Chandigarh, 50 ans après la disparition de Le Corbusier
Enrico Chapel, Thierry Mandoul et Rémi Papillault aiment Chandigarh. La raison ? La capitale du Pendjab - également capitale de l’Haryana depuis la partition de l’État du nord de l’Inde en 1966 – montre, 60 ans après sa création, « son aptitude à assimiler et à développer une singularité indienne, une indianité », indiquent les commissaires de l’exposition organisée à la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris 16e. Selon eux, la ville moderne, imaginée par Le Corbusier et ses associés Pierre Jeanneret, Jane B. Drew, Maxwell Fry et de jeunes architectes indiens, est « malléable ». L’infrastructure, par exemple, « fait preuve quotidiennement de sa capacité d’accueil de pratiques nouvelles qui répondent librement et concrètement à des besoins non satisfaits par la ville planifiée », déclarent-ils encore.
Mais comment rendre compte de cette faculté d’adaptation de l’espace urbain dans le cadre d’une exposition parisienne ? Comment retranscrire l’appropriation de Chandigarh par ses habitants, tout en retraçant son histoire ?
Immersion avec écrans géants
Situé au sous-sol de la Cité, comme pour mieux s’abstraire du contexte parisien, l’espace d’exposition vise à nous immerger dans une double réalité, à la fois historique et contemporaine. Comme il se doit, des documents originaux et des maquettes, spécialement réalisées pour l’occasion, délivrent les informations historiques sur la métropole pendjabi, décidée par Jawaharlal Nehru au lendemain de l’indépendance de l’Inde en 1947. Complétant les espaces scénographiques « classiques », huit écrans géants - correspondant aux huit thématiques développées - plongent le visiteur dans l’atmosphère actuelle de Chandigarh.
Christian Barani, l’auteur des films documentaires, explique que les images tournées en 2014 et 2015 sont sans a priori : « Nous sommes volontairement partis à la dérive. Nous souhaitions documenter la ville plutôt que valoriser l’architecture. Nous avons collecté 9600 plans au total ; c’est colossal. L’objectif était de faire du visiteur un flâneur et non pas un simple spectateur de l’exposition. » Chacun des huit films ainsi produits dure exactement 77 minutes et, d’une manière presque clinique, montre les habitants dans leur environnement quotidien. Impression frappante, Chandigarh ne ressemble pas aux autres villes indiennes où les rickshaws et les scooters fendent des foules imperturbables. La plupart du temps, la cité corbuséenne semble déserte et muette…
Costume trop grand
Les fameuses typologies de voirie de Le Corbusier, connues sous le nom de 7V (sept voies de circulation allant de la voie rapide autoroutière au chemin piéton), semblent surdimensionnées. Fait assez exceptionnel dans le sous-continent indien, la ville horizontale et sectorisée de l’architecte français d’origine suisse (secteurs quasi monofonctionnels de 1200 x 800 mètres) paraît souffrir d’un manque de densité. Aérée, plus arborée et moins polluée qu’ailleurs, la ville attire la middle class de l’Himachal Pradesh, du Pendjab et de l’Haryana ; ce qui en fait l’une des villes les plus chères de l’Inde. Mais où se trouvent cette singularité et cette vie indiennes énoncées en préambule par les commissaires de l’exposition ?
« À l’origine, le costume taillé à la ville était trop grand, concèdent Enrico Chapel, Thierry Mandoul et Rémi Papillault. Mais, depuis le boom économique des années 2000, les choses ont changé. La cité arrive aujourd’hui à son apogée. Elle connaît ses premiers bouchons. Elle comptait 250 000 habitants au début. Elle en compte désormais près de deux millions. Elle en comptera trois millions en 2035. »
La métropolisation avance donc à grands pas et l’accroissement de la population tend à mettre en résonance la générosité des espaces publics et les usages. Ne reste plus qu’à définir et maîtriser cette densification-extension qui, selon les commissaires d’exposition, est en train de se réaliser sans vision urbanistique claire. « Des quartiers avec accès contrôlés s’érigent. Le tracé des secteurs est simplifié. De grandes opérations immobilières autarciques voient le jour », s’inquiètent-ils. Alors, quel avenir pour le rêve indien de Le Corbusier ? Entre la ville-musée, candidate au patrimoine mondial de l’Unesco, et la dissolution dans l’urbanisation contemporaine, c’est vers une troisième voie que les commissaires déclarent pencher… avec un héritage ni vitrifiée, ni désavoué.
Tristan Cuisinier
Informations pratiques :
« Chandigarh – 50 ans après Le Corbusier», exposition jusqu’au 29 février 2016. Cité de l’architecture et du patrimoine, 1 place du Trocadéro, Paris 16e. Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 11h00 à 19h00 (le jeudi jusqu’à 21h00). Plein tarif : 5€ - TR : 3€