Le funeste destin de l’ Eads Bridge
Un pont sur le Mississipi
Les autorités américaines l’ont bien compris. La ville de Saint Louis devait toute sa prospérité au fleuve. Mais en 1860, la ville perdait des parts de marchés au profit de Chicago, desservie par onze lignes de chemin de fer qui avaient “ renversé la souveraineté des eaux ”. Saint Louis n’avait donc plus, dès lors, d’autres alternatives que de jeter un pont sur le Mississipi pour renouer avec son expansion. On lança alors ce que nous appelons aujourd’hui un appel d’offre. Qui était capable de construire un tel pont ? C’est un certain James Buchanan Eads qui triompha. Il proposait un ouvrage à trois arches, plus haut et plus long que tout ce qui avait été construit jusque-là aux Etats-Unis. Il serait en acier, matériau alors nouveau et qui n’avait jamais été utilisé à une telle échelle. Mais le plus étonnant, est que le dénommé Eads n’avait jamais construit de pont. Ce n’est, cependant, pas tout à fait un inconnu. En 1863, à la demande du président Lincoln, il conçut une flotte de torpilleurs pour défendre le fleuve. Il acquit ainsi une grande connaissance du Mississipi et de ses caprices. Il connaissait enfin le fleuve dans ses moindres humeurs pour avoir longtemps travaillé sur un de ces bateaux à vapeur caractéristiques du Mississipi. Or, ces bateaux sombraient régulièrement pour des raisons diverses, incendies, explosions des machines ou collisions avec des épaves. C’est alors que James Buchanan Eads eut l’idée de créer une société de sauvetage pour récupérer les cargaisons englouties. Cet inventeur, comme nous dirions aujourd’hui, avait imaginé et construit une cloche de plongée artisanale qu’il promenait tout le long du fleuve. Un maître du scaphandre avant l’heure. Il avait alors fait fortune et surtout acquis une solide réputation.
Un inventeur architecte
Chose inimaginable aujourd’hui, on lui confia la construction du pont. Elle débuta en 1867. Un prêt d’un demi-million de dollars était conditionné par l’achèvement de la première travée au 19 septembre 1873. La connaissance technique de l’acier était, à cette époque, des plus empiriques. Et rapidement Eads se trouva face à un problème inattendu : la chaleur extrême de cet automne avait dilaté le métal des arcs de sorte qu’ils ne pouvaient être joints. Mais l’astucieux Eads avait plus d’un tour dans son sac. Après avoir vainement tenté de rétrécir le pont à l’aide de 54 tonnes de glace (…), il mit au point un système de levage des arcs qui pouvaient ainsi être fermés par un système à écrous. Autre originalité de ce pont, pour bien ancrer les pieds porteurs dans le lit du fleuve, il imagina des caissons pneumatiques obligeant, revers de la médaille, les ouvriers à travailler dans des conditions extrêmement dures puisqu’ils ne pouvaient respirer que grâce à de l’air comprimé. Toujours est-il qu’il tint son pari et le 17 septembre, les arcs étaient bien en place. La nouvelle liaison entre les Etats du Missouri et de l’Illinois fut célébrée le 4 juillet 1874. Ce pont fit l’objet de tous les éloges. Malheureusement, un an plus tard, la société du pont fit faillite et il fut vendu aux enchères. Un siècle plus tard, le dernier train s’y engagea. Il se dresse toujours aujourd’hui, à l’ombre de la grande arche de Eero Saarinen, à peine remarqué par les automobilistes qui ne savent pas qu’ils franchissent un des plus grands monuments de l’Amérique.