Que pensent les architectes de la RE2020 appliquée au tertiaire ?
Elle s’inscrit dans une action continue et progressive en faveur de bâtiments moins énergivores, la RE2020 concerne aussi le secteur du tertiaire. Un grand nombre d’architectes que nous avons rencontrés soutiennent cette réglementation. Ils se soucient de l’optimisation de la conception énergétique du bâti, de la limitation de la consommation d’énergie primaire mais aussi de l’impact des composants du bâtiment, tout comme les diverses recherches concernant les situations d’inconfort rencontrées en période estivale. Un bon nombre de préoccupations mises en application.
Complexité pour les uns, challenge pour les autres
Le décret de la RE2020 concernant le tertiaire est selon certains architectes « très prématuré ». En effet, de nombreuses petites structures ne sont pas préparées et certains architectes ne maîtrisent pas forcément le sujet. Malgré tout, la plupart des professionnels admettent qu’ils devraient en tenir compte et l’appliquer.
Nous avons sollicité les architectes Clémence Saubot et Baptiste Rouit de l’équipe de l’agence SRA architectes établie à Châtillon. Ils déclarent : « Pour nous, qui avons l’habitude de réaliser toujours des projets ambitieux et de grande échelle, c’est un défi majeur ». En effet, l’agence réfléchit depuis longtemps sur l’utilisation des enveloppes plus compactes, performantes et qui consomment moins. « Chez SRA, nous avons de la chance et on a été toujours accompagnés, nous remettons en question sans cesse les seuils », soulignent les architectes. Ce qui peut expliquer l’agilité de l’agence pour penser à toutes ces problématiques, et ce, dès la faisabilité d’un projet. Les architectes ajoutent qu’au sein de SRA, ils sont en train de lancer des formations en interne et comme l’agence travaille souvent en partenariat avec des agences d’architecture étrangères, il est nécessaire de maîtriser les dernières règlementations pour pouvoir mieux avancer. « Les agences étrangères sont curieuses de travailler de la sorte en appliquant les nouvelles règles françaises, qui ne sont pas en application chez eux », précisent les architectes.
Même son de cloche chez Arte Charpentier, où nous avons rencontré les architectes Raquel Milagres, Carole Azzi et Guillaume Delfesc qui soulignent que l’agence est soucieuse d’appliquer la RE2020 et le décret tertiaire, même si répondre favorablement à ces réglementations n’est pas facile. En effet, au sein de l’agence où règne une très bonne entente, l’échange est instauré entre les collaborateurs pour que tous les projets avancent ensemble dans un esprit collégial et collectif. « Lors de la promulgation de la RE2020 et du décret tertiaire, l’agence a souhaité former tout le monde », précise Raquel Milagres.
De son côté, Thomas Richez, fondateur de Richez & Associés, déclare qu’il s’agit d’un sujet complexe car la notion de « consommation » peut changer selon les comportements des usagers.
La RE2020 et le rôle de l’architecte
Avec la RE2020 vis-à-vis du tertiaire, les architectes sont directement concernés. Réduire le bilan carbone, étudier la meilleure orientation d’une construction, réfléchir à la forme du bâtiment et à sa compacité, décider de l’étalement d’un édifice, ce sont des questions fondamentales auxquelles il faudrait, selon les architectes de SRA, trouver des réponses adéquates. « Nous nous retrouvons responsables de problématiques que l’on a beaucoup déléguées aux ingénieurs », déclare Baptiste Rouit. En effet, il est permis de se demander si, en présence de toutes ces réglementations qui nécessitent de plus en plus de connaissances techniques, le rôle de l’architecte ne serait pas fondamentalement bousculé ? Tout le monde est d’accord pour dire que l’exercice de l’architecture n’a cessé d’évoluer. Raquel Milagres précise que depuis les années 2000 et plus particulièrement depuis 2005, l’organigramme d’un projet a subi moult changements. « Avant l’architecte était le chef d’orchestre », ajoute Carole Azzi, d’Arte Charpentier. « Aujourd’hui, il doit composer avec les exigences thermiques, énergétiques, environnementales, tout en veillant à produire une architecture sensée ». D’autres professionnels ressentent les mêmes craintes et précisent qu’un projet architectural est une réalisation globale et non pas uniquement une réponse à quelques décrets. En conséquence, il s’agit d’une mission impossible pour les uns et très difficile pour les autres. Pour cela, selon de nombreux spécialistes, des changements doivent s’opérer au sein même des agences d’architecture mais aussi au niveau des porteurs des réglementations. « C’est une formation continue », conclue Raquel Milagres.
Vers des nouveaux matériaux ?
Surtout des matériaux qui consomment moins, selon certains architectes. Cela est possible à travers la recherche et la capacité de quelques industriels d’engendrer un grand nombre d’éléments répondant à une utilisation à l’échelle industrielle. Tandis qu’un certain nombre d’architectes exhorte les constructions tout-bois, d’autres sont plus nuancés et proposent des solutions mixtes. Chez Arte Charpentier par exemple, les architectes sont sensibilisés à l’utilisation « du bon matériau au bon endroit ». D’ailleurs l’agence vient de livrer un projet neuf mixte qui a utilisé le bois et le béton et elle est en train de finaliser un autre projet de réhabilitation et extension où l’utilisation du métal en renfort au bois et au béton constituait la solution la plus sensée. Mais est-ce qu’il existe un métal bas carbone ? Les architectes répondent qu’effectivement il existe deux fournisseurs sur le marché. Le coût financier d’un projet couplé à son coût environnemental est un critère à prendre en considération dès le départ d’où l’importance d’une formation et d’une maîtrise des réglementations.
Par ailleurs, selon les architectes de SRA, « La RE2020 est compliquée pour les petites structures mais le défi est grand, le métier d’architecte va évoluer. Surtout quand la construction neuve et les matériaux se font rares, c’est passionnant de trouver des alternatives ». Ainsi, dans leur partie R&D, les architectes posent sans cesse cette question : comment faire pour passer d’un parement en brique pour une extension et l’appliquer sur un projet de grande échelle ou industriel ? Atteindre le seuil de la RE2020 est certes difficile, mais l’agence est consciente qu’il faut s’engager à le faire. « On va chercher de nouveaux processus et trouver des matériaux qui correspondent au bilan carbone demandé mais fabriqués en grande quantité », ajoutent les architectes qui viennent de réaliser leur premier projet mixte à Paris. « On explore aujourd’hui, le bois dans le tertiaire, nous avons réalisé un projet mixte en bois et en béton, c’est une première expérience pour l’agence qui a l’habitude de travailler surtout le béton ». Néanmoins, le principal sujet reste la hauteur sous plafond dans les bureaux sans parler des problèmes acoustiques et de la mentalité des instigateurs ou des usagers à faire évoluer. C’est un changement de paradigme selon les architectes. Cependant une chose est incompréhensible, « la préfecture de Police de Paris au travers de la doctrine bois, a mis des réserves sur le bois apparent, l’encapsuler pour mieux répondre aux problèmes de sécurité c’est augmenter son bilan carbone », ajoutent ces derniers.
Ainsi, de nombreux architectes sont dans l’attente de voir évoluer la RE2020 dans le tertiaire qui, selon eux, est contradictoire avec certaines réglementations. L’architecte Thomas Richez qui est de cet avis, vient de signer une tribune collective pointant vers la réglementation incendie qui met, selon plus de 600 signataires, en péril la construction bas carbone. Trop de réglementation tue la réglementation ? En tout cas, cela semble éloigner sensiblement du but recherché. A moins que des changements s’opèrent et des évolutions se forment.
Sipane Hoh
Photo de Une : MVRDV, Ossip van Duivenbode