Marchands de sommeil : la justice française prend des mesures fermes
Sur sept étages, dans le quartier populaire de la Mosson, à Montpellier, la résidence Font Del Rey abrite 110 logements de 24 à 44 mètres carrés, dont 45 ont été déclarés indécents. Les enquêteurs ont relevé des moisissures, la présence de punaises et de cafards, des branchements électriques dangereux, infiltrations, garde-corps descellés, issues de secours inaccessibles.
« Les désordres constatés dans cet immeuble sont plus que nombreux », a déclaré le procureur de la République, Nemanja Despotovic, après avoir remercié les directrices des associations de la Fondation Abbé Pierre et Habiter Enfin d'avoir alerté le parquet en 2021, « avant que le pire ne se produise ».
Ouvert mardi 5 septembre, le procès s'est déroulé dans une ambiance tendue, les avocats de la défense dénonçant une procédure « pleine de carences ».
Trois propriétaires, leur « homme de main » et quatre sociétés sont poursuivis pour « soumission de personnes vulnérables ou dépendantes à des conditions d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine », « mise en danger de la vie d'autrui », et « menaces ou actes d'intimidation ».
Patron de la SCI qui possédait 82 logements sur les 110, Patrick Bolzer a plaidé l'ignorance. Résidant à Paris, le retraité reconverti dans l'immobilier a dit ne recevoir que « des comptes-rendus mensuels » de la part du syndic, dont le gérant Didier Raymond est également prévenu. Pourtant, en 2020, un arrêté d'insalubrité avait été émis par le préfet pour les partis communes.
« Comment avez-vous pu ne pas voir les problèmes d'indécence et d'insalubrité de l'immeuble ? », a lancé le président du tribunal à M. Raymond, qui a soutenu que les locataires ont été « manipulés » et « démarchés par l'association Habitat Enfin » pour porter plainte contre lui.
« J’ai trouvé des serpillères et des journaux dans les VMC (ventilations), des bouches d'aération scotchées. Je pense qu'ils pourrissent leur appartement pour pouvoir demander d'être relogés », a-t-il dit, tout en soutenant que, pour lui, les parties communes n'étaient pas insalubres.
« C’est un procès idéologique et médiatique », a plaidé Me Luc Abratkiewicz, avocat de M. Raymond. « Mais je ne défends pas une cause, je défends simplement les intérêts d'un homme. Or, l'enquête n'a pas été exemplaire. Elle manque de preuves. C'est une chasse aux propriétaires privés. »
À l'audience, des locataires ont pour leur part témoigné d'actes d'intimidation de la part du syndic, l'un d'eux explique par ailleurs avoir dû verser à son « homme de main » 1 800 euros en liquide juste pour visiter l'appartement.
La Métropole de Montpellier, partie civile aux côtés des deux associations et de douze locataires, qui a acquis en 2022 l'intégralité de l'immeuble, a prévu sa démolition en 2028, et a débuté le relogement des personnes.
Dans un communiqué, le maire PS de Montpellier Michaël Delafosse a par ailleurs alerté « sur ces agissements afin que se développe une prise de conscience nationale et que les législateurs donnent au plus vite aux collectivités les moyens de lutter contre ce phénomène (des marchands de sommeil, ndlr) » . Le jugement a été mis en délibéré le 15 novembre.
Un fléau de plus en plus en présent
Le ministère public a également requis en appel mercredi 6 septembre, un an de prison avec sursis et 100 000 euros d'amende contre un « marchand de sommeil » accusé d'avoir contraint des familles à la cohabitation dans une immense copropriété de Grigny, dans l'Essonne.
« Ce procès est celui d'un marchand de sommeil sans scrupules qui a mis à la location des logements non sécurisés », a déclaré l'avocat général lors d'une audience à la cour d'appel de Paris.
Ces logements se trouvent à Grigny 2, plus grande copropriété d'Europe, située dans un quartier prioritaire de Grigny, une des communes les plus pauvres de la région parisienne.
Le marchand de sommeil mis en cause, Dominique F., 63 ans, avait été condamné à un an de prison avec sursis en novembre 2021 par le tribunal correctionnel d'Evry pour avoir mis en location quatre appartements - il en possède 40 à Grigny 2 - « à la découpe », entraînant leur sur-occupation.
Ni arrivée d'eau, ni évacuation des eaux usées
Certains locaux loués ne disposaient ni d'arrivée d'eau, ni d'évacuation des eaux usées. De premières plaintes avaient été déposées en juillet 2016. Lors de l'audience, le parquet général a requis la confirmation de cette condamnation, qui incluait une amende de 100 000 euros et cinq ans d'interdiction de toute activité de location immobilière. Un des appartements visés par cette procédure lui avait également été confisqué.
L'avocat général a également requis une interdiction d'activité locative « y compris par un intermédiaire » et la confiscation des quatre appartements mentionnés dans le dossier. En revanche, le ministère public a confirmé les relaxes prononcées en première instance, notamment celles portant sur les faits d’ « hébergement incompatible avec la dignité humaine » qui lui étaient reprochés.
L'arrêt sera rendu le 25 octobre.
Marie Gérald (avec AFP)
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