Salariés exposés à l'amiante : 40 000 euros d'amende requis contre une entreprise
C'est un cas qui incarne le scandale de l'amiante. Ce lundi 26 octobre, trois mois de prison avec sursis et 10 000 euros d'amende ont été requis contre chacun des deux dirigeants d'une entreprise de fabrication de matériaux en béton, pour avoir laissé exposés, en connaissance de cause, leurs salariés à l'amiante entre 2002 et 2005 à Aubignas en Ardèche (07). 40 000 euros d'amende ont également été requis contre l'entreprise Basaltine.
En 2002, Philippe Mialanes et Yves Brugeaud, aujourd'hui respectivement 56 et 58 ans, rachètent l'entreprise Basaltine, conscients de la présence d'amiante dans les locaux d'Aubignas. Dès leur prise de fonctions, ils auraient été alertés de la nécessité de protéger leurs salariés et auraient reçu, « a minima 13 courriers, mises en demeure et interventions », selon l'avocate d'un ancien salarié et de deux associations de victimes de l'amiante (Andeva et Caper Ardèche).
Des salariés exposés à l'amiante sans protection
Malgré cela, les deux dirigeants auraient laissé travailler neuf de leurs salariés sans aucune protection. Selon Pierre Jeanjean, président du tribunal, des panneaux isolants floqués à l'amiante se dégradaient, libérant des poussières toxiques, et « des salariés les ramassaient à la main ». « On a l'impression que les salariés n'étaient pas au courant », relève-t-il.
Les deux dirigeants sont aujourd'hui poursuivis par le pôle santé publique du tribunal de Marseille pour mise en danger de la vie d'autrui et mise à disposition de locaux sans respect de l'hygiène et de la salubrité.
« L'aspect amiante a été annoté. On ne l'a pas mesuré, identifié, traité à sa juste dimension », a reconnu l'un des accusés. Ce dernier s'est défendu en soulignant que le site, extrêmement dégradé, présentait des problèmes de sécurité « plus immédiats ».
En 2004, les dirigeants ont finalement transféré huit salariés dans un autre bâtiment, et protégé le neuvième avec un masque adéquat et une combinaison.
« Pourquoi avoir attendu janvier 2005, alors que le problématique de l'amiante était connue dès mars 2002, pour fermer le site ? », interroge la procureure Marion Chabot. Et d'ajouter : « Il y avait une politique en interne constante et assumée : l'amiante n'était pas prioritaire ».
Beaucoup de victimes, mais peu de coupables
Selon les enquêteurs, une quinzaine d'ex-ouvriers de Basaltine sont tombés malades (plaques pleurales, cancers des poumons ou de la gorge...), et certains même sont morts des suites de leur exposition à l'amiante avant les années 1990. Des faits trop anciens pour entraîner une quelconque condamnation.
Pour rappel, l'amiante est considérée comme « hautement toxique » et interdite en France depuis 1997, mais il resterait 15 millions de tonnes de matériaux contenant de l'amiante dans les bâtiments français, selon l'Ademe.
« Les fibres d'amiante sont invisibles dans les poussières de l'atmosphère. Inhalées, elles peuvent se déposer au fond des poumons et provoquer des maladies respiratoires graves : plaques pleurales, cancers des poumons et de la plèvre (mésothéliome), fibroses (ou asbestose) », explique l'Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS). A noter que ces maladies se déclenchent souvent des dizaines d'années après l'exposition, et que les victimes ne font que très peu de démarches pour une reconnaissance en tant que maladie professionnelle, et sont rares à solliciter l'aide du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva).
« Ce dossier est l'incarnation même du scandale de l'amiante. Des milliers de morts, mais aucun responsable », poursuit Maître Dupin, soulignant que « la majorité des dossiers ont débouché sur des non-lieux, justifiés par le juge d'instruction. Trop vieux, trop loin, difficile de savoir qui a placé la bombe... ».
L'avocate s'est toutefois félicitée des réquisitions retenues à l'encontre des deux dirigeants et de l'entreprise : « C'est un début. On sort peu à peu de l'omerta sur les responsabilités dans les affaires d'amiante ».
Le jugement doit être rendu le 16 novembre.
Claire Lemonnier (avec AFP)
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