. On n'y accède que par deux impasses", souligne Stéphane Vigne, qui gère ce dossier pour la communauté d'agglomération Plaine-commune.
Après que l'hypothèse d'une réhabilitation eut été envisagée, l'ANRU a conduit à privilégier la table rase. Responsable de la Seine-Saint-Denis à l'ANRU, Xavier Léty estime que "les habitants ne veulent plus vivre dans ce patrimoine qui souffre de malfaçons, difficile à meubler avec ses pièces triangulaires. En moyenne, sur nos opérations, plus de 50 % des gens veulent être relogés sur place. Aux Poètes, ce taux est de 15 %".
Surtout, autour de Brassens et Desnos, tout le quartier des Poètes est appelé à changer. Or, pour M. Vigne, l'architecture complexe et imbriquée de ces bâtiments ne permettait pas de l'ouvrir en n'en sacrifiant qu'une partie. "Ce n'est pas qu'un débat d'architecture. C'est un projet urbain, une question d'habitat", plaide-t-il. Le quartier doit être relié aux secteurs voisins - il sera desservi par le tramway Saint-Denis-Pierrefitte-Sarcelles. Le tracé urbain est totalement redessiné, de l'activité économique et des équipements sont prévus...
Sans oublier la mixité sociale : un tiers seulement des logements sociaux détruits seront reconstruits in situ, pour laisser la place à des logements locatifs privés ou en accession à la propriété. Ce quartier flambant neuf pourrait avoir pris forme dans sept ans. Mais si les financements sont désormais garantis, reste un défi de taille : assurer le relogement, sur place ou ailleurs dans la ville et dans l'agglomération. A ce jour, un tiers seulement des habitants des Poètes ont un nouveau foyer.