C'est du 'Kafka' dans la restauration du patrimoine.
En effet avec une diminution de 27% des crédits, les professionnels estimaient que la France allait perdre entre 360 à 380 millions d’euros de revenus induits dans l’économie. Or, suite à la décision de l’Etat de finalement renoncer à geler les crédits, il semble que ce soit aujourd’hui les délégations régionales qui, à leur tour et sans l’avouer, bloquent les 60 millions d’euros dont le gouvernement envisageait l’économie.
Le conflit, loin de se calmer va donc s’amplifier jusqu’à l’arrivée des fameux crédits. Autant de tergiversations et de tatillonnements dont une fois encore, nombre d’entreprises risquent de faire cruellement les frais. Le déblocage des crédits étant, comme chacun sait, une opération d’une extrême lenteur dans notre pays.
Il semble néanmoins que notre patrimoine n’ait pas vraiment besoin d’argent. En effet, en parallèle aux protestations des professionnels de la réhabilitation, les 109 millions d’euros accordés à la France par la Communauté Européenne dans le cadre du plan Urban II, risquent de retourner presque intégralement à Bruxelles, faute cette fois-ci d’avoir été utilisés.
Le plan Urban II prévoit en effet une aide financière sur 9 sites français dont le patrimoine culturel réclame des travaux importants de réhabilitation. Sur ces neuf sites, seule la ville de Bastia a utilisé sa dotation (11,81 millions d’euros). En Corse au moins on sait ce que crédit veut dire.
Entre les arbitrages à courts termes de l’Etat et les incompétences locales dans la gestion des ressources, les hiatus du patrimoine illustrent aujourd’hui les dérives d’une administration qui, étouffée sous la lourdeur de ses strates, ne sait plus répartir avec opportunité et justesse ses moyens et ses interventions. Se battre pour économiser 60 millions d’euros d’un coté et laisser repartir presque 100 millions de l’autre, voilà un record à la Kafka qui méritait d’être salué.
Mais la Direction du patrimoine sait rattraper ses erreurs. Faute d’avoir veillé à la bonne utilisation des sommes d’Urban II, elle a pris l’initiative de proposer dans le cadre d’Urbact (initiative communautaire de développement des échanges entre sites urbains) la création d’un réseau ayant pour objet de mener une réflexion sur «l‘idée que le patrimoine est un vecteur économique, social et culturel important qu’il faut pérenniser». Cette idée, apparemment neuve pour les hauts dirigeants du patrimoine va donc se concrétiser par l’élaboration d’un vaste programme de réunions entre les responsables du patrimoine des villes européennes.
Ces hauts responsables auront ainsi l’occasion de traverser l’Europe de long en large pour échanger leurs expériences au sein de séminaires intensifs mais certes un peu coûteux. Suffisamment coûteux en tout cas pour que la dotation de ce réseau de reflexion, pompeusement baptisé Chorus, soit d’ors et déjà doté d’un solide budget de 600 000 euros. Celui-ci en tout cas ne repartira pas à Bruxelles.
Les entreprises spécialisées dans la restauration du patrimoine n’ont donc pas de souci à se faire. Si les budgets qui financent leurs interventions n’arrivent pas ou ne leurs sont pas consacrés. Si les ouvrages se dégradent ou si le savoir-faire des compagnons, faute d’être employé disparaît, elles pourront toujours se consoler en pensant que les hauts responsables du patrimoine travaillent activement. Elles sauront que de Syracuse à Tolède ou de Venise à Prague, des hommes dévoués à la cause se consacrent âprement au renforcement et à l’échange de leurs expériences respectives.
Ainsi dans 36 mois, au terme du programme Chorus, ces acteurs seront en mesure d’apporter un concours très précieux au patrimoine national et donc aux entrepreneurs. Il suffit donc simplement pour ces entreprises de faire preuve d’un peu de patience…