Fin du coup du pouce isolation : la filière « se meurt » selon le SNI
Le secteur de l’isolation avait déjà tiré la sonnette d’alarme. La profession se confronte à une suppression massive de postes. Une tribune diffusée en mars par le syndicat Symbiote recensait 13 000 emplois supprimés, face à la baisse des aides à la rénovation dédiées à ces travaux.
Le coup de grâce a été porté, selon les professionnels, par la fin des coups de pouce « isolation ». Prévue initialement – à l’improviste – le 1er juillet 2021, cette décision a été reportée ce 1er juillet 2022, avec un maintien de la bonification pour l’« isolation des combles et planchers », des travaux engagés avant le 30 juin 2022 et achevés au plus tard le 30 septembre 2022.
Une mesure législative calquée sur les objectifs fixés pour la cinquième période (P5) des Certificats d’Économies d'Énergie (CEE). « À la fin de la P4, les obligés ont annoncé avoir un peu de stock de CEE - environ 200 Twhc. Les négociations d’objectif ont alors été faites avec un objectif pour la P5 de 2 500 Twhc. Sauf qu’au fur et à mesure, les obligés ont sorti du stock estimé plutôt à 400 puis 500 Twhc. La réalité aujourd’hui est plutôt de l’ordre de 800 à 1 000 Twhc. Ce qui engendre ce qu’il se passe sur le marché des CEE, à savoir un gel des achats et une chute du cours, et donc une baisse des aides CEE », nous décrypte Brice Aloth, vice-président de la section soufflage du Syndicat national de l’isolation (SNI). Par conséquent, le reste à charge des ménages est devenu trop important pour les travaux d’isolation.
« Le cours du CEE étant déjà trop faible, plus personne n’utilise le coup de pouce isolation depuis la modification en juin 2021. Donc aujourd’hui, cette fin du coup de pouce isolation est une simple suite logique, sans conséquences, puisque plus personne ne le valorise », ajoute-t-il.
Derrière, l’administration promettait une stabilité, une régularité, une simplification et donc une meilleure stratégie long-terme de la rénovation énergétique, notamment à travers un guichet unique France Rénov’.
Un surinvestissement des entreprises de l’isolation, jusqu’à l’endettement
Résultat, les entreprises se sont montrées « crédules » selon le SNI et n'ont pas hésité à investir. « Globalement, nous avons multiplié par trois le nombre de nos salariés. Nous avons investi dans la formation des techniciens, mis en place les visites techniques obligatoires, augmenté notre nombre de salariés aux postes administratifs afin de gérer les dossiers d’aides aux particuliers », estime Brice Aloth, à partir des remontées d’informations des adhérents de la SNI et de ce que le syndicat a lui-même investi dans ses structures.
Ainsi, les entreprises de l’isolation fédérées par le SNI passent d’une personne administrative pour cinq équipes de pose, à aujourd’hui une personne administrative pour deux équipes de pose. « Nous avons aussi mis en place, avec les organismes correspondants, les contrôles Cofrac, la participation à l’écriture du DTU 45.11. Tout cela dans l’objectif d’éradiquer l'éco-délinquance sur le marché ! Nous avons également investi dans le matériel : véhicules, poids lourds et machines », abonde le vice-président de la section soufflage du SNI.
Seulement, à en croire le SNI, cet investissement rime avec un surendettement, alors que ses entreprises adhérentes notent une perte de chiffre d’affaires, située entre 65 et 80 %. Une chute provoquant par ricochet le licenciement d’un tiers des collaborateurs en CDI. « Les entreprises d’isolation, qui réalisent uniquement cette activité, souffrent… 25 % ont déjà fermé et 40 % sont en cours de fermeture », nous confie Brice Aloth. Sans compter les pénuries et l’inflation du coût de la main d’œuvre et matières premières.
« La pénurie sur les matières pour l’activité isolation n’est plus un sujet, car nous n’avons plus de chantiers. En revanche, la pénurie des autres matériaux nous empêche de faire la bascule correctement sur les métiers comme le chauffage, la ventilation etc. », nuance le vice-président de la section soufflage du SNI.
Une reconversion pour la survie des entreprises de l’isolation ?
La reconversion vers d’autres secteurs est en effet une issue de secours envisagée par les entreprises de l’isolation, comme nous l’évoquait récemment Hello Watt dans une interview.
Parmi les entreprises adhérentes du SNI ayant survécu au naufrage, certaines « se sont effectivement diversifiées sur les métiers de l’ITE, du chauffage, de la ventilation etc… Mais le cours du CEE vient mettre à mal l’ensemble de la filière de la rénovation énergétique », confirme Brice Aloth.
Et quand bien même certains adhérents à la SNI se réorientent, ce n’est pas le cas pour l’ensemble. « Nos dettes déjà contractées ne nous permettent pas de nouveaux lourds investissements liés à un changement d’activité ». « Nos entreprises ont le fort sentiment d’être les variables d’ajustement d’une politique gouvernementale qui ne se soucie ni de leurs difficultés, ni des personnels, ni de la souffrance infligée aux dirigeants d’entreprise, encore moins des dépôts de bilan et des chômeurs qui résultent des plans de licenciements. Les ménages à faibles revenus sont tout aussi victimes que nos entreprises », juge le syndicat.
Ce dernier insiste sur la nécessité de sauver une filière de l’isolation « qui se meurt ». Et ce alors que paradoxalement, ce poste de travaux est vu comme un pilier de la rénovation performante, essentielle pour lutter contre l’inflation du prix des énergies, aggravée par la guerre en Ukraine.
Les solutions proposées par le SNI sont diverses : uniformiser l’obligation de kWhc/m2 H1 sur toutes les zones, rehausser cette obligation de 1000 TWhc immédiatement, inscrire une politique sur une période plus longue pour une montée en puissance progressive des entreprises, ou encore inscrire une concertation trimestrielle entre les pouvoirs publics et les acteurs de l’isolation (industriels, applicateurs…).
Mais la préconisation du SNI qui retient notre attention serait d’annualiser les obligations des délégataires. De cette façon, l’« effet « yoyo » serait stoppé car un volume pour une année serait négocié et produit avec une impossibilité de stocker et spéculer sur la hausse ou la baisse du CEE. Nous pourrions anticiper les volumes à produire et ainsi éviter d’avoir un effet attentiste en début de période et un effet d’augmentation bien trop important en fin de période pour combler le retard », justifie Brice Aloth.
Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de Une : Adobe Stock