Bien vieillir chez soi : la priorité, c'est d'anticiper, selon Luc Broussy
Vous avez rendu votre rapport interministériel sur l'adaptation des logements, des villes, des mobilités et des territoires au vieillissement de la population en 2021. Que s'est-il passé depuis ? Est-ce que cela a engagé une dynamique ?
Luc Broussy : Parmi les missions d'un rapport, il y a celle d’inoculer un certain nombre d'éléments dans le débat public, qui fait son œuvre au fur et à mesure, c'est-à-dire que quand on le rend, on pense que personne ne le lira, puis après on se rend compte qu'au fur et à mesure des gens y font référence, donc cela fait son chemin et cela aide à la réflexion des différents acteurs. Ce sont vraiment les deux missions d'un rapport : essayer d'influencer directement en proposant des mesures immédiates, et poser un constat à l'instant précis.
Depuis, il y a eu une mesure phare de mon rapport qui a été reprise par le gouvernement et qui sera en œuvre au 1er janvier 2024 : c'est MaPrimeAdapt'.J'étais parti du constat qu'il fallait absolument avoir une politique volontariste, visible, lisible sur l'adaptation des logements et que cela ne servait à rien de revendiquer le maintien à domicile des personnes âgées, si on ne faisait rien sur les logements eux-mêmes. Car contrairement à d'autres pays qui avaient une politique plus volontariste, la France était un peu en retard, avec des politiques pas très visibles et assez limitées. Ainsi, en faisant ce constat et en proposant la création de MaPrimeAdapt', cela a fait florès et le candidat Emmanuel Macron l'a repris dans ses propositions pour l'élection de 2022, puis dans son programme présidentiel.
Ensuite, j'ai remarqué que dans Action Cœur de Ville et Petites Villes de Demain, qui sont les dispositifs que l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) met en place un peu partout en France, il n'y avait pas de brique « vieillissement » et j'ai insisté là-dessus en disant que c'est quand même cocasse que, dans des petites villes qui sont vieillissantes, on ne parle pas de la question démographique. Action Cœur de Ville en a pris conscience et l'a intégrée dans la deuxième vague de son programme.
Parmi les 80 propositions de votre rapport, d'autres ont-elles été reprises par le gouvernement ?
Luc Broussy : Quand on envoie un rapport comme celui-ci, cela infuse dans les esprits au fur et à mesure. Et quand Aurore Bergé, le 17 novembre dernier, lance sa Stratégie interministérielle, et pour la première fois, demande à la Première Ministre d'instaurer un conseil interministériel du grand âge, je ne vais pas dire que c'est moi qui lui ai écrit son discours, mais cela va faire 10 ans que dans les deux rapports interministériels que j'ai remis, je ne cesse d'évoquer cette question en disant : « une politique du grand âge n'aura aucun sens si elle n'est pas prise de manière panoramique, holistique », et donc qu'elle ne peut pas relever que du seul ministère qui s'occupe des personnes âgées. Il faut qu'elle englobe la culture, le territoire, le transport, l'économie... À force de marteler ce discours, cela a fini par devenir évident.
De la même façon que les bailleurs sociaux ne m'ont pas attendu pour se dire qu'il y avait un pari, un défi à relever sur le vieillissement des locataires du parc social, mais le fait que je le mette en lumière, que je fasse des propositions, cela permet une fois plus de mettre en exergue des sujets qui étaient parfois un peu sous les radars.
Selon vous, MaPrimeAdapt', comme elle a été votée, a de quoi rassurer les acteurs de la filière ? Et surtout les populations concernées ?
Luc Broussy : Quand on part de pas grand-chose et qu'on met en place un dispositif, c'est déjà bien et important de le souligner. Après, il y a tous ceux qui sont aiguisés à expliquer à quel point ce n'est pas suffisamment bien et c'est d'ailleurs leur rôle. Nous, on se bat pour que les ergothérapeutes soient reconnus dans MaPrimeAdapt', mais ces derniers râlent parce que ce n'est pas suffisamment bien payé. On dit qu'il faut absolument diffuser cette prime, mais les bailleurs sociaux protestent parce qu'ils ne sont pas concernés. Ce que je veux dire par là, c'est que ce sera toujours la stratégie du verre à moitié plein, ou à moitié vide.
Le réel défi c'était d'adopter un tel dispositif, de faire arbitrer quelque chose d'absolument essentiel, à savoir que cette prime soit valable à partir de 70 ans, sans condition de dépendance, avec des conditions de ressources. Parce que je rappelle que dans un premier temps, il était prévu que n'en bénéficient que les plus dépendants, et j'avais noté dans mon rapport à quel point cela aurait été un crime contre la prévention, car cela voulait dire globalement qu'il fallait tomber trois fois dans l'escalier avant d'avoir droit à une aide. Donc le fait de l'avoir dès 70 ans et que l'état de santé ne soit pas une condition pour bénéficier de cette aide, ce sont deux arbitrages qui ont été pris en compte dedans et qui sont absolument essentiels. Pour l'instant, le dispositif est cantonné aux ménages à ressources modestes et très modestes, mais il sera toujours temps, le moment venu, de le rajouter pour la classe moyenne. Il faudra également gérer, dans deux ans, ce qu'on fait du soutien aux personnes qui ont plus les moyens à travers le crédit d'impôt.
Chaque chose en son temps. Là, pour l'instant, on est sur un nouveau dispositif, et il faut déjà faire en sorte qu'il marche bien, faire en sorte que l'argent sur la table soit dépensé, faire en sorte qu'il y ait des gens qui se précipitent pour avoir l'aide. Et pour cela, il faut que le gouvernement communique, donc l'enjeu, dès le mois de janvier, cela va être l'ampleur de la communication pour que toutes les personnes concernées et intéressées puissent y accéder.
Quelles sont les principales différences entre les politiques françaises et celles de nos voisins européens sur l’adaptation du logement pour les personnes agées ?
Luc Broussy : Les pays du Nord, comme le Danemark, sont souvent donnés en modèle peut-être parce qu'ils ont su couper le robinet de création d'EHPAD pendant un moment pour essayer de trouver des formules alternatives. Après, ce sont quand même des pays avec une approche plus domiciliaire, c'est-à-dire qu'ils préfèrent les habitats inclusifs, les petites résidences, mais la vérité c'est qu'à la fin, il y existe aussi des EHPAD dans ces pays-là.
En France, on a un recours peut-être un peu plus facile aux EHPAD puisqu'on a 21 % des plus de 85 ans qui sont en EHPAD, un taux assez élevé par rapport à certains de nos voisins européens qui ont eu des approches plus locales, aussi parce que parfois, ce sont les communes qui ont cette responsabilité, comme en Angleterre. Cela dépend également de qui autorise, quel est le niveau de proximité, de planification de ces outils.
Mais il ne faut pas oublier que les pays comme le Danemark, c'est 6 millions d'habitants, ce n'est pas 67 millions, donc on ne peut pas trop se comparer avec un pays qui fait l'équivalent d'une grosse région française.
Existe-t-il des collaborations transfrontalières ou des échanges de bonnes pratiques entre la France et d'autres pays européens pour améliorer le bien-être des personnes âgées chez elles ?
Luc Broussy : S'il y a un domaine qui, pour l'instant, n'a pas besoin de traverser les frontières, c'est bien celui-là. On est le fruit de systèmes historiques, entre l'État et les départements. On est sur système médico-social avec des règles, qui ne sont pas les mêmes qu'en Allemagne ou en Angleterre. Il faut s'inspirer de la façon dont ils conçoivent leurs établissements et voir comment on peut s'en servir pour adapter les nôtres.
Il y a 7 300 EHPAD en France, et pour l'immense majorité, je pense que ce sera toujours les mêmes. Ce que je veux dire, c'est qu'il faut les transformer, il faut les faire évoluer, mais on ne peut pas tout raser, tout recommencer. Aller voir ce qui passe ailleurs c'est bien pour s'inspirer, mais il ne peut pas y avoir de co-production de cette façon-là.
Quels freins faut-il encore lever pour accélérer l'adaptation des logements ?
Luc Broussy : Avant même de regarder les aspects économiques ou financiers, c'est d'abord un aspect culturel qu'il faut privilégier. C'est-à-dire à quel moment une personne va se dire, dans son parcours de vie, qu'il est temps d'adapter son logement, alors même qu'elle n'est pas encore dépendante, à quel moment anticiper ? C'est ça la difficulté, c'est ni trop tôt, ni trop tard.
Aujourd'hui, l'âge moyen des travaux réalisés dans l'adaptation des logements au vieillissement de la population, c'est 84 ans, c'est beaucoup trop tard. C'est plutôt à mon avis entre 75-84 ans, c'est à cette tranche-là qu'il faut commencer à y réfléchir, mais y réfléchir en deux temps. Premièrement, est-ce que je peux rester là où je suis ? Deuxièmement, est-ce que mon mon logement est adaptable ?
Après l'adaptation des logements des personnes âgées ne se résume pas à l'accessibilité. Ce n'est pas parce qu'un logement est accessible qu'il est adapté. ll faut qu'il soit accessible pour être adapté, mais ce n'est pas une condition suffisante. Par exemple, si vous avez un super logement, totalement accessible, mais qui se trouve à 5 km de la première boulangerie, il n'est pas adapté. Ainsi, la première réflexion que l'on doit se faire c'est : là où je vis aujourd'hui, dans 5 ou 10 ans, est-ce que je pourrais toujours y vivre si je suis fragile ?
La réponse sera oui ou non. Qui sait ? Peut-être que je peux regarder comment je peux l'adapter et si je ne peux pas, parce qu'il se situe dans une rue à grande déclivité, à plusieurs kilomètres des commerces ou des ressources en santé, vous savez déjà que vous ne pourrez pas vieillir là. En tout cas, que cela n'est pas souhaitable pour vous. Si vous avez une maison avec des escaliers partout, on vous remémorera le chiffre de 10 000 morts par an de chutes domestiques au-delà de 65 ans.
La première priorité est donc culturelle, et cela a déjà un peu commencé. Ce qui explique aujourd'hui le succès des résidences services séniors, parce que beaucoup estimaient que c'était le bon moment.
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Propos recueillis par Marie Gérald
Photo de une : © Linkedin - Luc Broussy