Croissance durable : quels défis pour les industries de l’habitat ?
En introduction de la traditionnelle journée organisée par l’association des Industriels du nouvel habitat (Inoha), Jean-Marc Jancovici, co-directeur du think tank Shift Projet, déroulait son plan de décarbonation des industries du secteur. Une urgence avec laquelle s’accorde Claire Chabrier, présidente de France Invest. « On parlait d’ESG et de RSE, nous les investisseurs, y compris les entreprises. Mais c’était souvent un sujet à côté. Un sujet de RSE aujourd’hui, ça ne l’est plus et ça ne doit plus l’être. Ça doit être un sujet porté à tous les niveaux dans l’entreprise », appuie-t-elle.
« En revanche la décarbonation, ça va être très coûteux. On parle de 60 millards d’euros par an. (…) Ces 60 milliards d’euros vont être portés par les particuliers et par les entreprises. (…) Pour financer cette décarbonation il va falloir de la croissance. De la croissance durable, certes, mais pas de la décroissance. Parce qu’il va falloir financer l’innovation et il va falloir aussi financer ces fameux plans de décarbonation », nuance-t-elle.
Mais quels défis cache la décarbonation de ces industries ? C’est l’objet d’une discussion entre la présidente de France Invest et autres acteurs de la filière, à l’occasion de la journée Inoha.
Accompagner les industries dans leur décarbonation
Sans surprise : le premier défi qui se dessine lors de la discussion : c’est l’accompagnement des entreprises fabricantes.
« Ce qu’on souhaite, c’est que les entreprises s’inscrivent dans un parcours de transition bas carbone, quelque soit le niveau de maturité », souligne Édouard Fourdrin, coordinateur ACT France de l’Agence de la transition énergétique (Ademe). Le dispositif propose différentes approches - dont une pas à pas pour les entreprises à petits moyens - afin d’outiller les industriels dans leur stratégie bas carbone. L’essentiel, c’est le fabricant suive cet ordre : connaître les émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble des SCOP, puis s’inscrire dans une démarche de stratégie bas carbone.
De quoi encourager Florent Fochesato, directeur du groupe HBF, entreprise intermédiaire spécialisée dans les solutions électriques et numériques, sur sa démarche RSE lancée en 2019. Depuis octobre dernier, le fabricant s’implique d’un audit carbone. « Nous n’avions pas prévu de démarrer un audit carbone cette année, par contre nous avons totalement été séduits par la proposition d’accompagnement d’Inoha », raconte Florent Fochesato.
Inoha enrichit son dispositif d’accompagnement à la transition bas carbone
Fin septembre, l’association Inoha lançait son parcours de décarbonation des entreprises, accompagnant cinq adhérents sur tout le dernier trimestre 2022. Ce premier groupe devrait avoir terminé son évaluation carbone et débuté la définition de son plan de décarbonation d’ici le 1er trimestre 2023. Date à laquelle les fabricants devront poursuivre ledit plan de décarbonation tandis qu’un second groupe d’adhérents devrait amorcé leur parcours. En parallèle, Inoha continue de parfaire kit réglementaire RSE, agrégat de réglementations françaises et européens complexes. L’association a donc tenu a produire des fiches « claires et synthétiques » à l’échelle de l’adhérent industriel. « Elles sont réactualisées au fur et à mesure de l’actualité réglementaire. (…) J’enrichis même avec des questions que vous pouvez me remontez, souvent par e-mail. Car ce sont ces questions-là qui font penser que telle chose n’est pas assez claires, que vous avez besoin de telle information sur tel sujet », détaille Delphine de Labarrière, responsable RSE d’Inoha. Disponibles via l’extranet d’Inoha, les fiches traitent différents sujets : taxinomie verte, emballage plastique, économie circulaire… |
Si l’accompagnement est de mise chez les petits fabricants, qu’en est-il des grosses pointures comme Weber France, dont 90 % de l’impact carbone vient du SCOP 3, associé aux matières premières (sable, résine, ciment). Le filiale de Saint-Gobain révélait en mai sa stratégie bas carbone reposant sur trois piliers.
« La première c’est décarboner notre offre existante - donc c’est là-dessus qu’on travaille avec nos fournisseurs . La deuxième c’est travailler sur la façon dont on produit - et là on a des enjeux pour générer moins de déchets : utiliser moins de plastique dans les emballages, moins d’énergie… Alors on n’est pas une industrie très énergivore chez Weber, car on mélange et on sèche très peu - il y a juste un site où on sèche. Néanmoins on est déjà passé à 100 % en électricité verte », développe Marine Charles, directrice générale de Weber France.
« Et puis le troisième pilier de la stratégie c’est les nouveaux modes constructifs. Donc c’est comment faire en sorte qu’on puisse d’appliquer de l’enduit de façade, de faire de l’isolation thermique par l’extérieur sur des nouveaux modes constructifs qui sont en bois, en chanvre, en terre crue; etc. », complète-t-elle, évoquant la R&D autour de l’usage du cendre ou du sable recyclé dans les formules de ciment.
Question toutefois : est-ce que l’inflation risque de repousser la dynamique ? « C’est évidemment la tendance, c’est ce qu’on a dans les entreprises qu’on accompagne. C’est d’ailleurs une réaction plutôt saine, à regarder à court-terme », reconnaît Claire Chabrier. « Dans les entreprises qu’on accompagne, c’était l’idée qu’on avait en cette fin d’année et on voit dans les prévisions de Capex 2023, que finalement, face à la crise énergétique et aux très fortes hausses du coût de l’énergie, ça peut dans certains secteurs accélérer la décision de Capex vert », observe-t-elle en parallèle.
Harmoniser les obligations des transparence
« Le distributeur a un rôle vraiment central et fait l’interface entre des producteurs - des entreprises qui mettent sur le marché et les consommateurs - qui vont utiliser ces produits-là », rappelle Edouard Fourdrin.
Leroy Merlin, bien que GSB, s’inscrit dans la démarche d’une manière qui pour inspirer les distributeurs professionnels, entre récolte de data et analyse de la chaîne de valeur. « On travaille avec les fournisseurs à identifier les gros cailloux et les priorités. On est partis également sur des choix assez radicaux et assumés de se fixer des cibles ambitieuses et des mix de ventes. Par exemple : arrêter les chaudières au fioul, arrêter le glyphosate en 2009, arrêter les radiateurs grille-pain, et les parasols chauffants récemment », explique Sandrine Le Deit, leader de la Stratégie Métier et Offre chez Leroy Merlin.
Le géant du bricolage se dote d’outils d’analyse afin d’inclure un vaste outil de diagnostic de l’offre, qui « ne prend en compte que les enjeux de carbone mais aussi les enjeux environnementaux et sociétaux », précise Sandrine Le Deit. Le but ? Établir un scoring avec les fournisseurs et identifier communément l’écosystème et faire du GSB un tiers de confiance, affichant sa page de produits dits « engagés ».
Gare cependant à ne pas se perdre dans une transparence chronophage et éparpillée, selon Florent Fochesato. « Notre métier en tant que fabricants ce n’est pas tant de remplir des fichiers Excel et d’être que dans les audits. Sur le côté RSE , il y a pléthore de labels de certifications, à cela s’ajoutent les demandes de nos clients de remplir encore des fichiers Excel, de participer à des questionnaires, à faire audits, à assister à des wébinaires sur ces sujets-là. On a beaucoup de demandes. Et en plus de ces demandes on a des clients qui se lancent dans des demandes propres avec leurs propres critères d’analyse de RSE et aujourd’hui ça nous coûte du temps », soulève le directeur du groupe HBF.
D’où l’intérêt selon lui d’ « harmoniser la démarche dans une approche filière ». « On assume le côté gourmandise de data », admet Sandrine Le Deit. « Parce que ce sont des questions qu’on n’a jamais posés avant, la part de recyclé, la part de produits biosourcés, est-ce qu’il y a du polystyrène dans l’emballage… Après on a essayé d’harmoniser les sujets d’audit. On est sur une démarche ICS pour le social et l’environnemental pour essayer de mutualiser le sujet », poursuit-elle. Le but étant de distinguer les efforts et non pas les résultats, afin d’éviter de différencier les fabricants aux gros moyens et ceux à de petites ressources.
Convaincre le client final à acheter décarboné
D’après un baromètre Odoxa : 95 % des français ont déjà entendu l’expression « empreinte carbone ». Cependant, 46 % avouent ne pas savoir de quoi il s’agit, la plupart ayant tendance à surévaluer la part de leur empreinte carbone transports, et sous-évaluer celle de leur chauffage.
Il n’empêche que 71 % trouvent la décarbonation coûteuse, tandis que 67 % la considèrent complexe. De plus, 29 % déclarent privilégier les produits respectueux de l’environnement dans la vie de tous les jours, contre 70 % qui privilégient le meilleur rapport qualité-prix.
Mais alors, comment convertir l’utilisateur final à la décarbonation de l’habitat ? Pour Sandrine Le Deit, savoir convertir l’effort environnemental en euros fait partie des pistes. « Si je pense aux isolants : essayer de sortir du prix au m2 mais parler plutôt d’énergie économisée, d’avoir une vision au long-terme… » , illustre la leader de la Stratégie Métier et Offre chez Leroy Merlin. Une stratégie de pédagogie qu’il faut lier à de l’information - via les FDES par exemple - pour alimenter la culture et l’apprentissage du consommateur final.
« Ça fait plusieurs fois qu’on oppose produits meilleurs pour l’environnement à produits bas prix. Je pense que cette opposition, elle n’est pas valable dans le temps », analyse à son tour Marine Charles. Et la DG de Weber France d’abonder : « D’ailleurs dans la stratégie évoquée pour Weber, ce qu’on vise à décarboner, c’est le coeur de la gamme. C’est-à-dire qu’on ne va pas produire quelques produits engagés environnementaux plus chers, sur lesquels on gagnerait beaucoup plus de marge. Parce que les consommateurs, que ce soit les particuliers ou nos utilisateurs, ne sont pas prêts mettre plus d’argent pour des produits moins carbonés. Il y a une vraie démarche de masse à mettre en place ».
Virginie Kroun
Photo de Une : V.K