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Réhabilitation en site occupé : de la « haute couture en termes de coordination »

Publié le 02 août 2023

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Quels sont les avantages et inconvénients de la réhabilitation en site occupé ? Face aux nuisances, une bonne communication et de la pédagogie sont nécessaires afin de faire comprendre l’intérêt de tels travaux aux occupants. La réhabilitation d’établissements scolaires en site occupé se révèle également être un défi pour s’adapter au public. Entretien avec des architectes de l’agence Vurpas Architectes, d’Arteo Architectures, de l’Atelier Belenfant Daubas, et de Franc Architectures.
Réhabilitation en site occupé : de la « haute couture en termes de coordination » - Batiweb

Pour parler de « réhabilitation », il n’est pas inutile de rappeler la définition, qui se confond parfois facilement avec celle de la « rénovation ».

Les architectes que nous avons interrogés sur cette différence sont globalement unanimes : la réhabilitation revêt un aspect réglementaire, et vise avant tout à remettre aux normes actuelles un bâtiment, sans repartir de zéro, là où la rénovation concernerait davantage une remise à neuf, en intégrant des problématiques de confort.

L’architecte Philippe Beaujon, de l’agence Vurpas Architectes, n’hésite pas à souligner les subtilités entre tous ces mots qui commencent par « re » : « Il n’y a pas seulement la réhabilitation et la rénovation, mais il y a aussi la restructuration et la requalification. Pour une réhabilitation, cela peut être une simple mise en conformité ou mise aux normes, pour redonner un statut à un bâtiment. Une rénovation, pour moi, c’est plus une remise à neuf, remettre en l’état ce qui a vieilli. Une restructuration, on va commencer à changer d’organisation, il y a une évolution plus forte. Et puis après une requalification, c’est plutôt un changement d’usage », détaille-t-il.

 

Le ZAN, une opportunité pour la réhabilitation ?

 

Que cela concerne des friches industrielles ou des bâtiments de bureaux ou de logements, la réhabilitation est une démarche qui s’est démocratisée ces dernières années, et qui devrait encore s’accélérer avec l’entrée en vigueur du Zéro Artificialisation Nette (ZAN) des sols.

« Depuis un ou deux ans, la question de la réhabilitation est regardée de façon complètement différente. Aujourd’hui, avec la hausse des coûts de construction et la non disponibilité du foncier, il y a vraiment un regard différent sur le bâti ancien. Avec le ZAN, c’est un vrai changement d’angle. Avant, réhabiliter était plutôt pris comme une contrainte, alors qu’aujourd’hui c’est l’un des meilleurs leviers pour continuer à habiter en ville », constate d’ores et déjà l’architecte Loïc Daubas, de l’Atelier Belenfant Daubas.

Toutefois, selon Yann Daoudlarian, architecte et président du groupe Franc Architectures, le ZAN aurait un effet « castrateur », et risquerait d’impacter la construction de nouveaux logements, « alors même qu’on en manque cruellement ». Or, selon lui, la réhabilitation ne saurait être une alternative suffisante à la production de ces logements : « Le ZAN va être très impactant sur la construction de logements. Il manque 2,5 millions de logements aujourd’hui, donc on peut très bien penser réhabilitation, mais déjà il faudrait en construire », assène-t-il.

 

De la communication et de la pédagogie pour mieux faire accepter les nuisances

 

Que ce soit pour la réhabilitation ou la rénovation, il est parfois nécessaire de travailler en site occupé, avec les contraintes et nuisances que cela implique. Ces dernières peuvent être sonores - avec le bruit des travaux -, thermiques - par exemple lors d’un changement de fenêtres -, visuelles - notamment lors de la présence d’un échafaudage ou de bâches -, olfactives, ou encore sanitaires - avec la présence de peintures, de polluants ou de poussières.

Afin de mieux faire tolérer ces nuisances temporaires, les architectes rappellent la nécessité d’expliquer les tenants et aboutissants du chantier aux occupants. S’ensuit tout un travail de communication et de pédagogie, qui doit débuter en amont, et se poursuivre tout au long du chantier.

« Il y a tout un travail pédagogique, d’accompagnement, à chaque phase de chantier, pour expliquer ce que l’on va faire. Si on ne leur explique pas, et qu’ils voient et subissent, c’est sûr que c’est souvent mal vécu. En parallèle des réunions de chantier, on organise des réunions maître d’œuvre et maître d’ouvrage pour aborder tous ces sujets, et anticiper », explique de son côté Philippe Beaujon.

 

Faire participer les occupants

 

Dans certains cas, les maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre n’hésitent pas à faire directement participer les occupants, au travers de questionnaires, voire à les inviter à certaines réunions de chantier.

Anne Forgia, architecte au sein d’Arteo Architectures, mais aussi architecte conseil de l’État pour la DRAC Nouvelle-Aquitaine, cite l’exemple d’une réhabilitation de logements sociaux en site occupé à Montigny-le-Bretonneux (78) : 

« C’est un très long travail, mais il faut parler avec les gens, les rencontrer, faire des petites enquêtes. Par exemple, à Montigny-le-Bretonneux, on a été voir pratiquement tous les locataires en leur demandant de nous donner leur diagnostic, ce qui n’allait pas dans leur logement, comment, pourquoi, qu’est-ce qu’ils souhaiteraient. Avec notre enquête, on a quand même réussi à problématiser un peu les sujets, et à y répondre. On a eu des réunions, organisées par le bailleur Toit et Joie, auprès des locataires. On a expliqué quels étaient les retours suite à cette enquête, et ce qu’on espérait améliorer avec le projet, et cela a été extrêmement bien accueilli », témoigne l’architecte.

« C’est intéressant d’avoir des retours, que les occupants donnent leur avis sur le projet, qu’ils prennent possession du projet, et parfois que l’on apporte des modifications suite à leurs retours », poursuit-elle.

Cette réhabilitation de logements en site occupé à Montigny-le-Bretonneux représentait par ailleurs un double défi : ces logements étant présents en plein milieu d’un centre commercial à ciel ouvert, il était impératif de ne pas laisser des échafaudages trop longtemps pour ne pas impacter l’activité économique.

Les photos avant/après la réhabilitation à Montigny-le-Bretonneux. Crédit photos : Arteo Architectures

Anne Forgia note également le rôle clef de la gardienne de l’immeuble : « Il y a une personne qui est absolument déterminante dans tout ce process, c’est le gardien ou la gardienne. Ce sont vraiment les personnage centraux du projet. Ce sont eux qui font toutes les remontées des locataires, et qui font la liaison avec tout le monde sur le chantier. Sur le chantier Toit et Joie, la gardienne participe à toutes les réunions de chantier, et donne son avis sur tout ».

Outre le gardien ou la gardienne, c’est également le rôle du syndic de copropriété dans le parc privé : « En copropriétés, on a des représentants de copro qui viennent aux réunions de chantier et des affichages placardés dans les cages d’escalier. Rien que la gestion des clefs pour rentrer dans les logements, c’est quelque chose de pas évident. À partir du moment où vous avez un habitant, c’est lui qui a la maîtrise des clefs, et il ne va pas les prêter pendant 15 jours. Ce sont plein d’aspects pratico-pratiques qui se confrontent aussi au fait d’intervenir dans un espace privé. Ce sont pour moi les sujets les plus complexes parce qu’on a des paramètres humains qui sont démultipliés, à la fois dans le registre de l’inquiétude, de la nuisance, de la non-compréhension », estime Loïc Daubas.

 

Améliorer le confort et faire baisser les factures d’énergie

 

Malgré les nuisances, les occupants sont la plupart du temps conscients de l’intérêt de ces travaux pour l’amélioration de leur confort, et la baisse de leurs factures d’énergie : « Il y a une bonne acceptation à partir du moment où les personnes savent pour quoi c’est fait, et quelles améliorations cela va apporter à leur logement », constate-il.

Si la réhabilitation est souvent un investissement rentable pour les propriétaires, faire accepter ces travaux et les nuisances induites peut en revanche se révéler plus compliqué vis-à-vis des locataires de courte durée : « Quelqu’un qui est locataire et qui termine son bail dans un an ou deux, c’est un peu plus dur de lui dire « vous allez avoir 6 ou 9 mois de travaux », donc il va peut-être demander un loyer moins cher », note de son côté Jérémy Chauvidon, architecte et directeur associé au sein de Franc Architectures.

 

La réhabilitation d’établissements scolaires, une coordination chronométrée

 

Outre la réhabilitation de logements en site occupé, celle pour les ERP demande parfois encore plus de doigté. Les architectes soulignent la nécessaire continuité de fonctionnement et de services, et l’adaptation aux contraintes de l’établissement. Cela vaut notamment pour les établissements scolaires, qui comprennent des périodes d’examens, et durant lesquelles les nuisances doivent être nulles.

Philippe Beaujon cite notamment l’exemple de la réhabilitation du campus Rockefeller de la faculté de médecine à Lyon, avec un marché-cadre impliquant des travaux en site occupé sur une durée de 15 ans. La réhabilitation de ces 40 000 m2 a débuté en 2013, avec des travaux qui se sont échelonnés sur 10 ans en plusieurs « tranches » ou « phases », entre la partie bibliothèque, restauration, amphithéâtres, salles de cours et de travaux pratiques, et laboratoires.

Réhabilitation d'un labo sur le campus Rockefeller de l'université à Lyon. Crédit photo : Kévin Dolmaire - Vurpas Architectes

Réhabilitation du campus Rockefeller de l'université à Lyon. Crédit photo : Studio Erick Saillet - Vurpas Architectes

S’adapter aux périodes d’examens… ou à la sieste

 

L’architecte en charge du projet nous explique les précautions à prendre pour éviter les plaintes d’étudiants : « En faculté de médecine, s’il y avait des nuisances, quelqu’un pourrait faire annuler l’examen parce qu’il estime qu’il a été défavorisé par rapport à d’autres sites en raison de nuisances qui l’ont gêné. Il y a eu des jurisprudences là-dessus. Donc ces examens, on les prévoit, et on neutralise le chantier ».

Loïc Daubas prend quant à lui l’exemple de la réhabilitation d’une école maternelle et primaire devenue le Pôle enfance Félix Leclerc à Bouvron (44). L’objectif : passer de 5 classes « en dur » et 3 classes en modulaire, à 14 classes et l’ajout d’un centre de loisirs périscolaire.

La réhabilitation-extension du pôle enfance Félix Leclerc à Bouvron (44). Crédit : Atelier Belenfant Daubas

« Pendant le chantier, l’école a continué, donc on a d’abord fait le neuf, et une fois fait, les enfants sont entrés dedans, et ensuite on a pu faire la réhabilitation et des bouts d’extension. Quand on est en site occupé, on a souvent ces étapes un peu « à tiroirs », qui permettent de déplacer les usagers d’un endroit à un autre, le temps que l’intervention puisse se faire », précise l’architecte.

Pour s’adapter au public et aux créneaux horaires d’une école, Loïc Daubas se rappelle notamment d’avoir demandé d’interrompre les travaux le temps de la sieste : « Cela m’est arrivé de demander de ne pas faire de bruit de 14h à 15h, parce que c’était l’heure de la sieste. Ou encore d’interdire les livraisons entre 8h et 9h15, parce que c’est l’heure où les parents amènent leurs enfants à l’école, et donc on ne peut pas avoir un flux de camions de livraison mélangé à un flux de parents d’élèves. C’est un peu de la haute couture en termes de coordination pour à la fois avancer le chantier, tout en permettant à l’usager de continuer à avoir ses activités », résume-t-il.

 

Des nuisances qui concernent aussi la construction neuve

 

Mais les nuisances ne sont pas propre à la réhabilitation, on les retrouve bien entendu également dans la construction neuve. Loïc Daubas évoque notamment l’exemple d’un chantier de tramway à Nantes, ayant soulevé une levée de boucliers, en raison de nuisances sonores la nuit. « Ce qu’il faut éviter, c’est qu’il y ait quelque chose qui ne soit pas compris, parce que là, cela peut générer un arrêt de chantier », souligne l’architecte.

Et de poursuivre : « Dans le neuf, le choix constructif peut parfois se faire en fonction du voisinage. J’ai l’exemple d’une construction neuve que nous avons réalisée il y a 3 ou 4 ans. Le choix constructif, nous l’avons fait en fonction du voisinage parce que c’était un Ehpad. On a choisi de construire tout en bois, parce que les murs étaient préfabriqués en atelier, et donc on générait beaucoup moins de nuisances vis-à-vis des personnes qui étaient à accueillies à l’Ehpad », conclut-t-il.

 

Propos recueillis par Claire Lemonnier
Photo de une : Adobe Stock

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