« La HQE n'est pas un fanion pour moi »
C'est le premier équipement de ce type que vous réalisez. Vous avez dû vous familiariser avec les spécificités du théâtre. Comme vous y êtes vous prise ?
J'ai travaillé avec des scénographes et des acousticiens, des « gens sachants » qui ne travaillent quasiment que pour le monde du théâtre. Le métier d'architecte est autodidacte avec la découverte d'univers très différents les uns des autres. Les cotraitants sont généralement là pour expliquer ce qu'il faut faire et ne pas faire. C'est toute la question de l'humilité de l'architecte... ce qui ne l'empêche pas d'avoir quand même son ego. On apprend de chaque projet.
Parmi ces aspects propres au monde du théâtre, il en est un qui s'impose d'emblée naturellement : l'acoustique. Comment avez-vous traité la question ?
Nous avons opté avec l'acousticien Richard Denayrou du bureau Altia (Paris) pour une acoustique naturelle. Il y a certains principes à respecter pour y parvenir, comme éviter le parallélisme des parois par exemple. Nous avons ajouté des panneaux acoustiques au plafond, inclinés d'une certaine manière et avec des vides entre eux. Le volume de la salle joue un rôle important dans cette approche, de même que sa profondeur. Et l'acoustique doit pouvoir être variable selon la thématique du spectacle. Un rideau absorbant mobile a été installé. Tous les matériaux – le bois des sièges par exemple – sont pris en compte dans les calculs. Il n'y a pas de solution idéale mais un équilibre à trouver. Il fallait que soit respecté le projet d'origine, que je voulais en béton.
Le béton, parlons-en justement. Pourquoi avoir choisi ce matériaux pour une grande partie du projet et d'où est venue l'idée des bétons sculptés en façade ?
La cage de scène fait 24 mètres de haut. Structurellement il n'y a rien de mieux que le béton. En ce qui concerne la qualité acoustique vis à vis de l'extérieur, c'est aussi vrai. Par sa nature structurelle, et par choix économique, il s'est imposé de lui-même. C'est une question de bon sens, et d'histoire de la ville, de contexte économique et politique. Je prend toujours en considération ces données pour éviter toute frustration chez l'un ou l'autre des acteurs concernés par le projet. S'il est venu naturellement, le choix du béton était néanmoins osé par rapport à la base marine (énorme bunker allemand de la seconde guerre, abritant les sous-marins, à quelques pas du site, ndr).
Quoi qu'il en soit, je le voulais le plus clair possible, mais pas blanc, pour les mêmes raisons économiques. Les voiles non engravés ont été coulés en place (CEM II 42,5 R PM de la cimenterie d’Airvaul, Ciment Calcia), les autres en préfabriqués matricés ont été fait à Tour par l'entreprise Savoie & Frères. J'avais exigé des joints de 1,5 cm maximum et ils ont repoussé leurs limites, ce qui a apporté à tous de la satisfaction. Nous avons dû retravailler le motif pour l'adapter à leurs contraintes. Les panneaux sont chanfreinés pour faciliter le démoulage, et leur profondeur est limitée pour éviter que les pigeons ne viennent s'y loger. Il a été fait des modules en bois, un par motif, avec le moins d'exceptions possibles : le motif est retourné et se répète. Celui-ci est inspiré des vieilles tapisseries issues du théâtre romantique.
Pour finir pouvez-vous nous parler des choix faits pour la gestion de l'énergie et de la performance sur ce type de bâtiment ?
Le théâtre est un équipement qui présente une exception de par sa programmation. En effet, il est en surchauffe pendant les spectacles, le reste du temps il est très peu occupé en dehors des bureaux et des salles de répétition. Pour cette raison nous avons été autorisés à réaliser une isolation par l'intérieur, tout en respectant les règles d'économies d'énergie et de thermique. L'arrière-scène présente une occupation plus intense : on y trouve les loges et les locaux techniques. Nous avons donc isolé cette partie par l'extérieur avec de la laine de roche (et un bardage lames de bois, ndr). Avec un système de préfabrications en panneaux sandwichs, on n'arrive pas à ce niveau de détail, des rupteurs thermiques sont nécessaires.
L'agence a réalisé une médiathèque certifiée HQE au Kremlin-Bicêtre. Elle est devenue HQE pendant les études. La HQE n'est pas un fanion pour moi. J'estime que l'on n'a pas encore tous les outils pour maîtriser toute la chaîne. Et ceux qui l'affirment sont souvent des menteurs !
Fiche technique Maîtrise d’ouvrage : Sonadev pour la ville de Saint-Nazaire Maîtrise d’œuvre : K-architectures Karine Herman et Jérôme Sigwalt, architectes Olivier Jonchère, architecte chef de projet Alexandre Plantady, architecte chef de projet esquisse Bureaux d’études : - Changement à Vue (scénographe) - Altia (acousticien) - Alto (BET fluides) - Khephren (BET structure) - Bougon (économiste) Surface du bâtiment : 3 900 m² (surface utile) | Scènes : - Dimension du plateau de scène : 350 m² - Dimension du plateau de création : 250 m² - Dimension du cadre de scène : 18 m x 9m - 3 niveaux de passerelles dans la cage de scène - Hauteur = 19 m sous grill - Dessous de scène = 3 m - Fosse d’orchestre pour 50 à 60 musiciens Jauge : 773 à 826 places au total, dont 18 pour les personnes à mobilité réduite (PMR) Mise en œuvre : 6 500 m3 de béton 8 800 m² de planchers béton 190 tonnes d’acier à béton 50 entreprises 40 à 50 compagnons (24 mois) |
Laurent Perrin