Vers la fabrique de la « ville méditerranéenne durable » à Marseille
Né en 1995, l'Établissement Public d'Aménagement Euroméditerranée (EPAEM) tient un « laboratoire urbain » dans la partie Nord de Marseille. Son but ? Expérimenter sur ces 480 ha de territoires des opérations et nourrir ainsi un référentiel, façonnant ce que son secrétaire général Rémi Costantino appelle « la ville méditerranéenne durable ». Un modèle que l’EPAEM tend à partager en interne mais pas seulement.
« Il faut d’abord avoir les exemples réussis chez soi. En permanence on tire la qualité vers le haut, comme ça on a des réussites et ces réussites créent une émulation », explique Rémi Costantino.
Il détaille : « On est aussi dans une logique de partage inter-métropoles et inter-villes. On a plusieurs démarches dans ce sens. On participe notamment avec l’AVITEM, agence publique basée à Marseille, à l’animation d’un réseau des opérateurs et d’aménageurs en Méditerranée, un réseau de territoires qui se posent ces questions de ville méditerranéenne durable, en partageant les bonnes pratiques et en prenant connaissance des projets des autres, à la fois dans le Nord, Sud et Est de la Méditerranée. Ensuite, on a un partenariat avec l’État et les collectivités, pour promouvoir ce qu’on appelle le savoir-faire de la ville française à l’international. Cela nous amène à travailler, à participer à des événements et à relayer notre savoir-faire, notamment en direction de l’Afrique [du Nord, NDLR] ».
« Et puis à l’échelle nationale, en tant qu’établissement public d’aménagement on est en réseau avec d’autres établissements publics d’aménagements de l’Etat, dont celui de Nice Eco-vallée, qui a les mêmes problématiques que nous en termes de ville méditerranéenne », souligne-t-il.
Concilier mode vie à la méditerranéenne et densification
Il faut dire qu’entre la Côte d’Azur, le Nord de l’Italie ou bien le littoral maghrébin, il y a des spécificités urbaines en commun, en particulier le rapport aux vents et à l’ombre. Les villes méditerranéennes se constituent souvent d’un « noyau villageois très dense avec des rues très tortueuses pour éviter que le vent s’engouffre, pour qu’il y ait beaucoup d’ombrage, avec plutôt des orientations Est-Ouest que des orientations Nord-Sud », décrit Rémi Costantino.
Problématique qui va de pair avec la vie « à l’extérieur » très importante en Méditerranée, munie des systèmes de « terrasse », de « balcon » mais aussi de « cour, qu’elle soit provençale, espagnole, italienne ou bien proche de la médina ou du moucharabieh », énumère le secrétaire général d’Euroméditérranée.
Sans compter « le rapport à l’eau, évidemment. Marseille est quand même une ville assez aride, il y a le problème du Mistral qui assèche énormément. Et pour autant dans la ville, la ressource en eau étant rare et la gestion étant compliquée, on n’a peu de fontaine. Donc il y a vraiment une question de comment on remet de l’eau dans la ville sans sous-tirer aux nappes phréatiques ou en ayant un sous-titrage très faible, mais en même temps que ça permette d’avoir des végétaux mieux arrosés, d’avoir plus de confort d’été et d’usage ».
Une identité urbaine forte qu’il convient de faire évoluer. Pour l’EPA Euroméditérranée, l’enjeu réside dans la densification de sa zone d’intervention, le prolongement nord de la cité phocéenne.
« C’est vraiment une espèce de microcosme, à l’échelle de la métropole [Aix Marseille-Provence, NDLR] et entièrement compris dans le territoire marseillais et même dans le territoire de la partie de Marseille, qui est urbanisée, car Marseille est à 60 % composée d'espaces naturelles », rappelle Rémi Costantino. « Les caractéristiques qu’on est capables de porter avec nos partenaires, c’est cette capacité à créer des quartiers denses, où il y a beaucoup de fonctions qui se rencontrent : du bâti, des espaces publics, des services publics et des activités économiques ».
Une feuille de route vers un modèle urbain durable
Ainsi parmi les projets d’Euroméditerranée, on trouve un quartier visant l’implantation de 10 à 12 000 logements et 20 000 bureaux. Le chantier semble titanesque sur un espace aussi restreint, mais ce n’est rien à côté des enjeux écologiques qui accompagnent. En effet, le projet urbain doit suivre les dernières réglementations françaises consacrées à la construction durable, dont dernièrement la RE2020et la loi Climat & Résilience.
Sûrement est-ce pour cette raison que l’EPAEM s’est réuni ce mercredi 12 janvier, avec représentants de l’État et des collectivités locales pour définir, dans une feuille de route 2022-2023, les grandes priorités d’une « ville méditerranéenne durable ».
Trois axes ont été pour l’heure définis : décarbonation des mobilités, confort de l’espace public et extension de la place atrribuée à la nature et à l’eau dans la ville. Concrètement, cela se manifeste en premier lieu par la lutte contre l’imperméabilisation des sols – fléau présent dans les métropoles du Sud comme Lyon, où une peinture anti-chaleur a été testée.
Dans le périmètre d’Euroméditéranée, « le territoire est entièrement artificiel. Évidemment vous avez quelques talus, quelques zones délaissées, quelques friches où il y a de l’infiltration, et de la végétation. Mais ce n’est pas naturel, dans le sens où ce n’est ni de l’agriculture, ni de la forêt, ni des systèmes de prairie naturelle, c’est vraiment l’artificiel » nous détaille son secrétaire général.
Certains chantiers d’Euroméditerranée deviennent alors des laboratoires de pratiques plus vertueuses. C’est le cas par exemple du jardin des Fabriques, où 45 planches ont été déployées pour tester la perméabilité divers matériaux comme les bétons, enrobés ou pavés à joints, des matières issues de filières locales – précisément des carrières de l’Estaque, Signes, Rognes – ou de démolitions de chantiers. L’idée ? Aider à choisir la solution la plus drainante et permettant l’infiltration directe des eaux pluviales.
Ce qui nous amène à une deuxième expérimentation dans le parc : celle des arrosages. Diverses techniques sont aussi appliquées (par irrigation, arrosage par submersion, arrosage manuel...), afin de désigner la plus adéquate au terrain et à sa végétation.
Le tout pour faire progresser la biodiversité dans les environs, mais cela ne suffit pas. Selon Rémi Costantino, la survie de la nature est aussi guidée par les comportements des habitants. D’où la nécessité d’une « mobilité décarbonée », aussi de rigueur dans le quartier des Fabriques. La mise en place d’un système, proche de l’auto-partage, y est étudiée en partenariat avec Bouygues, afin de réduire entre autres la prolifération de véhicules individuels.
Il en va de même pour le stationnement, Euroméditerranée prévoit de mettre en place un système « foisonnement », par lequel n’importe quel usager peut réserver une place de parking, mais qui change d’un moment à un autre. Une façon de moduler les besoins des usagers fluctuants, notamment dans les bâtis réunissant usagers professionnels ou résidents.
Le véhicule électrique est une des solutions de déplacement privilégiées par Euroméditéranée. L’EPA cherche même à déployer des bornes de recharge électriques. Pour l’heure, elles sont alimentées au gaz et à l’électrique, bien qu’Euroméditérannée ambitionne une autoproduction des énergies grâce à au photovoltaïque. Cependant, le défi semble compliqué, car dans le périmètre compte « un tiers des toitures des opérations nouvelles susceptibles d’accueillir le photovoltaïque », constate Rémi Costantino.
En bref, le chantier d’Euroméditérranée, tant sur le plan urbain qu’écologique, est tentaculaire. De quoi faire appel à diverses compétences du BTP : voiries et réseaux divers, espaces verts, mobiliers urbains, terrassement, construction et démolition. L’EPA a d’ailleurs recours à des artisans de proximité, en particulier des PME « qui représentent plus de la moitié de [ses] marchés », estime son secrétaire général.
Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de Une : Euroméditéranée