Gouvernement Borne : quelles craintes pour la décarbonation du bâtiment ?
Lundi 16 mai, Elisabeth Borne était officiellement nommée Première ministre. Ce vendredi, elle révélait son nouveau gouvernement, mettant fin à quatre jours de suspense.
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Première surprise de ce remaniement : la nomination d’Amélie de Montchalin au ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, ainsi que d’Agnès Pannier-Runacher à celui de la Transition énergétique. Or, les deux nouvelles ministres - qui devront collaborer avec la Première ministre, chargée de la planification écologique et énergétique -, n’ont pas forcément le profil de l’emploi.
Amélie de Montchalin et Agnès Pannier-Runacher, des profils plus économiques qu’écologiques
Diplômée en Économie appliquée à l’Université Paris-Dauphine, Amélie de Montchalin décroche son Master en Économie au sein de HEC en 2009. Un bagage qui lui ouvre les portes d’Exane BNP Paris, qu’elle quitte pour suivre et obtenir, en 2014, un Master en Administration publiques et politiques, à l’université de Havard.
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Ce n’est qu’après avoir été travaillé sein du groupe Axa, entre 2014 et 2017, qu’Amélie de Montchalin franchit véritablement le seuil de la fonction publique. En effet, suite aux législatives 2017, elle est élue députée LREM de la sixième circonscription de l’Essonne à l’Assemblée nationale. De 2019 à 2020, elle occupe, au sein du gouvernement, le poste de Secrétaire d'État chargée des Affaires européennes, avant de devenir ministre de la Transformation et de la Fonction publique.
Parcours à peu près similaire du côté d’Agnès Pannier-Runacher, qui passe d’abord par les bancs de Sciences Po et de HEC, avant d'être diplômée de l'ENA en 2000. Sa carrière dans la fonction publique commence en 2003, en qualité de directrice de Cabinet de la directrice générale de l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris.
La Caisse des dépôts lui confie en 2006 la fonction de directrice adjointe Finances et stratégie, qu’elle quitte en 2009 pour assurer la fonction de directrice et membre exécutive du bureau du Fonds Stratégique d'Investissement. Agnès Pannier-Runacher bascule dès 2011 dans l’industrie. D’abord dans l’automobile, chez Faurecia Interior System, chez le spécialiste de l’industrie gazière et pétrolière Bourbon, puis chez l’entreprise de nettoyage Elis, de 2014 à 2018.
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Son expérience des entreprises et de l’industrie a été son sésame pour accéder au ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, où elle débute en tant que secrétaire d’État entre 2018 et 2020. C’est d’ailleurs à ce poste, qu’Agnès Pannier-Runacher défendait la stratégie nationale pour l’artisanat et le commerce de proximité, la réforme du CITE, ainsi que la lutte contre les fraudes à la rénovation énergétique. En 2020, elle est nommée Ministre déléguée chargée de l’Industrie. Elle participe au projet d'une réindustrialisation affichée verte et décarbonée, mesure au cœur du plan de relance.
Certes, ce nouveau duo ministériel a fait ses armes dans le monde financier et économique. Toutefois, cela ne l’empêche pas de se prononcer sur leurs objectifs en termes de transition écologique et énergétique.
D’un côté, Amélie de Montchalin vise « la transition écologique et la cohésion des territoires, sans jamais les opposer ». L’objectif « neutralité carbone en 2050 » reste en ligne de mire, selon l’AFP, décliné en différentes feuilles de route (logement, transports, industrie, tertiaire, déchets).
De l’autre, Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique, a identifié trois « défis majeurs » pour son mandat. Le premier : « protéger notre planète », par le mix énergétique qu'Emmanuel Macron défendait en février dernier.
De quoi enthousiasmer la filière nucléaire, « qui va participer à la réindustrialisation de la France, un sujet sur lequel [Agnès Pannier-Runacher] a beaucoup travaillé avec Bruno Le Maire dans le cadre de son précédent mandat », se réjouit à l’AFP, Cécile Arbouille, déléguée générale du Groupement des industriels français de l'industrie nucléaire (GIFEN). Pour ce qui est de la parti des énergies renouvelables dans ce mix énergétique : « il faudra veiller à ce que ces deux ministères collaborent, et quelle relation ils auront avec le ministère de l'Economie», tempère, toujours auprès de l’AFP, Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER).
Selon la ministre de la Transition énergétique, il faut « renforcer la souveraineté énergétique et industrielle » de la France, tout en protégeant « le pouvoir d'achat des Français et la compétitivité des entreprises », avec pour objectif de contenir la hausse des prix de l'énergie et de permettre aux Français de s'équiper pour faire la transition. Deux priorités donc, face à la dépendance au gaz russe et la disparation progressive du fioul.
Pas de ministre du Logement, « une belle claque » pour la FFC
Alors que la nomination des deux nouvelles ministres chargées de la planification écologique et énergétique reçoit un accueil mitigé, l’absence d’un ministère du Logement, lui, provoque une réaction unanime dans le bâtiment. L’habitat sera effectivement une des thématiques couvertes par le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, parmi l’aménagement et la cohésion du territoire, l'urbanisme, les transports, ainsi que la protection de la nature et de la biodiversité.
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La Fédération Française des Constructeurs de maisons individuelles (FFC), n’a pas tardé à « faire part de sa stupéfaction », suite à cette nouvelle, ce vendredi 20 mai. « Nous avions bien conscience que l’accession à la propriété et le logement en général n’étaient pas une priorité du premier quinquennat mais là c’est une belle claque ! », s’indigne son président Damien Hereng. « Au moment où le besoin de logement sous toutes ses formes n’a jamais été aussi élevé, au moment où le secteur est très fortement perturbé par des hausses incroyables des matériaux de construction, la réponse est le désintérêt affiché », abonde la fédération.
La FNAIM, l’UNIS et l’association Plurience, eux aussi, regrettent « que le logement n’apparaisse pas dans les priorités affichées, ne faisant l’objet d’aucun portefeuille spécifique ».
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« Il est à rappeler que dans le mandat précédent, l’Etat a placé des contraintes fortes, à très court terme, sur le parc locatif, et donc sur les bailleurs : la rénovation énergétique. Mais les débats du moment démontrent qu’une politique du Logement ne se résume pas à la rénovation énergétique », soulignent les organisations dans un communiqué ce lundi, faisant allusion aux dépenses des ménages associés au logement. Les représentants craignent derrière un gel de l’indice de référence des loyers, « qui permet au bailleur de corriger, avec un certain décalage, l’érosion de la valeur de ses revenus liée à l’inflation ».
En plus des locataires, les « bailleurs particuliers sont également affectés dans leurs revenus, d’une part par l’augmentation de leurs dépenses quotidiennes de ménages, telles les dépenses d’énergie et de mobilité, comme tout un chacun, et d’autre part, par l’augmentation de leurs charges de propriétaires, telles les hausses conséquentes – et qui vont se poursuivre – de la taxe foncière (à l’inverse des locataires qui se sont vu supprimer la taxe d’habitation) ou les dépenses d’entretien de leur patrimoine. Le tout, sans parler de l’exigeant, indispensable et coûteux chantier de la rénovation énergétique du parc locatif, qui doit être mené dans les six prochaines années, dans ce même contexte d’inflation », alertent la FNAIM, l’UNIS et l’association Plurience.
Le Conseil national de l’Ordre des architectes (CNOA), aurait aimé également que le logement conserve son ministère de plein exercice. Pour Christine Leconte, présidente du CNOA : « Agir face à la pénurie des ressources et à l’adaptation de nos villes au changement climatique n’est plus une option. Mieux loger nos concitoyens, et anticiper le vieillissement de la population doit être pris en compte sans attendre ».
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« La création architecturale est une solution au service des habitants trop peu exploitées par les décideurs publics et donc, par voie de conséquence, peu mis en œuvre à grande échelle : concevoir de bâtiments plus sobres en énergie et en matière, rénover dans le respect du patrimoine, réimaginer à partir de l’existant, penser au confort d’été dans nos villes et dans nos logements demande un soutien politique fort face à des pratiques obsolètes, trop installées », soutient-elle.
D’où l’urgence, selon le représentant des architectes, de s’entretenir avec les ministères liés aux questions architecturales (Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Transition énergétique, Culture et Collectivités territoriales). Le but de cet échange ? Exposer les lignes du plaidoyer du CNOA, intitulé « Habitats, Villes, Territoires. L’architecture comme solution ».
Plaidoyer qui avance de nombreux chantiers prioritaires : « assurer le développement mieux équilibré des territoires », « passer d’une politique du logement à une politique de l’habitat », « donner la priorité à la réhabilitation », « accompagner le changement des pratiques dans la filière du bâtiment et de l’architecture face au changement climatique » ainsi que « décarboner la construction par le développement de nouvelles filières de matériaux et le réemploi ».
Cependant, Olivia Grégoire, nouvelle porte-parole du gouvernement, annonçait ce lundi l'attribution prochaine de portefeuilles dédiés au logement et aux transports.
« Il y aura très certainement de nouvelles personnalités au sein du gouvernement spécifiquement dédiées par exemple aux transports, au logement, sous la supervision de la ministre Amélie de Montchalin directement placée sous la Première ministre », ajoute l'intéressée, à l'issue du premier Conseil des ministres du gouvernement d'Elisabeth Borne, en précisant que le gouvernement sera complet après les élections législatives, prévues en juin.
Virginie Kroun
Photo de Une : Twitter @Ecologie_Gouv