Rénovation énergétique : la réforme de l’ANAH suscite des incertitudes
Les deux principales fédérations du bâtiment (FFB et CAPEB) et les spécialistes des Certificats d’Économies d’Énergie (CEE) sont unanimes : le lancement de travaux de rénovation énergétique a ralenti en 2022 et 2023, notamment à cause de l’inflation et de la hausse du coût des travaux.
C’est ce que constate Florence Lievyn, nouvelle présidente du Groupement des Professionnels des Certificats d’Économies d’Énergie (GPCEE) : « Un de nos confrères a publié des éléments statistiques, qui mentionnaient, qu’en comparaison avec le 1er trimestre 2021, on a une baisse de plus de 60 % qui a été enregistrée, donc le moral est en berne. Nos partenaires professionnels nous disent, qu’en moyenne, ils arrivent à obtenir la signature d'1 devis sur 5, quand on était plutôt avant à 3 devis sur 5. La première explication c’est bien sûr celle du prix, donc du reste à charge pour les ménages. Les coûts des travaux ont augmenté, liés à la fois aux matériaux, aux matériels, mais également à la main d’œuvre », explique-t-elle.
« Il y a un certain nombre de Français qui n’ont plus les ressources suffisantes pour arriver à mettre en route les projets qu’ils avaient », reconnaît David Morales, vice-président en charge des affaires économiques au sein de la Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment (Capeb). Dans sa dernière conjoncture présentée le 7 septembre, la confédération faisait état d’une baisse des carnets de commandes, et prévoyait -0,5 % d’activité en volume pour l’année 2023.
Malgré ce contexte économique compliqué, la hausse des prix des énergies et l’interdiction progressive de location des passoires thermiques devraient continuer d’inciter les Français à engager des travaux de rénovation énergétique dans les prochains mois.
La présidente du GPCEE exprime toutefois des doutes, alors que la réforme de MaPrimeRénov’ devrait exclure les passoires énergétiques de la rénovation par geste, et obliger les ménages à prouver la performance de leur logement via la réalisation d’un diagnostic de performance énergétique (DPE), avant de pouvoir bénéficier des aides.
« Ce que nous disent les ménages que l’on a interrogés là-dessus, c’est que cette forme de logique où il va d’abord falloir payer pour voir s’ils sont éligibles à des aides ne les satisfait pas du tout. En l’occurrence, il va falloir payer un DPE pour voir si on n’est pas en étiquette F ou G – en croisant les doigts pour ne pas être en F ou G pour certains qui voulaient engager des travaux par geste. Cette forme d’avance de frais semble plus rebuter qu’autre chose», regrette-t-elle.
Une revalorisation du budget MaPrimeRénov’ bienvenue
Alors que le budget MaPrimeRénov’ sera revalorisé et passera de 2,5 milliards d’euros en 2023 à 4 milliards en 2024, la Fédération Française du Bâtiment (FFB), la Capeb, le GPCEE, et Hellio s’accordent à dire qu’il s’agit d’un bon « signal » envoyé pour la rénovation énergétique.
« C’est a priori une revalorisation sensible du plafond des aides sur la rénovation globale. Jusqu’ici on était sur une aide maximale de 18 000 € pour les ménages les plus modestes, et on va passer à 63 000 € en 2024, donc on ne parle plus de la même chose. Ces 63 000 €, en fait, ce sont 70 000 € plafonnés à 90 % pour les ménages les plus modestes. Il y a une dégressivité, donc les ménages les plus aisés seront quant à eux aidés à 50 %, ce qui représente 35 000 € d’aides », détaille Florence Lievyn.
« On peut dire qu’il y a eu une évolution, puisqu’on demandait 1 milliard d’euros de plus chaque année, et la première année on a obtenu 1,5 milliard de plus, donc c’est de bon augure. Après, il faudra accélérer un peu plus si on veut être au rendez-vous de 2030 et 2050. Mais en tout cas, c’était un bon signal sur la rénovation énergétique », se réjouit également Olivier Salleron, président de la FFB.
MaPrimeRénov’, coups de pouce CEE, TVA… « une instabilité chronique » des aides
Ce dernier appelle toutefois à plus de stabilité des aides, pour permettre plus de visibilité aux ménages et aux entreprises, de façon à ce que ces dernières puissent investir davantage dans le matériel, les ressources humaines, et la formation.
« Il y a encore cette instabilité chronique. D’une année sur l’autre, on manque de visibilité. Les aides peuvent croître, mais aussi décroître. Aujourd’hui, les citoyens, nos clients, peuvent perdre un avantage fiscal ou de prime en 6 mois», souligne-t-il.
« On voit que les dispositifs d’aides fonctionnent beaucoup par à-coups, donc cela crée de l’instabilité, et les gens n’ont pas forcément envie de s’engager avec des aides qui viennent et disparaissent », abonde Pierre-Marie Perrin, directeur des affaires publiques chez Hellio.
Pour illustrer cette instabilité, Olivier Salleron prend pour exemple la récente annonce de l’Institut général des Finances selon laquelle la TVA pourrait monter de 10 à 20 % pour les travaux de rénovation non énergétique. « Cela ne va absolument pas dans le bon sens. C’est encore une preuve d’instabilité fiscale et budgétaire sur le logement », estime-t-il.
C’est dans ce contexte que le président de la FFB nous indique avoir demandé à Patrice Vergriete, nouveau ministre du Logement, de mettre en place des « plans quinquennaux », afin d’assurer une certaine « stabilité ».
David Morales, vice-président de la Capeb, s’inquiète quant à lui de la réforme concernant le pilier « performance » de l’Agence Nationale pour l’Amélioration de l’Habitat (ANAH) : « On entend qu’il va y avoir des modifications, et ces modifications nous mettent dans l’incertitude. Depuis très longtemps on demande de la stabilité, et une nouvelle fois on va se retrouver avec des choses différentes ».
Concernant l’instabilité des aides, la présidente du GPCEE en profite pour nous faire un rappel sur les coups de pouce. Après l’arrêt du coup de pouce « isolation », celui sur la « gestion technique des bâtiments » (GTB) et le covoiturage s’arrêteront à la fin de l’année. Le coup de pouce « rénovation globale » devrait également prendre fin « à partir du moment où l’ANAH reprendra la main sur la rénovation globale, au travers de son pilier performance ». Le coup de pouce « chauffage » – soutenant notamment les pompes à chaleur (PAC) et équipements fonctionnant grâce à la biomasse – devrait en revanche être maintenu jusqu’au 31 décembre 2025, soit jusqu’à la fin de la 5ème période des CEE.
Une simplification attendue, mais aussi plus de contrôles
Pour le directeur des affaires publiques d’Hellio, il faudrait par ailleurs une « simplification administrative », et « une harmonisation entre les contrôles qui sont réalisés via l’ANAH avec MaPrimeRénov’, mais également via les CEE ».
Olivier Salleron se montre en revanche plus réticent concernant une simplification du label Reconnu Garant de l’Environnement (RGE) : « On peut toujours simplifier, mais attention, sans un RGE un peu costaud, ce sont les margoulins qui vont venir sur la rénovation énergétique. Il faut être soumis au contrôle, un à deux par an minimum pour garantir un peu le sérieux », estime-t-il.
À propos des fraudes à la rénovation énergétique, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a annoncé, à l’occasion du salon Renodays, un renforcement des contrôles sur site en 2024, et le lancement d’une nouvelle campagne de communication à destination des particuliers.
Financer la rénovation énergétique grâce à l’épargne des Français
Outre la revalorisation du budget MaPrimeRénov’, la possibilité pour les particuliers de débloquer leur plan épargne logement (PEL) pour financer des rénovations énergétiques a également été accueillie de façon très favorable, alors que l’épargne réglementée des Français (livret A, PEL, LEP, LDDS etc.) représentait 902,6 milliards d’euros au premier trimestre 2023, selon la Fédération Bancaire Française (FBF).
« On est très satisfaits, et on voudrait aller plus loin. Il y a une épargne de particuliers qui dort en France. On a des records d’épargne, des dizaines de milliards qui existent, sinon plus », souligne Olivier Salleron.
« On sait qu’il y a beaucoup d’épargne chez les Français post-covid. C’est le chantier du siècle et il faut trouver les financements, donc pourquoi pas le financer via le PEL aussi », valide aussi le directeur des affaires publiques d’Hellio.
Quelle responsabilité pour Mon Accompagnateur Rénov’ ?
Également interrogés sur la mise en place de Mon Accompagnateur Rénov’ (MAR), certains sont mitigés, s’inquiétant notamment du nombre de personnes à trouver et à former (alors que le gouvernement vise 2 000 MAR formés d’ici fin 2024), mais aussi sur la neutralité, l’indépendance, et la responsabilité d’un tel acteur en cas de problème sur un chantier.
« L’Accompagnateur Rénov’ n’est pas maître d’œuvre. Il ne porte pas la garantie décennale. C’est dommage d’avoir fait 75 % du chemin, et de ne pas avoir donné cette mission de maîtrise d’œuvre à l’Accompagnateur Rénov’, parce que là on aurait eu quelque chose de disruptif et de très sécurisant pour le ménage, et ce dernier aurait compris pourquoi cette prestation vaut plusieurs milliers d’euros, et pourquoi on lui rajoute un acteur », déplore la présidente du GPCEE.
« Si on se rend compte, à la fin du chantier, que le résultat et les économies d’énergie réelles ne sont pas là, le ménage ne va pas pouvoir se retourner contre MonAccompagnateurRénov’. Donc qui est-ce qui porte la responsabilité de ce résultat, et donc des aides qui sont allouées ?», s’interroge également le directeur des affaires publiques d’Hellio. C’est d’ailleurs dans ce contexte de nécessaire formation des futurs Accompagnateurs Rénov’ que le délégataire de CEE lance son « Académie ».
Claire Lemonnier
Photo de une : Adobe Stock