L’expansion à outrance du secteur de la construction au Qatar
Face aux secteurs du pétrole et du gaz (44%) et au secteur des services (38%), le secteur de la construction au Qatar fait figure de parent pauvre de l’économie qatari (9% du PIB). Toutefois, il réalise en 2012 un chiffre d’affaires de 27 milliards de dollars précise le département de la recherche d'Euler Hermes, auteur de cette étude. Un chiffre qui devrait grimper dans les années futures puisque le Qatar dépense sans compter dans le secteur de la construction afin de rattraper son retard sur ses voisins, les Émirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite. Il pourrait connaître au cours des dix prochaines années une croissance de +10% par an en moyenne annuelle.
La moitié de ces dépenses attribuée au Mondial de football 2022
Le Qatar a prévu d’investir plus de 200 milliards de dollars dans des projets de construction et d’infrastructures d’ici 2022. Cet horizon correspond à l’année pour laquelle le pays a été retenu pour l’organisation du Mondial de football. Cette manifestation devrait mobiliser au moins la moitié de ces dépenses selon des évaluations qui pourraient être revues à la hausse. Ce n’est pas la première fois que le pays utilise cette recette : il a organisé une quinzaine d’événements sportifs significatifs depuis 1993.
Un vaste programme de construction de lignes de métro, trains, tunnels, routes, ponts, stations d’épurations, port maritime, aéroport, villes nouvelles, projet gazier, hôtels, stades de football, est planifié pour accueillir dignement les visiteurs et les supporters des équipes de football. Les investissements potentiels nécessaires en équipements de climatisation ont été évalués à 50 milliards de dollars et à 77 milliards pour l’accueil des spectateurs attirant des groupes de construction internationaux.
Au-delà de cet enjeu sportif et fortement symbolique pour l’Émirat, cette politique s’intègre dans le large plan « Qatar National Vision 2030 » qui doit permettre d'améliorer l'image du pays et de doubler le taux de croissance de l’économie nationale (+4,1% de croissance du PIB attendu en 2013) détaille Euler Hermes. L'objectif du Qatar est de devenir un modèle et un pivot du poids régional voire un poids lourd international.
Les sommes investies dans la construction font figure de dopage
Cet emballement parait démesuré au regard de l'évolution démographique et il constitue une prise de risques pouvant transformer les succès de la coupe du monde de football en revers. Les besoins en nombre de logements liés à l’accroissement de la population sont assez faibles. Son rythme de croissance devrait ralentir rapidement (6,5% en 2013 et 1,2% en 2020) pour passer au-dessous du rythme mondial d’accroissement de la population (1,4% en 2020). La population du Qatar devrait se stabiliser dès 2015 à hauteur de 2,3 millions d’habitants. Les sommes investies dans la construction font ainsi figure de dopage. L’indice du volume de construction de logements est en passe d’être multiplié par 10 en 5 ans entre 2010 et 2015 avec une accélération à partir de 2012.
Le Qatar s’est engagé à grands pas dans la voie du rattrapage des autres économies, que de nombreux pays ont expérimenté avec un relatif succès avant de connaître un essoufflement, voire des difficultés. En particulier, l’organisation d’événements sportifs de grande ampleur peut laisser la place à des déconvenues et notamment du fait de la formation de bulles immobilières. Les JO ont ainsi contribué à faire exploser les prix de l'immobilier à Pékin obligeant les autorités à prendre des mesures.
Indicateur du prix des biens immobiliers, l'évolution du niveau des loyers montre une accélération à partir de 2010 avec un doublement du taux de croissance à +8%. Entre 2005 et 2015, l'augmentation prévue des loyers correspondra ainsi à un doublement en 10 ans. Ce risque est amplifié au Qatar par la concentration de la population à Doha qui abrite près de 50% des habitants. A la démesure de certains projets s'ajoute le manque de cohérence d'ensemble. L’image de cette modernisation à marche forcée pourrait en effet être écornée par les conditions de travail et de vie de ses principaux artisans, les travailleurs asiatiques. De plus, elle risque de bousculer les traditions du pays et être freinée par des forces plus conservatrices.
Des désillusions à venir pour les entreprises de la construction qataries
Compte tenu de l’ampleur des projets, ce sont plus les grands groupes internationaux du secteur que les sociétés qatari qui vont bénéficier de cette manne. À titre d’exemple, Vinci est actionnaire à 49% aux cotés de Qatari Diar, fond souverain du Qatar, (51%) du groupement attributaire du lot sud de la ligne rouge du métro de Doha par Qatar Rail d’un montant d'environ 1,5 milliard d'euros.
La concurrence sera vive et elle va peser sur la rentabilité des sociétés du secteur qui pourrait perdre de sa valeur à l'horizon 2020 d’autant que les coûts de production augmentent malgré le recours massif (plus de 90%) à une main d’œuvre de migrants soumise à des conditions de travail tendues comme en témoigne le nombre d’accidents. S'il existe des opportunités dans le secteur de la construction au Qatar, il s'agit vraisemblablement d'un épisode passager dont les excès pourraient alimenter des difficultés futures qui affecterait en premier lieu les 39,2% de la population active employée dans ce secteur.