Logement ultramarin : OMBREE poursuit ses ateliers
Élus locaux voire gouvernementaux, l’Agence qualité construction (AQC), Action Logement, Profeel, assureurs… Tout un panel d’acteurs était réuni le 20 février au siège de la SMABTP à Paris. Le choix de la capitale comme lieu de rencontre est quelque peu paradoxal, quand on connaît son grand sujet : la lutte contre le logement indigne et son adaptation au réchauffement climatique en territoire ultramarin.
« Je ne pouvais pas manquer ce moment, même si je dois traverser 18 000 km pour pour arriver ici », défend cependant Vaimu'a Muliava, ministre en charge de la Construction, de l’Urbanisme et de l’Habitat au gouvernement de la Nouvelle Calédonie, durant un point presse.
Point presse qui introduit les ateliers organisés dans la journée par le consortium Outre-Mer pour des Bâtiments Résilients et Économes en Énergie (OMBREE). Piloté par l’AQC, ce dernier est à l’origine des Assises de la Construction Durable en Outre-mer, lancées en juillet 2023. Des ateliers entre acteurs, des collectivités à la construction, visent à définir à un référentiel adapté à ces territoires.
Un livre blanc en cours d'élaboration
« On va formaliser tout cela dans un livre blanc, qui formalisera ce dialogue instauré entre les Outre-mer et l'Hexagone », évoque Philippe Estingoy, directeur général de l'AQC. Le résultat de six mois de travaux auxquels ont participé 200 acteurs des Outre-mer.
« Je crois qu’on peut se poser la question aujourd’hui, en 2024 : pourquoi seulement maintenant ? », s'interroge de son côté M. Muliava.
Pourtant, un premier Plan logement Outre-mer (PLOM) avait déjà été lancé en 2015, suivi d’un deuxième pour la période 2019-2022. Des feuilles de routes décryptées dans un rapport déposé le 1er juillet 2021, par Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel, au nom de la délégation sénatoriale aux Outre-mer. L’ambition de ce texte : « reconstruire la politique du logement en Outre-mer », un objectif « ambitieux », commente le co-rapporteur Guillaume Gontard.
Plus de souplesse et d’adaptation des normes aux spécificités ultramarines
Si les travaux sur cette politique du logement ultramarin se sont poursuivis durant cette journée, certaines grandes lignes ont été présentées.
La première d’entre elles et pas des moindre : prendre en compte les spécificités de chaque territoire ultramarin, où parfois les normes, ressources et filières préconisées dans l’Hexagone ne sont pas adaptées.
« Une des véritables conclusions était de se dire qu'il fallait absolument territorialiser les politiques du logement, avoir des politiques de logement de proximité, un accompagnement beaucoup plus fort de l'ingénierie locale », souligne notamment le sénateur Guillaume Gontard.
« Bien entendu, au regard de notre climat particulier et de notre relatif isolement de l'Hexagone, le confort thermique des logements et la gestion des dépenses énergétiques dans un contexte de production locale très carboné sont essentielles », s'exprime Bernard Briand, président du conseil territorial de l'île Saint-Pierre-et-Miquelon, située au large de la côte canadienne.
« Cependant, la faible souplesse des réglementations françaises ou européennes en matière de matériaux de construction et des différences qui existent avec les règles canadiennes font exploser les coûts et obligent les matériaux à traverser l'Atlantique pour un coût écologique insoutenable, indéfendable. Je ne reviens pas sur les questions légales et assurantielles qui, logiquement calquées sur les réglementations françaises et européennes, ne permettent pas l'utilisation de matériaux canadiens », abonde M. Briand avant d’indiquer : « L’enjeu pour nous, c'est l'interopérabilité des normes dans la construction avec le Canada ».
Le logement en Outre-mer, une affaire internationale…
Cette relocalisation des ressources impliquera-t-elle des accords internationaux avec les pays à proximité des territoires d’Outre-mer ? « C'était un sujet primordial des ateliers qui se sont passés sur le terrain », nous répond Philippe Estingoy avant de poursuivre : « Il existe déjà d'ailleurs des réflexions géographiques et des partenariats qui existent, avec de l'équivalence des normes, pour permettre les échanges ».
Hervé Mariton, ancien ministre des Outre-Mer et président de la Fédération des Entreprises d'Outre-mer (FEDOM), y voit là une démarche « délicate » : « Il faut à la fois trouver les complémentarités, et ce n’est pas simple parce que, souvent, différents territoires d'une même région, français ou non-français, ont tendance à produire un peu la même chose. Il n’est pas écrit d'avance que dans le territoire d’à côté, on trouvera un débouché complémentaire pour ce qu'on fait, un débouché complémentaire pour ce qu'on aurait envie d'importer de là-bas et que jamais on ne sera en concurrence frontale sur le peu de production qui existe Outre-mer. Il y a évidemment des enjeux d'empreinte carbone qui sont tout à fait essentiels, d’avoir davantage recours aux productions locales, les nôtres, mais aussi avec un regard et une ouverture non-naïve sur les coopérations qui peuvent être nouées avec nos voisins, la difficulté des complémentarités étant évidemment sur la table », développe-t-il.
Rien ne semble freiner Nouvelle-Calédonie, pourtant. Le gouvernement a accompagné la création du Comité de normalisation de la région Pacifique. Ainsi, le partages d'expériences faites avec « leur fratrie d’Outre-mer », le pays peut les reproduire avec sa « fratrie océanienne », selon Vaimu'a Muliava.
« Sur un appel à projets lancé par l'État sur les matériaux biosourcés, nous avons répondu avec la Guyane qui est très avancée sur la brique de terre compressée, et nous avons été lauréats. Malheureusement, avec nos collègues de la Réunion, nous n'avons pas été lauréats sur le bambou. Donc nous allons combler ce vide en répondant à un appel à projet avec les îles Fidji, pour réfléchir sur cette filière », cite le ministre du Logement de la Nouvelle-Calédonie.
… mais aussi budgétaire
Mais au-delà de l’aspect environnemental, l’aspect budgétaire a son importance. « À cet égard, nous plaiderons pour que les démarches qui suivront l'actuel PLOM 2 permettent non seulement d'aborder les enjeux de programmation, mais aussi d'avoir un suivi régulier des considérations de coûts, qui sont évidemment un élément de blocage aujourd'hui », revendique M. Mariton.
Et qui dit finances, dit assurabilité des ouvrages. « Effectivement, les territoires ultramarins ont des spécificités dont il faut tenir compte. Il y a certaines normes qui ne sont effectivement pas transposables. Il faut que les assureurs puissent s'adapter à ces situations pour permettre finalement de répondre aux besoins », confirme à ce sujet Hervé Leblanc, directeur général adjoint de la SMABTP.
Se connecter aux pratiques ancestrales
Aux yeux de Minarii Galenon-Taupua, ministre du Logement et des Solidarités en Polynésie française, le programme OMBREE permet aux territoires ultramarins d’être entendus et de s’exprimer d’une seule voix sur leurs problématiques du logement.
« Ce que je souhaiterais aussi pour mon pays, c’est que l'on respecte nos spécificités culturelles. (...) Nous avons des plateformes chez nous, que nous appelons des marais. Nous ne voulons en aucun cas que ces plateformes disparaissent et que l’on construise dessus. Donc, nous avons décidé de les protéger », mentionne la ministre.
Autre point que Mme Galenon-Taupua soulève : l’importance des pratiques ancestrales. « À l'époque, on construisait beaucoup en hauteur, sur pilotis, et c'est vrai qu'avec les constructions modernes, afin de d'économiser peut-être, on construit à même le sol », compare-t-elle, avant d’exposer : « Au niveau du gouvernement polynésien, nous avons décidé aussi de mettre en valeur ces pratiques ancestrales, pour comprendre un peu mieux pourquoi est-ce qu'il y a autant d'habitations détruites aujourd'hui ».
Ce qui nous amène à une autre question : quelle place occupent les entreprises du bâtiment locales dans la perpétration de ces pratiques ancestrales, et plus largement dans la politique du logement ultramarin . Ont-elles été sollicitées dans le cadre du projet OMBREE ? « Il y a une trentaine d'ateliers qui ont précédé ces assises aujourd'hui, avec une implication de l'ensemble de la filière. Donc que ce soit les entreprises de construction, que ce soit les bailleurs sociaux, les fabricants et également des architectes qui sont aujourd'hui représentés aujourd'hui par ce qu'on va voir dans la matinée », nous informe Nadia Bouyer, directrice générale d’Action Logement.
Une chose est sûre, le logement ultramarin est une affaire transversale. « Comme disait ma professeure d’HEC, Madame Chevalier, nous vivons l'ère des "co-": co-construction, collaboration, etc. Et cultivons-le, au détriment du "je" », l’encourage, non sans un brin de philosophie, Vaimu'a Muliava.
Virginie Kroun
Photo de Une : X @tierceli