Les patrons de l'artisanat du bâtiment au bord de la crise de nerf
Composée de 51 questions portant sur la sécurité au travail d'une part puis le stress et la santé d'autre part, l'enquête adressée à des chefs d'entreprise artisanale du BTP (de 0 à 20 salariés), a recueilli 3 120 réponses entre juin et juillet. « Cette mobilisation est un signal fort qui montre q'ils voulaient être entendus», considère Julie Boisserie, chef de projet chez IRIS-ST. Et pour cause. Les chiffres révèlent de nombreux signes d'épuisement propices au burnout, un état dépressif de dévalorisation et de totale démotivation ayant la particularité de ne pas être visible de l'extérieur.
Si l'enquête releve qu'une majorité d'artisans du BTP s'estime en bonne santé (80 %), de précédentes études, de l'INSEE notamment, ont montré que ces derniers ont tendance à être très, voire trop positifs s'agissant de leur état de santé. « Se penser en bonne santé est signe de force et de conviction vis à vis du client. Tandis qu'admettre que l'on ne l'est pas conduit à un phénomène de déclassement, à une forme d'échec. C'est ce qui explique que par habitude, les artisans préfèrent dire que ça va», traduit Patrick Liébus, président de la CAPEB.
Un artisan sur deux très régulièrement stressé
Mais ce naturel positif a ses limites. En atteste le principal enseignement de l'enquête qui pointe que 57% des répondants se sentent stressés souvent, voire très souvent. Parmi les facteurs générateurs d'anxiété chez les artisans du BTP comptent le rythme de travail intense, la pression des délais, l'exigence mentale de l'activité, les interruptions intempestives dans le travail, le déséquilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, le sentiment d'isolement, le conflit de valeur et enfin le sentiment d'insécurité. « Si le stress dure, cela peut avoir des conséquences directes sur la santé qui se manifestent alors physiquement, mentalement ou émotionnellement et se traduisent notamment par des troubles de l’appétit, du sommeil ou de la digestion », prévient Julie Boisserie.
Or, l'enquête apprend par ailleurs que seul un artisan sur quatre est suivi médicalement dans le cadre de son activité professionnelle, les autres ne bénéficiant pas de ce fait de démarche préventive. « C'est très courant chez les artisans d'aller consulter uniquement lorsqu'on arrive à l'extrême. C'est une négligence qu'il faut absolument corriger », déplore Patrick Liébus.
Plus de 60 heures de travail par semaine
En tant que chefs d'entreprise, nombre d'artisans s'investissent beaucoup dans leur entreprise. Au point qu'un sur cinq déclare travailler plus de 60 heures par semaine, et plus de 50 heures pour un sur deux. Les week-ends et les vacances ne sont pas en reste puisque 46% des artisans déclarent travailler pendant les deux jours de repos hebdomadaires tandis qu'un sur trois ne s'accorde que deux semaines de congés par an maximum. « Ce phénomène a pris de l'ampleur avec la crise économique. Car beaucoup d'artisans sont à la recherche de travail ; quand il arrive il faut gérer», résume la présidente de la CNATP.
S 'agissant des perturbations du rythme de travail, le sentiment d'urgence est partagé par 80 % des artisans interrogés. Tandis que trois sur quatre déclarent être souvent interrompus pendant leur travail, 85% considérent que ces interruptions sont négatives pour leur travail et sont catalyseur de stress. Enfin, 89% des répondants affirment que leur vie professionnelle empiète sur leur vie personnelle. Et cela est d'autant plus vrai que dans une entreprise sur deux, le conjoint est impliqué dans la vie de l'entreprise.
Prêts à se mettre en danger pour préserver leurs salariés
L'image de l'artisan peu soucieux des aspects de sécurité sur ses chantiers semble bel et bien révolue. Ainsi, 98% des artisans interrogés déclarent être attentifs aux questions de sécurité vis à vis de leur salariés tandis que 62 % indiquent être attentifs aux questions de sécurité vis à vis d'eux-mêmes. Preuve en est, le nombre d’accidents du travail en recul de 7 % entre 2011 et 2012. On observe également qu'une majorité d'artisans n'hésite pas à préserver en priorité ses salariés (73%) en se réservant les tâches les plus à risque.
Moyens de travail en hauteur, machines et outils, aménagements... 76% des répondants affirment en outre avoir fait des investissements au cours des deux dernières années visant à améliorer la prévention.
Quelles solutions pour améliorer les conditions de travail ?
A l'aune de ce premier état des lieux, la CAPEB propose des pistes de travail et des recommandations. La première repose sur l'élaboration d'un dispositif national de suivi statistique des accidents du travail et des maladies professionnelles des travailleurs indépendants. La seconde concerne la mise en place d'un suivi médical professionnel périodique pour les travailleurs indépendants qui contrairement au salariés dont le service médical est assuré de droit par un service de santé du travail, ne bénéficient pas de dispositif spécifique. Enfin, la Capeb travaille en étroite collaboration avec IRIS sur l'élaboration de fiches de sensibilisation visant à éviter de rentrer dans un stress extreme ou de faire un burn out.
Audrey Le Guellec
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