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Reconstruire Mayotte : quelles pistes architecturales ?

Publié le 16 janvier 2025

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Alors que l’archipel de Mayotte compte encore les dégâts causés par les catastrophes naturelles subies, comment concevoir à court, comme à long terme, sa reconstruction ? L’avis d’Hubert Philouze, architecte intervenant sur ce territoire ultramarin.
Reconstruire Mayotte : quelles pistes architecturales ? - Batiweb

« C’est un drame qui est en train de se jouer », déplore Hubert Philouze, architecte de l’agence « Les Architectes de L’Éperon », basée à la Réunion. En son temps libre et son nom propre, il s’est rendu fin décembre sur le territoire ultramarin français, dévasté par le cyclone Chido.


Il dépeint un archipel « en difficulté, puisqu'on est [à 77 % de la population, selon l’Insee en 2020] en dessous du seuil de pauvreté et avec une moitié de la population à moins de 18 ans, donc extrêmement jeune ». 

« On a une vraie défaillance au point de vue du logement »


L’archipel compte des sous-capacités de logement, ainsi que de grands bidonvilles, dont celui à Kawéni, commune rattachée à Mamoudzou et celui de Mavadzani, à Koungou. Ces derniers sont composés de bangas, maisons faites aujourd'hui de tôles et matériaux de récupération.


Ces habitats informels, au départ traditionnels, sont devenus un symbole de la précarité des Mahorais. Hubert Philouze nous décrit des constructions en pente, sur des terrains concernés par des plans de prévention des risques naturels prévisible (PPRN), inondation (PPRI) ou des mouvements de terrains. Autant dire que la disponibilité du foncier est une question épineuse.


Sur les deux bidonvilles évoqués, quasiment tous les bangas ont été reconstruits en dix jours, nous rapporte M. Philouze, se rappelant du bruit de marteau pour « détendre les tôles ». Les centres d’hébergement d’urgence sont surtout occupés par des femmes et des enfants « qui n'ont pas les moyens de reconstruire leur banga. On a une vraie défaillance au point de vue du logement », abonde-t-il. 


Le département de Mayotte compte deux grands acteurs du logement social : la Société immobilière de Mayotte (SIM) et Al’ma, opérateur lancé par Action Logement sur le territoire mahorais. Toutefois, accéder à un logement coûte cher. Quand on regarde les loyers sur le site Se Loger, un T1 coûte autour de 600 euros par mois, charges comprises. Inabordable pour la population mahoraise, dont le revenu médian s’élève à 3140 euros par an, apprend-on sur le site de l’Insee. 

À Mayotte en 2018, la moitié de la population a un niveau de vie inférieur à 3 140 euros par an - Source : Insee

Des matériaux de construction plus chers à Mayotte qu’en métropole

 

Des prix immobiliers qui vont de pair avec des prix de la construction. « À La Réunion, c’est déjà très cher, mais c’est bien moins cher qu’à Mayotte. Par exemple, le cout du mètre cube de béton, en ce moment, a explosé », développe M. Philouze. 

Des propos déjà corroborés par l’Autorité de la concurrence en octobre 2018, qui constatait des prix des matériaux de construction plus chers de 35 % à Mayotte, par rapport à la métropole. « Les matériaux concernés sont ceux utilisés pour la construction ou la réhabilitation de logements tels que le ciment, les granulats, l’enduit de façade, le bois de charpente, les tôles de toiture ou les carreaux de céramique », est-il précisé dans son communiqué.

Pour l’heure, c’est la disponibilité de la tôle qui préoccupe. Selon un reportage relayé sur franceinfo et France Inter, la vente de cette denrée rare est contrôlée pour réduire l’habitat informel dans les bidonvilles mahorais. 

« J'avais la queue ici, des gens qui pleuraient me demandant de leur commander des tôles... Mais je leur répondais que je ne peux pas, je n'ai pas le droit. C'est le préfet qui l'a dit, on ne peut pas faire autrement », témoigne Monsieur Djoudjou, quincaillier à Mtsapéré.

Le commercant, qui réalise entre 10 et 15 % de son chiffre d'affaires avec ces tôles, réserve les grandes tôles spéciales toiture aux professionnels, coûtant plus cher. Il indique vendre 80 euros la grande tôle et 30 euros la petite. Hors budget pour les Mahorais précaires. C’est le cas d’Ahmad, habitant du bidonville de Mtsapéré, selon qui « pour en trouver, tu dois passer par le marché noir ». 

 

Le territoire manque également de main d’oeuvre. Les majors du BTP sont très présents dans le secteur à Mayotte. « Ils ont des spécificités de savoir-faire et doivent devenir une aide pour former la main d’œuvre locale, en répondant aux enjeux cycloniques et parasismiques », évoque M. Philouze. Le cabinet « Les Architectes de L’Éperon », est d’ailleurs né pour participer à reconstruire La Réunion, marquée par le cyclone Firinga en 1989 et prospère encore, plus de 35 ans après.

Une bonne voie pour refaçonner l’emploi et l’économie dans l’archipel. « Il y a cette possibilité aussi de formation. Beaucoup d'organismes de formation existent déjà à Mayotte. Et on pourrait les accentuer », encourage l’architecte.

Des pistes pour reconstruire Mayotte dans l’immédiat…


En déplacement début janvier à Mayotte, un cortège ministériel a officialisé un plan urgence pour reconstruire le territoire, adopté dans la nuit du 14 janvier au 15 janvier, en commission à l’Assemblée nationale. Parmi les mesures court-terme annoncées : déploiement de bâches de protection à grande échelle, réfection des toitures, etc.


« A priori on est encore dans la période de l'urgence, en plus avec [la dernière tempête Dikeledi] qu'il y a eu. Il faut vraiment qu'on arrive à la période d'un relèvement social et psychologique, parce que c'est un véritable traumatisme », s’inquiète Hubert Philouze.


Pour l’architecte, priorité au rétablissement des réseaux d'eau potable, d’électricité, et de transports. « Là, cela devrait être déjà rétabli. Après, cela bouge très vite en ce moment, donc peut-être qu'en une semaine, on verra des différences », espère l’architecte. 


Le logement a son rôle à jouer dans l’apaisement des Mahorais. « C'est justement en laissant les gens dans des situations indignes, qu'on ne fait qu'empirer la situation », affirme M. Philouze. La question est de savoir quels modèles d’habitations déployer. En sachant qu’adapter le référentiel de construction - mais aussi de rénovation - français aux enjeux ultramarins est une problématique.


«La réponse n'est pas non plus la démolition des bidonvilles. La question est beaucoup complexe que cela », pense Hubert Philouze. Ni la construction de bâtiments modulaires pour héberger les Mahorais sinistrés, car peu résistants au vent et aux inclinaisons de terrain. 


«Je ne pense pas que les logements informels soient, par rapport aux risques majeurs, appropriés dans l'absolu. Mais il faut le questionner et l'additionner avec des systèmes dits de refuge, soit au sein de ces habitats, soit en tant que refuges collectifs », poursuit l’architecte. Le tout en développant des services de voirie et réseaux, pour répondre aux besoins essentiels des habitants. 


Transitoires, ces « villes informelles » devraient laisser place à des plans résidentiels et urbanistiques plus pérennes, selon l’expert. 

… comme à long terme


À plus long terme, des solutions méritent d’être étudiées, comme les cases SIM – réinterprétant les lignes architecturales des habitats mahorais - ou des structures en briques en terre sèches et compressées.


Dans la loi d’urgence, « il y a une mesure que je trouve un peu choquante, c'est l'allègement des règles urbanistiques. Une des grandes problématiques qu'a révélée le cyclone Chido c'est qu'il n'y avait peut-être pas eu suffisamment de contrôle», renchérit l’architecte. « Il y a eu autant de dégâts provoqués par la projection d'éléments d'ouvrages », construits formellement ou non.


Une chose est sûre : pour reconstruire de façon plus pérenne Mayotte, il est nécessaire de créer « une vraie cellule de réflexion, composée d'urbanistes, de géologues, d'architectes, de psychologues…», soutient M. Philouze. Selon l’expert, les travaux menés - dont par le Cerema - afin de reconstruire les Antilles, sinistrées suite au passage de l’ouragan Irma, peut inspirer l’idée de forger la résilience de l’archipel.


Hubert Philouze témoigne cependant des problèmes logistiques, empêchant pour l’heure les acteurs de la reconstruction de Mayotte de se concerter. Reste à savoir si les conditions seront plus propices dans les semaines, voire les jours à venir…


Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de Une : Adobe Stock

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