Rencontres bétons : quel avenir pour le béton recyclé ?
Réunit à l’occasion des « Rencontres Bétons », les experts de la filière se sont prêtés aux jeux des questions-réponses lors d’un débat mené par Nicolas Roussel, directeur de recherche au département « matériau et structure », de l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR).
Sophie Decreuse, directrice « produits et qualité » - Cemex France et représentante de l’Union nationale des producteurs et granulats (UNPG) a ouvert le bal en soulignant que « la géologie française est très riche ». De ce fait, « bien que la consommation de granulats ait diminué depuis 2008, la ressource elle ne diminue pas ». Ce qui est vrai, c’est que les carrières sont confrontées à une législation très stricte qui protège la ressource et prévoit la restitution de terrains. Par ailleurs, la spécialiste souligne que « plusieurs années ou plusieurs dizaines d’années sont nécessaires pour obtenir un permis d’exploitation ».
Face à ces difficultés administratives, les granulats naturels semblent moins accessibles d’où l’importance d’en recycler une partie dans les nouveaux bétons.
20 millions de tonnes de « déchets béton » à recycler
Mais comment les recycler ? Les experts s’accordent à dire que les chantiers de déconstruction sont les plus à mêmes de permettre une plus grande valorisation de la matière. Si l’on prend l’exemple de la démolition, les déchets sont mélangés et certains éléments sont difficilement séparables. « Il n’y pas de démolition, on casse tout, on aboutit à des matériaux différents aux qualités très hétérogènes », dit Mme Decreuse. « La déconstruction, c’est ce à quoi on veut tendre : retirer les éléments un à un pour aboutir à un matériau le plus pur possible pour un usage le plus proche de l’initial », ajoute-t-elle.Matthieu Dufeu, ingénieur R&D à la Coopérative Métropolitaine d’Entreprise Générale (CMEG), estime que la « préfabrication peut aider à la déconstruction et donc au recyclage de la matière, notamment au moment du découpage qui se voit facilité. On peut notamment créer des murets par la suite ».
Patrick Rougeau, directeur Matériaux et Technologie du Béton au Cerib, explique que pour se projeter vers l’avenir il faut « quitter la notion de matériau pour s’intéresser à la question du système constructif et donc à la meilleure façon d’assembler les matériaux. On intègre en amont ces réflexions pour réduire l’impact du tri. On peut alors imaginer une deuxième voire une troisième vie pour les éléments de structure ».
Il évoque également l’usage par certains industriels de co-produits : « Des industries utilisent les rebus de fabrication, les valorisent. Le concasseur transforme le béton en particules ».
Laurent Izoret, directeur délégué produits et applications, à l’Association Technique de l’Industrie des Liants Hydrauliques (ATILH) et représentant du projet national Recybéton évoque lui « le recyclage du béton resté dans la toupie et qui représente environ 3% de la production en volume absolu ». Il souligne qu’actuellement le béton non utilisé est déversé afin qu’il durcisse. Puis il est concassé afin de fabriquer des granulats. L’alternative serait de récupérer le béton resté dans la toupie et que dans les centrales, le béton soit délavé dans les bacs de décantation. « La pâte de ciment se dilue alors et les granulats sont récupérés, extraits comme dans leur gisement ».
Quel avenir pour le béton « recyclé »
Bien que la France dispose d’un gisement significatif de matériaux de déconstruction, Sophie Decreuse souligne que les permis de déconstruire n’existent pas dans toutes les communes. Par conséquent « on n’a pas d’entité de suivi. On a des résultats tous les 5 ou 10 ans », dit-elle. Mais pour ce qui est de matières premières, « je crois au développement des matériaux concassés, recyclés. On sait formuler des bétons », poursuit la spécialiste.De son côté Serge Favre insiste sur le fait que les granulats concassés « compliquent la formulation dans la fabrication du béton mais ils sont très maniables et résistants ».
Si l’on pense aux granulats recyclés, Laurent Izoret considère que l’on peut faire des « granulats fils et petits fils » bien que leur durée de vie soit limitée du fait de la pâte de ciment. Il souligne également le paradigme entre une déconstruction sélective et la volonté de développer des bétons qui durent bien plus de 50 ans. « On va dans les deux directions. La prédiction n’est pas aisée, les stratégies sont floues ».
Les éléments agro-sourcés et biosourcés
Patrick Rougeau s’interroge sur l’utilisation d’éléments agro-sourcés pour fabriquer du béton qui serait alors plus léger mais moins résistant. Par ailleurs, il nécessiterait plus de matrices cimentaires. « Il n’est pas question de remplacer le béton traditionnel qui a de beau jour devant lui. Faire appel à des co-produits industriels, c’est valoriser les déchets et les réintroduire dans le béton », dit-il ajoutant qu’il existe plusieurs niveaux de réutilisation de la matière selon les caractéristiques du produit.Laurent Izoret considère qu’il faut jouer sur la complémentarité des granulats. « Il faut prendre les matériaux biosourcés pour ce qu’ils sont. Les déchets de chanvre (par exemple) ont leurs propriétés thermiques. Ce sont des matériaux très complémentaires ». Le plus important étant de « contrôler la propriété des matériaux et leur composition » pour éviter les variations.
Alors un recyclage à 100%, c’est possible disent les experts mais pour cela il faut lever les freins psychologiques. « Par manque de connaissance, il y a la peur de voir se dégrader la qualité du béton » dit Mme Decreuse. Une inquiétude « légitime » selon M. Izoret qui rappelle que les entreprises sont soumises à des exigences de stabilité et de résistance mécanique. « Il ne faut pas brûler les étapes, on veut construire en toute sécurité. Les projets de recherche pré normative » peuvent aider à accélérer le tendance et à débloquer la situation.
D’un point de vue technique, les centres de concassage doivent être attentifs et ne pas mélanger des bétons de résistance et qualité différentes. Serge Favre rappelle qu’il y a aussi le problème « des particules fines qui absorbent l’eau et donc génèrent des pertes de résistance ».
« Mais la filière doit pouvoir se structurer : le concassage doit se faire selon les spécificités du béton pour ainsi contrôler la variabilité » conclut-il.
Rose Colombel
Photo de une : ©R.C