Face à la crise du neuf, le bâtiment se forme à la rénovation énergétique
La crise de la construction neuve se fait ressentir depuis de nombreux mois maintenant, entraînant des plans sociaux même dans des grands groupes du BTP ayant a priori les reins solides, comme Bouygues Immobilier ou Nexity, prévoyant de supprimer respectivement 225 et 502 emplois.
Crise du neuf VS incitation à la rénovation énergétique
À fin juin 2024, les permis de construire atteignaient leur plus bas niveau depuis au moins 2015, selon les chiffres du ministère de la Transition écologique. Au premier trimestre 2024, les entreprises de construction enregistraient ainsi +31 % de défaillances sur un an, d’après le cabinet Altarès.
Outre les facteurs économiques liés à la hausse des taux d’intérêts et à la baisse du pouvoir d’achat immobilier des particuliers, les promoteurs et entreprises de construction font également face à une réglementation durablement plus contraignante, avec l’entrée en vigueur de la loi Climat et Résilience, qui institue le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) des sols.
Cette réglementation met un nouveau coup de frein à la construction neuve, et incite à privilégier la rénovation de l’existant, la réhabilitation et la surélévation.
Parallèlement, les interdictions de location à venir poussent les propriétaires à rénover les 4,8 millions de passoires thermiques que compte la France métropolitaine.
Des promoteurs et entreprises de construction qui cherchent à se diversifier
Alors que la rénovation énergétique et la réhabilitation semblent offrir de meilleures perspectives pour les entreprises, nombreux sont les promoteurs immobiliers qui cherchent à diversifier leurs compétences et à requalifier leurs salariés pour s’adapter aux évolutions du marché. C’est ce que constate la présidente de Qualitel Formation :
« On observe un changement de donne, surtout de la part des promoteurs, puisque jusqu’ici ils se formaient sur toutes sortes de formations réglementaires et techniques. Et là, depuis 1 an et demi, nous avons pas mal de demandes de promoteurs pour des formations à la réhabilitation des bâtiments et aux techniques liées à la rénovation énergétique », nous explique Aniça Zabeur. « La formation particulièrement plébiscitée par nos promoteurs, c’est "Réhabilitation durable des bâtiments : enjeux et techniques" », précise-t-elle.
« Il y a un certain nombre de grands groupes du BTP qui ont besoin de requalifier leurs salariés et qui les accompagnent vers de nouveaux métiers. Par exemple sur le parcours "Conducteur de travaux en réhabilitation", c’est beaucoup de gens qui étaient plutôt conducteurs de travaux ou chefs de chantier sur des projets neufs, et qui doivent se réadapter parce qu’il y a davantage de travail sur des projets de réhabilitation », observe de son côté la fondatrice de La Solive.
Même si beaucoup d’apprenants viennent déjà du secteur du BTP, Ariane Komorn souligne que les compétences requises pour un chantier dans le neuf et un chantier de rénovation énergétique ne sont pas les mêmes. « On essaie d’identifier quelles sont les compétences réutilisables de ces salariés, et de réutiliser un maximum ces compétences pour les repositionner sur des métiers qui, eux, sont en tension », ajoute-t-elle.
Plombiers-chauffagistes, électriciens, agents immobiliers… d’autres professions concernées
Les promoteurs immobiliers ne sont d’ailleurs pas les seuls concernés. La Solive voit également arriver de nombreuses demandes de formation de la part d’entreprises de plomberie-chauffage ou d’électriciens : « Il y a aujourd’hui une recrudescence d’entreprises qui veulent passer leur RGE, et le QualiPAC ou QualiPV pour pouvoir faire bénéficier des aides à leurs clients. On a notamment des entreprises qui faisaient de la plomberie-chauffage dans des bâtiments neufs et qui veulent maintenant pouvoir remplacer des chaudières gaz par des pompes à chaleur ».
« On a aussi l’exemple d’entreprises d’électricité qui essaient de se repositionner sur le photovoltaïque. Ils utilisent toutes leurs compétences sur la partie électrique parce qu'évidemment il y a le raccordement électrique des panneaux, mais il faut qu'ils apprennent la partie couverture, monter en toiture, faire une installation etc. », poursuit-elle.
D’après Ariane Komorn, la rénovation énergétique serait par ailleurs un secteur propice à l’entrepreneuriat. Un tiers des techniciens en formation à La Solive envisageraient de créer leur propre entreprise à court ou moyen terme.
« C'est vrai aussi pour les chefs de projet. Aujourd'hui, 12 % de nos chefs de projet se mettent à leur compte. Donc ça permet vraiment d'accéder à cette envie d'indépendance », souligne-t-elle.
Plus éloignés du neuf, les agents immobiliers qui subissent la crise de l’immobilier ancien sont également nombreux à vouloir se former à la rénovation énergétique : « Nous avons eu un afflux d’acteurs de l’immobilier pour des formations de technico-commerciaux ou de conseiller en rénovation énergétique. C’est intéressant comme transition car ils ont déjà une compréhension du secteur, mais ils ont besoin de rajouter la dimension technique de la rénovation énergétique. C’est beaucoup de gens qui vont se réorienter par exemple vers un travail de mandataire travaux, dans des réseaux qui sont en train de se développer de façon très dynamique aujourd’hui », commente Ariane Komorn.
Des formations à distance et en présentiel
Interrogée sur la part de formation à distance par rapport aux formations en présentiel, la fondatrice de La Solive explique qu’il existe des formations à 100 % en distanciel pour des profils cadre, mais elle rappelle que le geste et la pratique restent essentiels pour se former à l’installation de pompes à chaleur ou de panneaux photovoltaïques par exemple.
« Aujourd'hui, on ne peut pas apprendre à installer un panneau solaire, à faire la maintenance d'un système énergétique, ou à installer une pompe à chaleur en faisant un e-learning. En tout cas, aujourd'hui, il n'y a aucun chef d'entreprise qui nous dit qu'il serait prêt à envoyer en formation, voire recruter, quelqu'un qui se serait formé en ligne pour l'installation d'une pompe à chaleur », explique-t-elle.
Dans ce contexte, La Solive dispose de trois campus à Paris, Lyon et Nantes, et compte en ouvrir une dizaine de plus d’ici 2026, à commencer par Marseille, Toulouse, Lille et Montpellier, en partie grâce à une récente levée de fonds de 4 millions d’euros.
Ces fonds serviront également à créer de nouvelles formations, comme le parcours de « Conducteur de travaux en rénovation énergétique ». « C'est un métier sur lequel on est énormément sollicités, notamment par des grands groupes du BTP, qui aujourd'hui ont besoin à la fois de recruter ou de requalifier leurs salariés sur ces métiers », précise Ariane Komorn.
Rénovation énergétique et EnR : des besoins en formation qui devraient rester importants
La présidente de Qualitel Formation constate toutefois pour sa part une légère baisse des demandes de formations au global, en raison de la mauvaise conjoncture économique : « Étant donné que c'est compliqué financièrement pour les promoteurs, la moindre dépense est étudiée au millimètre près, donc la formation ne fait pas toujours partie des priorités en ce moment. Mais hormis cela, ils continuent de suivre différentes formations, notamment en lien avec les sujets réglementaires. Là, il y a les seuils 2025 de la RE2020 qui vont paraître au 1er janvier 2025 », rappelle Aniça Zabeur.
Selon elle, les besoins devraient toutefois rester importants dans les mois à venir, en particulier pour les formations en lien avec la rénovation énergétique et les énergies renouvelables.
« Il y a pas mal de besoins dans tout ce qui va être solaire, photovoltaïque, biomasse. On commence à avoir une vraie demande de la part de nos professionnels de se former sur ces sujets, avec des formations qui d'ailleurs débouchent parfois sur des qualifications spécifiques, plutôt pour la maîtrise d'œuvre », conclut-elle.
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Propos recueillis par Claire Lemonnier
Photo de une : Adobe Stock