Les conséquences de la RT 2012 sur la destination des ouvrages (1/3)
Episode 1 : dans un environnement juridique instable, de quelle manière va s’inscrire la nouvelle règlementation relative à la performance énergétique ?
« Depuis des années déjà, a été soulignée l’importance des acteurs privés et mixtes dans la production du droit, via notamment les codes de bonne conduite, les chartes et les diverses procédures de normalisation et de certification. Longtemps considérées comme du non droit, la normalisation technique et la certification apparaissent aujourd’hui pour ce qu’elles sont, des sources « effectives » du droit »[1].
Face à cette nouvelle génération de bâtiments, les maîtres d’ouvrage, d’oeuvre et autres experts de la construction [3] se sentent démunis. La normalisation joue un rôle d’information et de sécurisation au profit du contractant non spécialiste. La référence généralisée à la « normotechnique » se transforme en norme juridique générale et impersonnelle, débordant ainsi le seul cercle des contractants. Il y a ainsi une dépersonnalisation des rapports (du fait de leur juridicisation) qui se traduit, corolairement, par une suspicion du côté du non-professionnel. Et la « normotechnique » ne peut qu’entraîner la judiciarisation dans ces rapports tant il appert que cette pratique, même si sa destination initiale vise à protéger le « consommateur », non seulement rend les objectifs assignés de plus en plus difficile à atteindre, mais est également susceptible de constituer des sources de conflits sans fin.
Nous sommes loin de la vision du droit que se faisait Portalis pour qui « L’office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit; d’établir des principes féconds en conséquences, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière » [4].
En l'absence de définition légale [5], on peut affirmer que « l'impropriété à la destination » [6] caractérise l'effet du dommage qui empêche l'ouvrage de fournir son utilité telle que définie par des critères à la fois objectifs et subjectifs. Le travail du juge est donc de définir la destination de l'ouvrage grâce à des faisceaux d'indices divers tels que l'usage habituel de tel bâtiment, les termes des documents contractuels, l'usage réel auquel l'ouvrage se destine, voire parfois, en se référant à certaines normes légales.
Le paradoxe entre l'apparente rigidité des critères de gravité du dommage et la réalité de l'interprétation qu'en fait la jurisprudence se ressent à travers l'interprétation large de la notion de destination qui est faite par les juges du fond. Le caractère extensif et tout à la fois objectif et subjectif de l'impropriété trouve sa source dans le fait que la destination contraint à envisager l'ouvrage dans sa globalité. Il en est ainsi des bâtiments qui ont une esthétique propre et particulière, des bâtiments classés ou situés dans des sites classés, de ceux à vocation culturelle et sociale, etc. Il semblerait donc qu'il puisse exister autant de destinations que d'ouvrages [7] et que la notion de destination soit une notion vouée par nature à une interprétation extensive.
Cet état de fait a pour conséquences d'élargir considérablement le champ de la garantie décennale pour cause de « perte d'utilité » [8]. Le problème est l'insécurité juridique qui en découle concernant le régime de responsabilité applicable, entre la responsabilité décennale et la responsabilité de droit commun [9]. Et ce, malgré un contrôle de motifs par la Cour de cassation, laquelle exige qu'il soit précisé en quoi les malfaçons caractérisent tant l'impropriété à la destination de l'ouvrage, que l'atteinte à la solidité de celui- ci [10]. C'est là toute la difficulté de la caractérisation de l'impropriété à la destination.
En effet, d'un point de vue technique, déterminer l'impropriété à la destination d'un ouvrage implique en premier lieu de se rappeler le principe d'indifférence du siège du dommage en matière de construction. Ainsi, peu importe que le siège des désordres se situe dans un élément constitutif (murs porteurs, toiture, fondations...) ou affecte l'un des éléments d'équipement, comme des canalisations ou des systèmes de chauffage, sans qu'il y ait lieu de rechercher si ces équipements sont ou non indissociables du bâtiment, pourvu que ce dommage rende l'ouvrage impropre à sa destination [11].
En second lieu, le juge va se livrer à un examen global de l'ouvrage par une appréciation souveraine des faits. Il a été vu que la destination s'appréciait au regard d'éléments intrinsèques et extrinsèques de la construction. Des développements ultérieurs s'attacheront à préciser les notions de destination objective et subjective, mais d'ores et déjà, soulignons que l'impropriété à la destination peut notamment s'apprécier au vu de la « situation intolérable perturbant la vie des occupants » [12], étant précisé que la charge de la preuve pèse sans faillir au principe, sur le demandeur, lequel devra le plus souvent avoir recours à une ou plusieurs expertises. Le juge s'attachera également à des critères logiques et objectifs comme celui de l'habitabilité d'un ouvrage à usage d'habitation ou de la dangerosité, conséquence du désordre [13]. Parallèlement, il convient de remarquer que face à une appréciation large de la notion d'impropriété à la destination par le juge judiciaire, le Conseil d'Etat garde mesure et se livre à une appréciation restrictive de l'impropriété, laquelle est appréciée par rapport à « l'ampleur des conséquences dommageables » [14] que font peser les désordres sur l'ouvrage.
En tout état de cause, il faut bien entendre que c'est l'ouvrage dans son entier qui doit être rendu impropre à sa destination, et non pas seulement un élément constitutif ou un élément d'équipement, comme le rappelle souvent la Cour de cassation [15]. Ainsi, la troisième Chambre civile de la cour de cassation, dans un arrêt récent en date du 29 mars 2011 [16], ayant constaté, à propos d'une installation de chauffage, que « les désordres n'affectaient pas de façon globale l'installation de chauffage, mais seulement les ballons d'eau chaude qui étaient des éléments d'équipement dissociables, et que le système de chauffage n'avait pas cessé de fonctionner », a approuvé la cour d'appel, « qui en a souverainement déduit que ces désordres n'avaient pas rendu l'ouvrage impropre à sa destination (...) ».
Cependant, la jurisprudence admet dans certains cas, l'impropriété à destination partielle pour permettre la mise en jeu de la garantie décennale. Ainsi, la Cour de cassation approuve « la Cour d'appel qui retient que les désordres affectaient les toitures et que les infiltrations d'eau rendaient, pour partie, les maisons impropres à leur destination, en déduit exactement que la garantie décennale est applicable. » [17].
On le constate, l'impropriété à la destination de l'ouvrage se trouve être le levier de la mise en oeuvre de la garantie décennale, tant par sa polyvalence, que par ses facultés d'adaptation à chaque cas d'espèce.
Dans cet environnement juridique instable, la question se pose de savoir de quelle manière va s’inscrire la nouvelle règlementation relative à la performance énergétique. A l’instar du professeur Laurence BOY, nous pensons que « les normes techniques sont pleinement dotées d'une valeur juridique et ceci, que ce soit parce que le législateur y fait référence soit, plus simplement, parce que les parties leur donnent cette nature en les intégrant dans les contrats qu'elles passent » [18].
Gildas Neger, Docteur en Droit
Demain, épisode 2 : La notion de « destination » va-t-elle être « grenellisée » par les tribunaux pour ce type de travaux ?
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