Le photovoltaïque français à la peine ?
Mais qui freine la filière solaire française ? EDF, l’État, la Chine ? Un peu les trois en fait... Notre opérateur historique, qui joue un rôle ambigu, va devoir - via son rôle de gestionnaire - laisser la place à de nouveaux entrants. « EDF a été entre 2006 et aujourd'hui le principal bénéficiaire du marché photovoltaïque, avec quasiment 30% de la puissance installée », estime Marco Caputo, président de Sunvie.
2008/2009 : le Far West
Durant cet âge d'or, l'électricien aurait usé de méthodes un peu limites, se dispensant des règles appliquées aux autres acteurs, avec des centrales construites sans permis, des demandes de raccordement sans attribution d'appel d'offres, ou des raccordements accordées après le moratoire...
« EDF a pu être un frein au développement de la filière mais ce n'est plus le cas aujourd'hui », complète Yves Hamel. « Il faut se replacer dans le contexte de 2008/2009, c'était le Far West ! On ne peut donc pas blâmer EDF plus que les autres, même si la longue liste d'attente qui a conduit au moratoire était en partie liée à des projets hors ERDF ». Et du dernier appel d'offres qui constitue les 500 MW à venir dans les six prochains mois, EDF n'a récolté qu'une partie minime.
Un marché trop lucratif
Quant au rôle de l’État, on a assez parlé de l'instabilité créée par les changements intempestifs des tarifs de rachats. « On est passé d'un tarif très intéressant entre 2008 et 2010 à 33 centimes d'euros brutalement à 12 centimes puis 10,5 centimes aujourd'hui », rappelle Stéphane Desmet, responsable de projets Eosol. « Les tarifs étaient peut-être trop hauts à la base, le secteur trop rentable, lucratif, donc spéculatif », poursuit-il.
Malheureusement, l'après-moratoire n'a pas été plus brillant. Avec des appels d'offres portant sur des quotas trop faibles, ce sont 4000 dossiers qui ont été déposés, pour "seulement" 500 MW proposés. Beaucoup de demandes, peu de servis... Sans compter qu'il s'est passé un an et demi entre la fin du moratoire et la désignation des premiers lauréats à l'appel d'offres. Entre temps : des entreprises en défaut, contraintes parfois de cesser leurs activités.
Un raccordement trop long
La procédure de raccordement, souvent pointée du doigt, grève aussi la filière. « Il faut compter trois mois pour la proposition technique et financière et six mois de plus pour finaliser le dossier. Dans d'autres pays, cela peut se faire en quelques semaines », rappelle Marco Caputo. « Mais ERDF s'occupe de tout alors qu'ailleurs on doit gérer certaines choses », nuance Stéphane Desmet. Qui reconnaît « des coûts parfois exagérés ». ERDF se repaierait-il un réseau sur le dos des producteurs ?
Dans certains cas, des centrales terminées doivent attendre six à douze mois de plus avant d'être raccordées. Alors pourquoi imposer aux centrales d'être achevées en six à huit mois ? « Il faudrait pouvoir caler le planning de travaux sur les délais de raccordement. ERDF est victime du nombre de projets en cours de demande. Les postes sources, autour desquels les projets sont regroupés, sont en saturation. Et on paie pour ça », constate le responsable de projets Eosol.
Une valeur ajoutée non délocalisable
La concurrence chinoise, faux problème ? « L’Europe a certes perdu la bataille du manufacturing. La raison est celle des effets d'échelle : il faut pouvoir acheter les matières premières en fort volume. Il aurait pu y avoir des champions européens mais chaque pays a joué dans son coin. Il n'y a pas de filière européenne », constate Yves Hamel. « Mais n'oublions pas qu'aujourd'hui 70% de la valeur ajoutée est produite en Europe, avec les installateurs, les gestionnaires de parc solaires, notamment »
« Avoir de la concurrence est intéressant, cela peut réveiller les marchés », estime Marco Caputo. « 60% de la capacité installée est chinoise, les panneaux européens sont fabriqués en Chine. EDF et GDF ont été les premiers à signer des contrats avec les Chinois. Les grands groupes auraient pu montrer l'exemple et n'acheter que des panneaux français. Ils ne l'ont pas fait », déplore-t-il.
La France aurait pu être un champion mondial si l'investissement avait été concentré sur le silicium. La grande diversité de technologies investies par la recherche (silicium amorphe, couches minces...) aurait-elle freiné à son tour le développement de la filière photovoltaïque française ?
Des perspectives intéressantes en 2013
Que manque-t-il à la filière pour pouvoir se développer sérieusement ? « Il faudrait un tarif d'achat plus élevé, avec une exigence de matériel européen, des appels d'offres plus rapprochés avec de plus gros quotas, des délais d'instruction raccourcis », résume Stéphane Desmet. En résumé, la filière a "juste" besoin d'un cadre stable. Les entreprises doivent avoir des certitudes à plus de six mois, si on veut qu'elles continuent d'investir.
« Ça commence à devenir difficile d'avoir une rentabilité adéquate », ajoute encore le responsable Eosol. « Les exploitants prennent des risques, des centrales low-cost apparaissent ». Son partenaire de Canadian Solar est optimiste : « 2013 devrait marquer un tournant, une consolidation, avec des rachats, une concentration des acteurs, et un retour à des tarifs réels », prévoit Yves Hamel, qui voit déjà des acteurs financiers réapparaître sur le marché, après avoir disparu en 2011.
Pour accompagner ce développement, un second souffle pourrait venir des solutions de stockage d'énergie, pour palier à l’intermittence de cette énergie naturelle. « Ceux qui proposeront des solutions abordables pourront prendre des parts de marché », pense Yves Hamel, qui milite pour que les centres de R&D européens mutualisent leurs compétences en un endroit unique, à l'image de ce qui s'est fait dans la filière micro-électronique à Louvain (Belgique).
La répartition du coût d'une centrale 30 % : les panneaux photovoltaïques 30 % : les équipements électriques (onduleurs, transformateurs, automatismes) 40 % : le montage, la structure, le génie civil, les câblages... Photos : Centrale « Le Petit-Chataignier », La Génétouze (Charentes-Maritimes) EOSOL / Canadian Solar |
Texte et photos : Laurent Perrin