Malgré un boom du solaire photovoltaïque en France, des freins restent à lever
En 2022, la crise énergétique et la hausse des prix des énergies ont été un accélérateur pour les énergies renouvelables. En France, la demande d’installation de panneaux photovoltaïques a notamment doublé dans le résidentiel, souligne Enerplan, syndicat des professionnels de l’énergie solaire.
Une pénurie de formations, de formateurs, et d’installateurs
Dans ce contexte, et alors que la croissance devrait se poursuivre les années à venir, Enerplan souligne la nécessité de doubler le nombre d’installateurs par an pour suivre le rythme.
« Je pense que le développement du marché dépend beaucoup du nombre d'entreprises d’installation qui sont capables de répondre à la demande. Aujourd'hui, en Île-de-France, on va manquer d'installateurs de systèmes solaires par rapport à la demande. On a une région qui est très peuplée, très résidentielle, et néanmoins assez peu solarisée faute d'entreprises qui font des installations solaires », regrette Richard Loyen, délégué général d’Enerplan. « Le facteur limitant du marché, c’est le nombre d'entreprises qui sont capables de réaliser des installations », résume-t-il.
Mais pour trouver des installateurs compétents, encore faut-il qu’ils soient d’abord formés. Or, selon Enerplan, il y aurait également une pénurie de formations et de formateurs. « Tous les centres de formation sont quasiment pleins. Aujourd’hui, le goulot d'étranglement pour multiplier ce type de formations, c’est le nombre de formateurs. Sur la dernière session de validation des formateurs de Qualit’EnR, il y en a 10 qui ont passé l'examen, et seulement 3 ou 4 qui ont été reçus. On a besoin aujourd’hui de former des formateurs pour pouvoir multiplier des formations qui s’adressent à des personnes du génie climatique, de l’électricité et de la couverture, pour qu’ils acquièrent la compétence solaire », insiste le délégué général d’Enerplan.
« Côté formation, il n'y a quasiment plus de places disponibles », confirme de son côté André Joffre, président de Qualit’EnR.
La France toujours en retard face à d’autres voisins européens
Par ailleurs, malgré ce doublement de la demande en panneaux photovoltaïques, Jean Rosado, directeur général d’Otovo France, souligne que la France reste très en retard face à certains de ses voisins européens.
« Ce qu’il est intéressant de souligner, c’est aussi le retard du marché français sur le photovoltaïque résidentiel. On estime qu'il y a 1 maison sur 50 qui est équipée en France, donc très peu, c'est 2 % d’ordre de grandeur. Alors que dans des pays comme les Pays-Bas, on estime que c'est 1 maison sur 4, soit 25 % », précise le directeur général d’Otovo France, qui ajoute que les marchés les plus matures sont l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas, « des pays pas exactement connus pour leur ensoleillement ». « Personnellement, je pense qu'il y a un effet voisinage. Je pense que c’est pour cela qu’il y a une forte demande dans les régions transfrontalières qui sont proches de marchés matures », poursuit-il.
Selon lui, le potentiel du marché français reste gigantesque, alors que sur les 15 à 20 millions de maisons individuelles en France, seules 2 % seraient équipées de panneaux photovoltaïques.
Côté logement collectif, le développement reste contraint par la lenteur des prises de décisions en copropriétés. « C'est un point sensible car les copropriétés, c'est quelque chose qu’on maîtrise. On sait par exemple traiter le cas où un ou plusieurs logements ne souhaiteraient pas en bénéficier. Mais les syndics ne sont pas forcément très au courant de ces procédures, et quand ils ne connaissent pas, ils ont tendance à s'abstenir », constate le président de Qualit’EnR.
« La question, c’est aussi "est-ce que les copropriétaires bailleurs vont pouvoir répercuter une partie de l’investissement aux locataires ?" », note de son côté le délégué général d’Enerplan.
Le bouclier tarifaire, un frein au développement des énergies renouvelables ?
Parmi les freins ayant pu limiter le développement des énergies renouvelables en 2022 : le bouclier tarifaire. Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a récemment annoncé qu’il serait d’ailleurs prolongé jusqu’en 2025 pour l’électricité, mais qu’il devrait prendre fin pour le gaz.
« Nous avons un marché français qui a la spécificité d’être limité par le bouclier tarifaire. Si on avait pris les mêmes augmentations que les Hollandais ou les Belges, je pense qu'on aurait installé beaucoup plus de panneaux solaires. Aujourd'hui, le reproche que la profession fait aux pouvoirs publics, c'est le manque de communication pour inciter à être sobre et produire son énergie », regrette le délégué général d’Enerplan.
Pour le directeur général d’Otovo France, le bouclier tarifaire constitue une mesure à court terme, alors qu’augmenter le soutien aux énergies renouvelables serait plus efficace sur le long terme : « On investit beaucoup d’argent pour limiter le poids des factures d’électricité avec le bouclier tarifaire. Malheureusement cette mesure n’a pas été accompagnée d’aides supplémentaires pour encourager l’équipement. Le bouclier tarifaire c’est une solution à court terme, qui va disparaître petit à petit, alors qu’équiper les maisons individuelles en solaire, c’est une réponse immédiate », estime-t-il.
La complexité administrative, « l’exception française »
Autres freins : la complexité des démarches administratives, avec des plans locaux d’urbanisme (PLU) parfois contraignants, et l’avis des Architectes des Bâtiments de France (ABF), pouvant restreindre le déploiement du photovoltaïque.
« Il y a certains plans locaux d’urbanisme (PLU) qui n’ont jamais été mis à jour et qui imposent des restrictions qui nous laissent parfois perplexes, comme par exemple "les panneaux solaires ne peuvent pas être visibles depuis la rue". Ce genre de règles nous paraît en décalage avec l’urgence énergétique de s’équiper. La bonne nouvelle, c’est que la plupart des municipalités sont justement en train de mettre à jour leur PLU, donc ces restrictions disparaissent peu à peu, mais elles existent encore », observe Jean Rosado.
« Il y a également toujours l'avis des Architectes des Bâtiments de France (ABF), en particulier quand on désire installer des panneaux photovoltaïques près de monuments classés, or, la moindre église en France est classée. Ce n'est pas systématique, bien évidemment, mais cela fait aussi partie des aléas et des difficultés administratives qui n’incitent pas les Français à s’équiper. Encore une fois, c’est l’exception française », ajoute-t-il.
Plus de soutien attendu à travers les aides et réglementations
Afin d’accélérer encore plus le développement du solaire en France, Enerplan et Otovo appellent à soutenir encore davantage le solaire, que ce soit à travers une TVA à taux réduit pour le photovoltaïque, plus d’aides MaPrimeRénov’ pour le solaire thermique, ou encore une revalorisation du chauffage solaire et du photovoltaïque dans la RE2020.
« La Commission européenne a mis en place des dispositifs l'année dernière pour autoriser des taux de TVA réduits jusqu’à 0 % afin d’encourager le solaire chez les particuliers. Ce sont des mesures qui ont été mises en place en Allemagne et aux Pays-Bas pour favoriser le solaire. On peut regretter que l’État français n’ait pas choisi de saisir cette opportunité, qu’on ait gardé notre même système. Il y a une réduction de TVA pour les petites installations de moins de trois kilowatts crête, pour lesquelles on ne paie que 10 %, et on paie 20 % après 8 panneaux », déplore notamment le directeur général d’Otovo France.
Pour Enerplan, le combat consiste surtout à défendre la place du chauffage solaire et du photovoltaïque dans la RE2020 - qualifiée d’« anti-solaire » - mais aussi dans les réglementations futures.
« Sur le chauffage solaire, on a un moteur de calculs qui dévalorise par deux ou par trois la performance par rapport à ce qu’on rencontre dans la vie réelle. Donc on mettra plutôt une pompe à chaleur qu’un chauffage solaire. Sur le chauffage solaire, on discute depuis 9 mois. On espère que le CSTB va étudier les données qu’on lui a envoyées, et une revalorisation du chauffage solaire dans le courant de l’année. Sur le photovoltaïque, c’est un peu plus compliqué. On va voir ce qui ressort avec des labels pour aller au-delà de la RE2020 », explique le délégué général.
Côté MaPrimeRénov’, Richard Loyen précise qu’un coup de pouce pour le chauffage solaire a été mis en place depuis le début de l’année, permettant désormais aux classes moyennes et supérieures d’en bénéficier.
Autre nouveauté : la prime à l’autoconsommation, désormais versée en intégralité dès la première année, au lieu d’une fois par an pendant 5 ans.
« Pour des installations entre 3 et 9 kilowatts, c’est 320 € par kilowatt, donc cela fait à peu près 1 000 €. Avant ces 1 000 € étaient versés sur 5 ans, donc 200 € tous les ans. Ils ont trouvé que c'était un peu idiot parce que quand on achète une installation, on a besoin de l'argent au moment où on l'achète, pas 5 ans plus tard, donc ils ont accepté de verser la totalité de l'aide dès la première année », détaille le président de Qualit’EnR.
Si le photovoltaïque est désormais bien connu du grand public, le président de Qualit’EnR regrette qu’il n’en soit pas de même pour le solaire thermique, et notamment pour le chauffe-eau solaire. « Avec le chauffe-eau solaire, la vraie difficulté, c’est que ça n’est techniquement pas connu. C’est moins "sexy" de faire du thermique que de faire du photovoltaïque », note-t-il.
Concernant la question du recyclage des panneaux photovoltaïques, Enerplan et Otovo rappellent qu’il s’agit d’une des rares industries à avoir mis en place une filière de recyclage dès ses débuts, bien que les volumes restent aujourd’hui encore faibles car les premiers panneaux installés en 2006 ne seront recyclés qu’à partir de 2030.
« Il faut savoir qu’un panneau solaire est recyclable à environ 95 %. Mais comme les panneaux solaires ont des durées de vie de 30 ans, pour l'instant on n'a pas encore forcément des volumes qui sont qui sont significatifs sur le sujet », conclut le DG d’Otovo.
Propos recueillis par Claire Lemonnier
Photo de une : Adobe Stock